Dans un mouvement collectif sans précédant dans toute l´histoire de la Nation mapuche, un dirigeant d´une de ses communautés – placé en détention provisoire depuis plus d´un an – a rédigé une lettre au Secrétaire général des Nations Unies pour dénoncer la situation préoccupante que le peuple mapuche est en train de vivre.

Pendant des siècles, les Mapuches parvinrent à maintenir leur indépendance en négociant des accords tant avec les conquistadors qui envahirent leurs terres, qu´avec les gouvernements chiliens qui leur reconnurent un statut d´occupants de terres chiliennes. Tous ces accords passés légitimaient l´existence d´une frontière au sud où, loin derrière, vivait un peuple mapuche.

Mais l´indépendance des chiliens nourrit le désir de conquête hérité des Espagnols. Par conséquent, l´expansion du territoire mapuche et son annexion possible au Chili naissant firent accroître l´ambition et la voracité des grands militaires et propriétaires terriens chiliens jusqu´au point de déclencher une guerre dite la « guerre de pacification ». La capitulation des Mapuches marqua alors l´anéantissement total des accords et traités qui avaient été signés avec les gouvernements espagnols et chiliens, mais également la fin d´un dialogue.

Après la fin de la guerre – marquée par l´invasion des territoires mapuches et l´abandon des communautés possédant des terres à faible rendement économique – les peuples mapuches cessèrent d´être une nation autonome pour devenir un peuple colonisé tentant de survivre et de préserver sa culture et ses traditions face à l´oppression des différents gouvernements chiliens qui se succédèrent au pouvoir. Discrimination, division des terres, confinement dans des réserves, destruction des sites sacrés, non-reconnaissance de la langue mapuche, manipulation politique et culturelle ont été les pratiques menées par les gouvernements et citoyens chiliens à l´encontre des Mapuches.

Pour la première fois dans l´histoire de cette nation, un des ses représentants – indigné par la situation des prisonniers politiques mapuches – s´est adressé à l´Assemblée générale de l´ONU pour dénoncer le montage politico-judiciaire à son encontre et demander l´intervention des membres de l´ONU auprès de l´Etat chilien afin que justice puisse enfin être rendue.

Voici la reproduction de la lettre d´Héctor Llaitul envoyée au Secrétaire général de l´ONU depuis la prison de la ville de Temuco.

Mon nom est Héctor Llaitul Carillanca. Je suis un dirigeant mapuche actuellement emprisonné par l´Etat chilien et en grève de la faim depuis maintenant 73 jours avec 34 autres prisonniers mapuches.

Le peuple mapuche est un peuple originaire qui habite surtout le sud du Chili et, dans une moindre mesure, le centre-ouest de l´Argentine. Nous constituons un peuple de près d´un million d´habitants dont la majeure partie a conservé sa culture et ses traditions. Or, le fait d´avoir été chassés pendant longtemps de nos terres ancestrales nous maintient dans une situation d´oppression et de pauvreté. Les décennies passant, la situation du peuple mapuche n´évolue pas, et les politiques de ségrégation et de domination du peuple mapuche continuent d´être appliquées.

En raison de la pauvreté, de la politique de discrimination et des séquelles de spoliation territoriale, nos communautés ont entamé des procédures juridiques pour pouvoir récupérer leurs droits ancestraux comme le droit de la défense et le droit de profiter de leurs terres anciennes. Cette volonté de récupérer nos droits a eu pour conséquence une forte répression de la part de l´Etat chilien contre nos communautés : persécution, emprisonnement, mort de militants mapuches, militarisation des zones de conflit et violation de la plupart de nos droits fondamentaux, y compris violation des droits de l´homme les plus élémentaires. Maintenant, pour mieux comprendre la situation des « PPM » – prisonniers politiques mapuches – il est important de préciser qu´ils n´ont pas seulement été persécutés et incarcérés, sinon privés de leur droit à un procès juste et équitable ; ceci tout en sachant que les Mapuches sont systématiquement jugés deux fois, par la justice civile et par la justice militaire. Nous sommes jugés et condamnés d´un côté par une justice militaire qui continue d´opérer en toute impunité sous la République du Chili, et, de l´autre côté, par une justice civile qui applique la Loi antiterroriste, une loi antidémocratique héritée de la dictature de Pinochet autorisant des condamnations à rallonge, le recours à des témoins sans visages ainsi que d´autres aberrations judiciaires et, qui plus est, interdisant le droit de la défense.

Nous sommes actuellement maintenus en détention provisoire depuis plus un an et demi, et nous attendons toujours à ce qu´un jugement soit mené dans le respect des droits de la défense. Dans les prisons, on ne nous considère ni comme Mapuches ni comme prisonniers politiques. C´est pour toutes ces raisons que nous sommes aujourd´hui en grève de la faim. Nos revendications, que le gouvernement refuse toujours d´entendre, sont les suivantes :

– non au recours à la justice militaire dans les conflits mapuches ;
– non à l´application de la Loi antiterroriste aux militants mapuches ;
– non à la militarisation des zones mapuches ; fin à la répression du peuple mapuche ;
– restitution des terres ancestrales aux communautés mapuches ;
– libération immédiate de tous les prisonniers politiques mapuches.

Cette fois encore, nous réaffirmons catégoriquement que nous, Mapuches, ne sommes pas des terroristes. Nous luttons contre l´injustice sociale sans recourir à aucune violence politique démesurée ; nous luttons pour défendre nos droits et libertés, et répondons à la répression uniquement au moyen de tactiques inoffensives d´autodéfense. Nous n´avons jamais assassiné personne. En revanche, de nombreux Mapuches – enfants, jeunes et personnes âgées – ont été tués. Nous ne sommes pas responsables des actes criminels et de violence qui nous sont reprochés, mais plutôt victimes de notre position idéologique, politique et culturelle face aux investissements des entreprises destructeurs et déprédateurs de nos terres ancestrales.

Monsieur le Secrétaire général, au vu de l´ensemble des révélations précédentes, nous sollicitons votre bienveillance ainsi que celle de l´organisation que vous représentez pour considérer la réalité de notre situation par rapport à la prison politique et à la mobilisation que nous assumons entièrement.
Monsieur le Secrétaire général, accordez-nous la faveur de prendre conscience de notre situation et de réfléchir, avec les membres des Nations Unies, à la manière dont vous pourrez nous soutenir en engageant, je l´espère, quelques actions d´appui comme :

– Demander au gouvernement chilien de respecter les droits politiques et territoriaux des Mapuches.
– Recommander à l´Etat chilien de ne plus appliquer la justice militaire ni la Loi antiterroriste aux Mapuches qui se mobilisent et luttent pour défendre et récupérer leurs terres.
– Exiger du gouvernement chilien qu´il garantisse aux Mapuches des procès justes et équitables.
– Reconnaître que le peuple mapuche est un peuple persécuté et ainsi, reconnaître l´existence des prisonniers politiques et des citoyens prisonniers.

CE N´EST PAS LA CLÉMENCE QUE NOUS DEMANDONS, MAIS UNE VRAIE JUSTICE

HECTOR LLAITUL CARILLANCA
PRISONNIER POLITIQUE MAPUCHE

Traduit de l´espagnol par Ludivine Barbier