**AMY GOODMAN**: Kim Ives, je voudrais vous parler de l’ancien président Bill Clinton, actuellement l’envoyé spécial de l’ONU en Haïti. Le mois dernier, il a publiquement demandé pardon pour avoir au cours de son mandat forcé Haïti a baisser ses tarifs sur les importations de riz subventionné des États-Unis. Cette politique a anéanti la riziculture haïtienne et a gravement compromis la capacité d’Haïti à être autosuffisante. Bien, Clinton a présenté ses excuses le mois dernier, lors d’une audience devant la commission sénatoriale des relations étrangères.

**BILL CLINTON**: Depuis 1981, les Etats-Unis ont suivi une politique, jusqu’à l’année dernière ou à peu près lorsque nous avons commencé à la repenser, qui était que nous, les pays riches produisant beaucoup de nourriture, devrions la vendre à des pays pauvres et les soulager du fardeau de produire leur propre nourriture, pour que, avec la grâce de Dieu, ils puissent directement s’insérer dans l’ère industrielle. Cela n’a pas marché. Cela a peut être été bon pour quelques uns de mes fermiers de l’Arkansas mais cela n’a pas marché. C’était une erreur. C’était une erreur à laquelle j’ai pris part. Je ne pointe personne du doigt. Je l’ai fait. Je dois vivre tous les jours avec les conséquences de la perte de capacité de production des rizicultures en Haïti pour nourrir ces gens, à cause de ce que j’ai fait. Personne d’autre.

**AMY GOODMAN**: C’était l’ancien président Bill Clinton lors de son audition le mois dernier. Alors mercredi, Kim Ives a interrogé Bill Clinton au sujet de son changement d’attitude lors de la conférence des donateurs.

**KIM IVES**: Mais qu’est-ce qui a changé votre façon de penser pour vous pousser à présenter vos excuses l’autre jour sur les politiques alimentaires?

**BILL CLINTON**: Oh, je pense juste qu’il y a, vous savez, un mouvement tout autour du monde maintenant. C’était tout d’abord – j’ai d’abord vu Bob Zoellick dire la même chose, le directeur de la banque mondiale, quand il dit, vous savez, qu’à partir de 1981, les pays riches agricoles croyaient réellement qu’eux et les puissances agricoles émergentes au Brésil et en Argentine (les deux seuls endroits qui ont augmenté leur production par hectare de blé et de grain dans la décennie car ce sont les deux seuls endroits ayant plus de 6 mètres de couche arable), qu’ils ont donc vraiment cru pendant vingt ans que si vous déplaciez la production agricole là bas et que vous facilitiez son introduction au sein des pays plus pauvres, vous libéreriez ces derniers de leur dépendance aux aides en sautant le développement agricole pour s’engager directement dans l’ère industrielle.
Et cela a échoué partout où cela a été essayé. Vous ne pouvez pas simplement abstraire la chaîne alimentaire de la production. Et cela sape aussi la culture, ce dont la vie est faite, le sens de l’autodétermination. Et j’ai été impliqué durant plusieurs années dans les produits agricoles, principalement au Rwanda, Malawi, et d’autres parties de l’Afrique et maintenant de plus en plus en Amérique Latine, et je vois ça.

Donc nous pensions réellement que nous aidions Haïti quand nous avons restauré le président Aristide, nous sommes engagé à soutenir la reconstruction des infrastructures avec des unités du génie militaire et avons fait beaucoup d’autres choses. Et nous avons signé ce pacte avec le diable sur le riz. Ce n’était pas la chose à faire. Nous aurions dû continuer à oeuvrer pour les aider à devenir autosuffisants en agriculture. Et nous – c’est largement ce que nous sommes en train de faire à présent, nous pensons à la manière d’augmenter la production de café, d’autres types de production, comme la mangue – nous avons fait une annonce sur ça hier – les avocats, et beaucoup d’autres choses. Et donc –

**KIM IVES**: Qu’en est-il du retour d’Aristide, qui a été demandé par des manifestations à travers la rue encore aujourd’hui?

