* »Pourquoi un livre sur l’écriture ? »*

En fait, j’ai toujours aimé écrire, ce contact de la plume ou du crayon sur le papier, cette structuration progressive de la pensée approfondie par le temps de réflexion et de correction.
Un plaisir, un acte libérateur dans un espace poétique où l’imaginaire a le droit de soudoyer la réalité.

Revenons sur terre : comme pédagogue, je vois en classe et en consultation (pour des difficultés d’apprentissage) des enfants très peu à l’aise avec l’écriture. Quand on connait la nécessité de savoir écrire et lire dans notre société, on imagine la souffrance de l’illettré. Cela m’a interpellée et j’ai voulu comprendre.
Se préoccuper de l’accès à l’écriture pour tous entre, pour moi, dans une visée de pratique active de non-violence. Dans une culture de l’écrit, le droit d’être reconnu en tant qu’être humain, le droit de s’exprimer et de communiquer … s’écrivent noir sur blanc.

* »Cela signifie que l’écriture, ce geste destiné à s’automatiser est devenu pour certains enfants, une véritable souffrance ? « *

Oui, exactement. Ou plutôt, la question serait : pourquoi certains n’arrivent-ils pas à entrer dans ce plaisir de laisser sa trace dans le temps et dans l’espace ? Qu’est-ce qui se passe ?
Le point de départ de ce livre, c’est justement mon étonnement face à la souffrance de ceux qui n’arrivent pas à apprendre à écrire et aux lourdes conséquences qui s’ensuivent à l’école : des zéros en français avec annotations agacées « soins !!!!, écriture illisible !!!… », des douleurs à la main suite à l’effort de maîtrise du stylo, un manque de confiance en soi, et puis un sentiment de discrimination, d’exclusion face au monde de la connaissance en général. Beaucoup de frustration, de sentiment d’injustice, des situations scolaires empreintes de violence larvée.

* »Tout ça à partir de l’utilisation du stylo ?* »

Ce qui m’a touchée dans cette approche, c’est le fait d’entrer par un petit geste graphomoteur dans une dimension aux enjeux multiples : pédagogique, social, culturel, psychologique. Dans la première partie du livre, nous abordons les fonctions de l’écriture pour bien saisir tout ce qui se trouve derrière ce geste scriptural, le lien avec toute la construction humaine, personnelle et sociale.

Ce qui est proposé au lecteur, qu’il soit enseignant ou curieux de l’acte d’écrire, c’est un regard de compassion face aux difficultés de l’écrivain en devenir. Loin de proposer un acharnement sur une calligraphie aux exigences étroites, ce livre donne des clés pour ouvrir les portes d’une existence symbolique, d’une parole prolongée dans le temps et d’une entrée dans la mémoire collective.

* »Y a-t-il une dimension sacrée dans l’écriture ?* »

Savez-vous que « hiéroglyphe », dans l’Egypte ancienne, signifie « la parole de dieu » ? Il y a à mon avis une dimension spirituelle dans le geste scriptural, que l’on constate par exemple lors des rééducations ou plutôt des « réconciliations » avec l’écrit. C’est un peu comme rendre l’enfant au monde qui lui est donné de vivre, à la place qui lui est due, dans la dimension sans limite de son humanité.

* »Une dernière question : est-ce toujours utile d’apprendre à écrire alors que l’ordinateur écrit pour nous et … corrige les fautes d’orthographe ?* »

Pour comparer, c’est comme si vous demandiez si le théâtre a toujours son intérêt dès lors que la tv existe. Les deux sont intéressants mais ne s’opposent pas.
L’ordinateur ne remplacera jamais l’écriture manuscrite. L’engouement pour les cours de calligraphie, d’écritures arabes et chinoises, les tags et graffitis (art urbain intégrant l’écrit) le confirment.

Par contre, le « clavardage », jolie formule canadienne, devient un système d’écriture à part entière et qui peut être considéré comme tel puisqu’il fait partie de notre quotidien. C’est pour cela que l’apprentissage de l’écriture cursive doit, selon moi, être adapté à notre époque, avec une approche et des outils simples et accessibles. Nous en parlons dans le livre.

Les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies sont fantastiques et souhaitons que les enseignants s’y intéressent et les utilisent avec pertinence dans leur rôle d’accompagnateurs pour un monde meilleur.

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Les « Enjeux de l’Ecrire »
Tatiana De Barelli,

tatianadebarelli@yahoo.fr

En collaboration avec Graziella Pettinati,
Préface du Dr Houegbe,

Proximités –logopédie
E.M.E. (2010)
http://www.eme-editions.be/