Pressenza
Agence de Presse Internationale Madrid, 8/14/11
Le terme ‘non-violence’ est relativement nouveau. La première référence a paru dans les magazines européens dans les années 1930 à propos d’une nouvelle forme de lutte utilisée par un avocat indien contre l’Empire Britannique. Contre toute attente, et sans confrontation armée, Gandhi a obtenu des Anglais, superpuissance de l’époque, l’abandon « volontaire » de l’Inde.

Le terme de non-violence en espagnol ne paraît même pas dans le dictionnaire de l’Académie Royale d’Espagne, ce qui ne nous aide pas éclaircir une certaine confusion sur l’usage de ce mot.

Il y a une forme familière du terme qui est également utilisée par certains médias lorsque les événements sont décrits comme « ayant lieu dans un climat de non-violence » ou « nous voulons que les écoles soient des environnements non violents. » Nous faisons alors référence à des situations où il n’y a aucune agression, mauvais traitement ou heurts au-delà ce qui est acceptable. En général, ceci fait référence à la non-violence physique.

Il y a une deuxième signification de « non-violence » quand on fait référence à une question plus profonde et élaborée qui implique une position existentielle, une certaine éthique et une conduite spécifique. C’est ce que je développerai ici.

L’origine de la « non-violence » se trouve dans le principe de « ahimsa » (le refus d’exercer toute forme de violence contre un individu ou contre la nature) qui vient du jaïnisme, au 6e siècle avant Jésus-Christ. Mahatma Gandhi a élaboré sa forme de non-violence en se basant sur ce principe.

Parler de non-violence nous oblige à examiner ce que nous comprenons par violence. La forme la plus communément comprise de violence est l’agression physique. Mais nous irons au-delà. Si nous revenons au dictionnaire de l’Académie Royale d’Espagne nous trouvons que la violence est: « l’action et l’effet de forcer, se forcer ou contrarier la façon naturelle de procéder. » Pour le mot ‘violent’, il ajoute : donner une impulsion, forcer, brusquement ou avec grande intensité … agir contre nature, sans raison ou de façon injuste. » Mais nous ne pouvons pas aller très loin avec ces définitions.

Voyons une autre source, le dictionnaire du Nouvel Humanisme où on trouve :
« VIOLENCE. (L.Violentia, de violens (- entis), violent). Le moyen le plus simple, le plus fréquent et le plus efficace de maintenir pouvoir et suprématie, pour imposer sa volonté aux autres, pour usurper le pouvoir, la propriété et même la vie des autres. Les partisans de la violence de toute persuasion la justifient comme un moyen d’atteindre des objectifs « bons » ou « utiles » et des résultats. C’est cependant dangereux et erroné puisque cela mène à l’apologie de la violence et au rejet de moyens non violents. C’est habituel de catégoriser la violence comme directe, comme individualisée (autorité du père sur l’enfant), ou comme indirecte, « codifiée, » correspondant habituellement aux institutions sociales et stratégies officielles (guerres, pouvoir d’un dictateur, pouvoir à parti unique, monopole religieux). Il y a aussi d’autres façons de catégoriser la violence : comme physique ou psychologique ; comme ouverte ou cachée. Dans la société, d’autres nuances plus précises de violence peuvent être observées : au niveau de la famille, de la nation, de la politique mondiale, aussi bien que dans le rapport entre êtres humains et nature, avec d’autres espèces animales, etc. Autour de nous on peut observer une ou plusieurs manifestations de violence exercées pour résoudre des problèmes ou atteindre les résultats désirés, au détriment d’un autre individu à qui on fait du mal ou on inflige une souffrance. Souvent, la personne qui exerce la violence croit qu’elle agit de façon légitime. C’est l’origine du concept de violence qualifiée de « noire » (injustifiée) ou blanche (justifiée). » Fin de citation.

