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Transcription de l’interview du président paraguayen Fernando Lugo, réalisée le 5 juillet 2012 par Contact Sud/ALER (Association Latino-Américaine d’Education Radiophonique).

**ALER : Fernando Lugo, bonjour et bienvenue à ALER Satellite.**

**Fernando Lugo** : Un grand bonjour à ALER. C’est un plaisir d’être avec vous, nous saluons également tous les pays et auditeurs des quatre coins de l’Amérique Latine.

**ALER : Monsieur le Président, avant toute chose, je souhaiterais vous demander ce que vous ressentez, deux semaines après ces fameuses quarante-huit heures, mémorables et terribles pour l’Amérique Latine ?**

**Fernando Lugo** : Alors, comme je l’ai dit et répété à plusieurs reprises, le coup d’état parlementaire, qui a eu lieu le 22 juin dernier au Paraguay, a ralenti un processus démocratique, et comme le disent les membres d’UNASUR, ce coup d’état a entraîné la perte d’une région, la perte d’une grande région d’Amérique Latine. Enfin, devoir renoncer à ce processus démocratique, dans un pays où nous n’avons pas la tradition démocratique d’autres pays, c’est vraiment douloureux, douloureux pour les gens qui soutenaient ce processus, qui se sentent trahis dans leur volonté populaire d’élire légitimement leur président lors de ce jour historique du 20 avril 2008.

**ALER : En ce qui concerne la réaction du peuple paraguayen, êtes-vous surpris ? Vous espériez un autre type de réaction ? Quel est votre point de vue sur les manifestations qui ont eu lieu ?**

**Fernando Lugo** : Et bien, j’ai été agréablement surpris, comme je l’ai dit à diverses reprises, je pense qu’il y a eu dans le pays des manifestations contre le coup d’état et en faveur du processus démocratique paraguayen comme jamais on n’en a vu auparavant. Le Paraguay est un petit pays, comme l’Equateur, qui est divisé en 17 états ou districts. Dans 14 ont eu lieu des manifestations contre le coup d’état, formant au total 40 piquets de grève simultanés, chose qui n’était encore jamais arrivée ! Il y avait déjà eu au maximum 14 ou 15 blocages de routes, lors d’une manifestation de solidarité, mais on a battu le record avec 40 lieux occupés dans les jours suivant le coup d’état parlementaire.
Les gens ont montré leur indignation face à ce qui s’est passé ce vendredi noir de la politique paraguayenne, le 22 juin, jour où est née une grande conscience citoyenne, avec un esprit politique critique envers ce qui a suivi le coup d’état, ici au Paraguay.

**ALER : On ne peut pas ne pas penser au vendredi précédent ce vendredi noir. Le coup d’état aurait-il eu lieu s’il n’y avait pas eu ces morts parmi les paysans et la police ?**

**Fernando Lugo** : Je crois que oui, je crois que la candidature de Fernando Lugo a dérangé à l’instant même où elle a été annoncée. Ils ont apporté tous les arguments possibles pour que cette candidature n’aboutisse pas. Ils ont dit que je n’étais pas citoyen paraguayen, que je représentais l’église, et qu’un membre de l’église ne pouvait pas récupérer la citoyenneté paraguayenne… C’est qu’ils ont essayé de faire échouer ce projet par tous les moyens… Que n’ont-ils pas dit … ? Que j’étais membre des FARC, que j’étais impliqué dans des affaires de séquestrations… Que j’ai utilisé l’argent des paysans, que j’ai profité du retable pour lancer ma candidature… Que n’ont-ils pas dit durant la campagne … ?

Et ce fut la même chose après avoir été élu à la présidence.
Ce sont des accusations puériles qui n’ont pas lieu d’être et qui n’ont aucun poids politique. Ce qu’il faut retenir, c’est que la classe politique conservatrice du pays a mis au point un accord permettant de destituer un président élu démocratiquement.