**BILL CLINTON**: Et bien, ce n’est pas dans mes attributions. C’est entre les mains des Haïtiens, y compris ceux qui ne manifestent pas.

**AMY GOODMAN**: C’était le président Clinton interrogé par Kim Ives. Kim Ives est dans les studios avec nous, avec Roger Leduc, animateur de radio et militant de KAKOLA, la Coalition haïtienne pour soutenir la lutte en Haïti. Juan?

**JUAN GONZALEZ**: Eh bien Kim, la répudiation par Clinton de son ancienne politique est réellement une déclaration sensationnelle, parce que, dans les faits, il renonce dans une large mesure à l’ALENA (Accord de libre échange nord américain), même s’il ne le dit pas, parce que l’ALENA a de manière évidente un impact majeur sur l’agriculture au Mexique, où des millions de personnes ont dû quitter leur fermes puisqu’elles ne pouvaient pas concurrencer le maïs américain submergeant le pays. Pensez-vous que cette politique sera véritablement mise en œuvre ?

**KIM IVES**: Ça c’est la question la plus importante Juan. Je pense que c’est beaucoup de bluff. Nous devons nous rappeler que nous ne sommes plus à l’ère de Bush, avec toutes ses démonstrations de force, « l’Amérique d’abord » et « le capitalisme en premier ». Maintenant c’est l’escroquerie, une approche plus enjôleuse, et ils enrobent leur message. Ils connaissent la sensibilité de la communauté haïtienne—je peux dire aussi celle de la communauté progressiste américaine —à toutes ces manœuvres. Et donc, ils maîtrisent le langage. Nous entendons le mot « solidarité ». Nous écoutons le mot « souveraineté ». Nous percevons les mots—nous percevons tous les mots justes. Mais une fois de plus, pour moi, c’est totalement du vent.

**JUAN GONZALEZ**: Et Roger, je voulais vous demander, au sujet du rôle du gouvernement haïtien, vous avez mentionné que le gouvernement a échoué de manière évidente dès le début – dans les répercussions. Il y a eu des appels, par exemple, de transparence sur ce qui est arrivé à l’aide originelle venue au pays. Quel est votre degré de confiance en la capacité du gouvernement haïtien d’assumer un rôle de partenaire majeur dans la distribution et l’exécution de cette aide ?

**ROGER LEDUC**: Il n’y a pas de confiance du tout. Je me référais au principe de reconnaissance du gouvernement qui a été élu par le peuple haïtien, même si le gouvernement a misérablement échoué, non seulement en termes de sa réponse à la catastrophe mais aussi avant cela. Ce que Préval s’est efforcé de faire était de rassembler la classe politique et de les mettre dans sa poche et puis de les livrer à la communauté internationale, surtout aux Etats-Unis, pour qu’ils puissent faire ce qu’ils avaient besoin de faire avec Haïti.

Avec la catastrophe, le programme qu’ils avaient déjà en tête, soit de capturer l’état haïtien, peut être accéléré. S’ils allaient le faire dans dix ans, la catastrophe est réellement une aubaine et une bénédiction, pour tout le monde, en réalité, pour les réactionnaires, pour les pouvoirs impérialistes, et aussi pour les progressistes haïtiens qui veulent saisir l’occasion de faire quelque chose, créer des forums publics dans tout Haïti et construire un mouvement populaire et national en partant de la base afin de dire « Nous sommes là, et nous avons besoin d’être impliqués. Nous devons être pris en considération. C’est notre pays. Et aucune reconstruction d’Haïti ne peut se faire sans nous».

C’est le moment clef. Après le carnaval des conférences et les merveilleuses démonstrations de soutien universel, maintenant passons aux affaires sérieuses. Allons-nous les laisser prendre le contrôle de notre pays pour trente, quarante ans, comme nous l’avons fait depuis 1915 ? Ou allons-nous relever le défi et, vous savez, surmonter les non-sens habituels et les contradictions secondaires que nous avons entre nous, pour réellement construire un socle national et faire ce que nous devons faire ?

Traduction : Wellesley In Translation (Claire-Marie Foulquier-Gazagnes, Xinyang Lei)