La violence s’est diversifiée et pénètre tous les milieux comme le montre : la violence économique (l’exploitation de certains êtres humains par d’autres avec des salaires pitoyables, des droits réduits, création de dépendance matérielle, travail des enfants, impôts injustes, guerres économiques, dictature du marché, etc.) ; la violence politique (avec la domination d’un ou de quelques partis, le système bipartite, totalitarisme, exclusion de citoyens dans la prise de décision, guerres, lutte armée pour le pouvoir, non-séparation des pouvoirs, etc.) ; la violence idéologique (avec l’imposition de points de vue officiels, interdiction de libre pensée, subordination des médias, manipulation de l’opinion publique, la propagation de concepts de nature violente et discriminatoire qui est commode pour l’élite souveraine, veto sur toutes les options qui critiquent le système, etc.) ; la violence religieuse (avec assujettissement des intérêts individuels aux exigences de l’église, contrôle sévère de la pensée, prohibition d’autres croyances et hérésie, infiltration de la religion dans d’autres champs tels que politique, éducation, libertés, etc.) ; la violence domestique (avec l’exploitation des femmes, contrôle des enfants par les parents, ou de parents par les enfants, etc.) ; la violence pédagogique (avec autoritarisme dans l’école, châtiment corporel, discrimination, prohibition des programmes libres, etc.) ; violence institutionnelle dans l’armée et la police (comportement arbitraire des responsables, obéissance absolue, punition, torture, terrorisme de l’état, répression des protestations, etc.,) ; la violence culturelle (censure, exclusion de courants innovateurs, interdiction de publier certains livres, prescriptions bureaucratiques, domination de quelques cultures aux détriment d’autres, etc.). Il existe aussi la violence du genre (salaire inégal, exigences plus grandes, moins de droits, ou discrimination selon le genre) ; la violence générationnelle (quand les personnes âgées sont considérées comme incapables et que les jeunes sont considérés comme violents) ; la violence psychologique (quand les autres sont manipulés par la peur, sous-estimés et voient leurs défauts renforcés, etc.).

Dans la majorité des cas, la violence physique est un maillon de plus dans une chaîne de violence multiforme. Le corollaire de toutes les formes de violence est la discrimination. La violence n’est pas quelque chose de nouveau ; c’est une partie intégrante du système actuel. C’est à la fois une conséquence et une cause quand certaines formes de violence s’enchaînent à d’autres. Jusqu’à une époque récente, la violence était plus ou moins contrôlée et cachée. Cependant, elle émerge actuellement et n’est plus contrôlée. Les médias l’alimentent. Ce n’est pas qu’avant il n’y avait pas de mauvais traitements dans la famille ou d’exploitation au travail, la différence, c’est qu’aujourd’hui nous le savons tous.
Si nous devions nous pencher sur les origines de notre société, comment les Etats et les nations se sont formés, nous verrions que tous se sont construits par l’usage de force ; violence physique dans un premier temps, se développant ensuite vers toutes les autres formes de violence. Ce sont les vainqueurs de guerres qui établissent l’économie, la loi, la religion, etc. Ce sont eux qui écrivent l’histoire: leur version des événements. C’est ainsi que le monde est organisé depuis les temps anciens, bien qu’il y ait une dimension spéciale en ce qui concerne l’apparition d’empires puis d’Etats-nations. Presque toutes institutions créées ont été soutenues par les armées ou ont émergé directement de guerres. C’est donc la violence physique qui a commencé, projetée ensuite vers d’autres sphères sociales qui, grâce au développement de technologie, ont donné la vie à de nouvelles formes de violence.

En revanche, les origines de la lutte non-violente sont diverses et relativement récentes : la référence la plus claire en est le mouvement de masse conduit par Mahatma Gandhi qui s’est développé en Inde dans la première partie du 20e siècle. Suit la lutte pour les droits civils par les Américains africains aux USA sous la direction de Mr L. King et aussi l’activité développée par Kwame Nkrumah au Ghana.