**ALER : M. Lugo, dans votre réponse, vous avez dit que vous étiez originaire de la sphère religieuse, et l’image qui est restée dans de nombreuses têtes lors de ces 48 heures terribles pour l’Amérique Latine, fut presque similaire à l’image du Jésus qui se rend. Ce Jésus a-t-il pesé un quelconque poids sur vous ?**

**Fernando Lugo** : Je ne peux pas renier ma formation chrétienne, ma formation religieuse, théologique. Ma formation spirituelle est encore très présente en moi, dans la sérénité qui me fait tenir bon en toute circonstance, dans ma capacité à méditer, à prier face à de petites ou grandes décisions de la vie politique du pays. Je crois que d’une certaine manière c’est mon caractère, c’est comme cela que j’ai été formé, et cela est encore présent dans tous les moments de ma vie, je ne peux pas m’en débarrasser comme d’un vulgaire sac à dos ! Pendant 23 ans, j’ai exercé en tant que religieux au sein de l’Eglise catholique, cela ne disparait pas du jour au lendemain.

Je pense que d’une certaine manière, le Jésus souffrant du Vendredi Saint a en effet coïncidé avec le vendredi noir de la politique paraguayenne. Nous avons enduré cela avec beaucoup de sérénité, mais aussi beaucoup de force, nous n’avons pas laissé de trace en nous de l’injustice qui a été commise. Et commise non pas seulement envers Fernando Lugo, car ici ce n’est pas Fernando Lugo qu’ils ont puni, ils ont puni la politique paraguayenne dans son ensemble, ils ont puni un processus de changement, ils ont puni ceux qui bénéficiaient le plus de ce gouvernement : le peuple, les plus pauvres, les paysans, les exclus, à qui nous nous sommes le plus intéressés, ceux qui ont le plus participé aux bénéfices du gouvernement du changement de 2008 à 2011.

**ALER : M. Lugo, vous savez qu’ALER est un vaste réseau en Amérique Latine, avec 500 radios, et des coordinateurs dans diverses parties de notre chère Grande Patrie. Nous avons à présent l’opportunité de parler avec la coordinatrice de Radios Populaires d’Équateur, Sandi Chaves, journaliste en Equateur.
Sandi : Président Lugo, la direction de Radio Populaire et Educative d’Equateur vous salue. Nous voulions savoir quel serait votre avenir dans la politique ? On dit que vous pourriez être le candidat le plus fort de la gauche pour postuler à l’Assemblée du Paraguay ? Merci de répondre à nos questions.**

**Fernando Lugo** : Et bien, nous sommes justement en train de discuter du pourquoi ce coup d’état parlementaire nous a éloigné un peu de notre itinéraire de construction d’une démocratie consolidée ici, au Paraguay. Et nous pensons qu’en ce moment, de nombreuses discussions de la sorte se déroulent à l’intérieur du pays, au sein des mouvements sociaux, des partis de gauche, du front Guazu, des indignés, sur le fait que le grand élu de 2013 serait Fernando Lugo et peut-être bien le candidat que nous serions amenés à soutenir. Il y a des bruits qui courent selon lesquelles je serais amené à être en tête de liste des sénateurs en 2013, ceci est une question que nous sommes en train d’analyser tranquillement. Nous sommes en train d’en parler, et dans les prochaines semaines nous serons plus éclairés sur ce qu’il adviendra de l’avenir politique de Fernando Lugo.

**ALER : Merci beaucoup, Sandi. M. Lugo, vous commentiez les sanctions du MERCOSUR et de l’UNASUR. Leurs mandataires, avant la réunion à Mendoza, en Argentine, avaient manifesté leur insatisfaction face au coup d’état ainsi que leur soutien, mais les sanctions nous ont paru plutôt légères, ont-elles été à la hauteur de ce que vous attendiez ?**

**Fernando Lugo** : Je ne pense pas qu’elles furent si légères que cela. Ici, on veut donner l’impression qu’il ne s’est rien passé ; ici, les moyens de communications disent que toutes les institutions fonctionnent, qu’il n’y a aucun char de l’armée dans les rues, que Fernando Lugo jouit de toutes les libertés… Et c’est vrai, mais ici, un processus démocratique a été bloqué ; ici, l’organisme démocratique, l’institution démocratique ont été violés ; ici, il existe maintenant un gouvernement de fait, un gouvernement qui s’est installé au pouvoir par coup d’état le samedi 23 juin dernier. Depuis ce 23 juin, et même avant cela, la citoyenneté continue d’exprimer son indignation. C’est pour cela que nous pensons que la sanction d’exclure le Paraguay des réunions du MERCOSUR est déjà une bonne sanction politique. Je fais toujours la réflexion suivante : comment est-il possible qu’ici on prétende, à travers les moyens de communication et les porte-paroles du gouvernement de fait, qu’il ne se passe rien, que ce fut seulement une transition, un changement de chef d’état ? Alors pourquoi la sanction du MERCOSUR, de l’UNASUR, pourquoi la session et la réunion extraordinaire de l’OEA ? S’il ne s’était rien passé, ces faits, qui sont des évènements politiques, n’auraient également pas eu lieu.

**ALER : En parlant de l’OEA, l’Organisation des Etats Américains, qu’est ce que vous espérez du rapport qu’elle présentera la semaine prochaine ?**

**Fernando Lugo** : Lundi prochain, M. Inzulsa présentera son rapport d’ici, au nom de l’assemblée de l’OEA. Je crois qu’ils sont bien informés, nous espérons que tous les pays membres de l’OEA aient une position assez claire après avoir été informés en détail de ce qui s’est passé ici, qui fut très semblable au coup d’état qui a eu lieu il y a trois ans au Honduras. Je crois que, avec calme et fermeté, les pays membres de l’OEA auront leur opinion et tireront leur conclusion concernant le coup d’état parlementaire qui a eu lieu ici, ce vendredi noir du 22 juin dernier.

**ALER : M. Lugo, nous avons toujours la possibilité d’entrer en contact avec les différents réseaux d’ALER satellite. Nous sommes actuellement en contact avec le Forum Argentin de Radios Communautaires. Pepe Frutos, vous êtes à l’antenne ? M. Lugo vous écoute, allez-y.
–Bonjour, c’est un grand plaisir pour FARCO de participer à cette interview. D’ici nous répudions le coup d’état qui a destitué le président Fernando Lugo et nous nous préoccupons beaucoup de ce qui est en train de se passer au Paraguay. Voici la question que nous voulons poser : Quel est l’enseignement que vous avez tiré de cette situation, de votre destitution du pouvoir ? Que peut-on retenir de ce qui s’est passé, quelle est la leçon à en tirer, tant pour les partis populaires du Paraguay que pour les gouvernements populaires d’Amérique Latine ?**

**Fernando Lugo** : Tout d’abord, je vois que la grande leçon à tirer de tout cela est qu’en ce qui concerne le pouvoir, il doit se cultiver petit à petit ; on doit assumer et utiliser le pouvoir en faveur des plus vulnérables, progressivement, dans un cadre consensuel, et démocratique aussi. Je crois que la rupture du processus démocratique au Paraguay nous apprend vraiment qu’il existe encore des partis ou bien des groupuscules antidémocratiques fascistes de droite dans tous les pays d’Amérique Latine, qui cherchent à bloquer les processus démocratiques qui se sont mis en place. Nous, quand nous nous réunissions à l’UNASUR, nous étions fiers de cette belle période démocratique que nous étions en train de vivre, fiers du fait qu’aucune ombre antidémocratique ne pèse sur nos pays, fiers que tous nos présidents aient été élus lors d’élections libres et transparentes, mais ces groupes obscurs, ces nuages menaçants antidémocratiques, ils existent dans tous les pays. Ces groupuscules qui préparent des coups d’état, n’agissent pas comme le faisaient autrefois les militaires avec leurs chars dans les rues, avec tous ces morts et ces bains de sang. Aujourd’hui les coups d’état sont bien plus raffinés, préparés en laboratoire et exécutés très vite, de façon Express, comme cela est arrivé ici au Paraguay.
Pardonnez-moi mais une autre interview m’attend, je m’étais également engagé à répondre aux questions de nos compagnons chiliens. Il est donc temps pour moi de vous remercier pour ce moment passé avec vous.

**ALER : Merci beaucoup M. Lugo, les 15 minutes que nous avions programmé sont effectivement écoulées, nous avons pu vous poser les questions principales, c’est qu’il nous vient toujours d’autres sujets à aborder avec vous. (…) Merci à tous nos camarades d’Amérique Latine, à toutes les radios et à tous les auditeurs, ce fut un grand plaisir d’être en votre compagnie.**

(Equipe technique de cet interview réalisée par Contact Sud/ ALER : Eliana Estrella, coordination, équipe de production et d’impression et journaliste durant l’interview : Walter Carriqueo)

*(Traduction du portugais : Julie Godard)*