Le concept de non-violence inclut des formes de protestation non-violentes qui continuent à vivre et à se déployer dans le monde. Interventions massives quotidiennes par des travailleurs organisés, meetings et manifestations, grèves, mouvements de femmes et d’étudiants, manifestations rurales, impression de feuillets, affiches et journaux, interviews radio et télé, innombrables manifestations anti-guerre et anti-corruption, ainsi que grand nombre de gens qui votent ou refusent de voter dans les moments de crise, sont tous des exemples de lutte. Plus récentes sont les dénommées manifestations arabes du printemps en Egypte, Tunisie et tant d’autres pays où la population est descendue dans la rue sans violence. Le mouvement 15-M et d’autres mouvements européens possèdent la même racine de méthodologie où éthique et pratique de la non-violence se conjuguent. Dans d’autres cas, les revendications prennent le chemin de la violence, avec pour résultat la répression et l’étouffement ou la guerre civile qui suppose un coût humain élevé et une régression sociale.

Je profite de l’occasion pour clarifier une confusion fréquente parce que les termes non-violence et pacifisme sont devenus interchangeables alors que, en réalité, le dernier n’est pas une méthode d’action ni une manière de vivre, mais plutôt une dénonciation constante du conflit armé.

Le pacifisme est un principe moral et politique qui reconnaît la vie humaine comme suprême valeur sociale et éthique. Le pacifisme est une attitude qui rejette la guerre et les armes. Donc sa valeur suprême est de veiller au maintien de la paix entre groupes ethniques, religieux et sociaux, entre nations et groupes de pays. Il inclut le respect pour la dignité de l’individu, des groupes et des peuples et pour les droits de l’homme en général. Le philosophe et mathématicien Bertrand Russell , était une des icônes du pacifisme en lutte contre la course aux armes nucléaires et en lutte contre la violence en général.

En revanche, la non-violence est une attitude active face au monde, qui fonctionne avec le non-avènement du pouvoir, encourageant condamnation, répudiation et non-coopération avec la violence et, en dernier recours, désobéissance civile face à l’injustice institutionnalisée .
Nous pourrions même dire que « la non-violence est la méthode d’action du pacifisme et, par conséquent, le meilleur outil pour soulager les souffrances sociales. »

La critique de la non-violence vient de pragmatistes qui avancent qu’elle est « inefficace » parce que, d’après eux, inculquer ce genre de méthodologie dans notre société rend des citoyens dociles et faibles, et que cela ne permet pas de répondre ou de faire face à la violence d’un système injuste qui doit être combattu. Ces gens n’ont pas compris la profondeur de la non-violence ; ils l’ont confondue avec une certaine forme de pacifisme faible et naïf. Gandhi a dit:
« Il n’y a pas de plus grand courage que de refuser de se soumettre à un pouvoir terrestre, aussi puissant soit-il, et ceci sans aucune agression » .

Résumé

Parler de non-violence, c’est aborder un nouveau concept de lutte sociale. Néanmoins, ce n’est pas à l’écart des luttes quotidiennes, étant donné que la majorité des transformations sociales se font par des comportements non violents. Nous devons faire une distinction entre pacifisme -sensibilité contre guerres et armes- et non-violence qui est plutôt une méthode d’action pour dénoncer et lutter non seulement contre la violence physique, mais aussi contre toutes les sortes de violence : économique, raciale, religieuse, générationnelle, de genre, psychologique, et même la violence morale.

La violence fonctionne par la négation d’une partie de l’existence d’une autre personne, une partie de son intention, une partie de son être. Dans les cas extrêmes, elle peut finir par totalement nier et emporter l’existence. La situation aujourd’hui est telle que cette violence est une partie intégrante du système dans lequel nous vivons ; sans elle, ce système ne fonctionnerait pas.

De plus en plus partagée est l’idée que la non-violence est la seule forme de lutte qui a un avenir en cette période historique, puisque, entre autres choses, ce système violent a les moyens de battre toutes les formes de lutte violente, mais il ne sait pas comment agir contre la non-violence organisée.

Note : Dans le prochain article nous traiterons des questions de violence et de non-violence personnelle, des tactiques et techniques de non-violence sociale et personnelle et de la non-violence active.

Rafael de la Rubia est un membre de l’équipe de coordination mondiale de Monde sans Guerres et sans Violence.
Humaniste espagnol, fondateur de l’organisation Monde sans Guerres et porte-parole de la « Marche Mondiale pour la Paix et la Non-violence ».
http://theworldmarch.org