J’en ai eu le souffle coupé et je me suis sentie instantanément envahie par une émotion très forte. Je me suis approché de cet homme presque aussi distingué que l’était mon père, dans le style aristocratique comme lui. Rafa me présente à lui. Dans un premier temps, il ne semble pas saisir à qui il a à faire et me lance un *“Nice to meet you!”*. Mais quand il voit les larmes poindre dans mes yeux, il devient troublé et Rafa lui explique que je suis la fille d’un ancien ambassadeur suisse pris en otage par ses anciens camarades de lutte, à l’ambassade de République dominicaine à Bogota en 1980. Antonio Navarro n’a pas participé directement à l’assaut de l’ambassade mais en avait été l’un des *“cerveaux”* et suivait les opérations minute après minute depuis la jungle où il s’était caché.

Malgré ma pudeur et l’intimité de cet instant, nous décidons de filmer cette rencontre pour offrir ce témoignage à la paix et à la réconciliation. Dans un premier temps, Antonio Navarro est tendu et légèrement sur sa défensive. Puis, devant ma sincérité et mon désir profond de transformer les souffrances du passé en une énergie de paix et d’espérance, cet ancien guérillero capitule. Il me présente ses excuses et à ma famille. Il semble à son tour assez ému. Après de nombreuses tragédies dont la prise de plus de 300 personnes en otage sur le lieu de la Cour Suprême colombienne se soldant par une centaine de morts en 1985, le mouvement M-19 finira par déposer les armes et à renoncer à la violence pour se reconvertir en parti politique. *“Nous avions pris conscience que la violence ne conduit nulle part”* a-t-il expliqué pendant notre échange.

Nous nous prenons dans les bras. Le temps a suspendu son vol. Là encore, à cet instant, il n’y a ni victime ni bourreau, ni bon ni méchant. Il n’y a qu’une énergie d’amour qui répare tout. Et si c’était, entre autre, grâce à ce drame que je marche aujourd’hui et que j’ai trouvé du sens à ma vie?

En priorité, je souhaite dédier cette rencontre à ma grande soeur Diane qui, comme moi, a souffert de cet épisode de notre vie. Nous avions 14 et 18 ans et tous les jours, nous craignions pour la vie de notre père qui avait été séparé des autres otages, pour être tué le premier au cas où les autorités colombiennes ne répondaient pas aux revendications du commando. Finalement, la prise d’otage s’est achevée avec la libération des otages à Cuba, le jour de mon anniversaire, le 28 avril 1980.

Ensuite, je souhaite offrir ce témoignage à toutes les familles colombiennes qui ont été touchées et sont encore affectées par l’enlèvement ou la séquestration de l’un de leur proche. Selon David Nassar, coordinateur pour la Marche Mondiale en Colombie, de mémoire d’hommes, jamais une rencontre *“spontanée”* entre un membre de la famille d’un otage et un ancien preneur d’otage n’a été possible. *“Votre réconciliation représente un espoir immense pour tous”* m’a confié Tomy Hirsch, porte-parole de la Marche en Amérique Latine, encore stupéfait par ce dont il venait d’être témoin.

La vie m’offre l’un des plus beaux cadeaux de Noël. Je suis comblée de le partager avec ma grande sœur, ma famille et mes amis colombiens.

Antonio Navarro a achevé notre rencontre par ces mots: *”il n’y a pas un jour où nous ne parlons pas des derniers actes de violence dans notre pays. Il n’y a pas un jour où la violence ne vient pas frapper à ma porte. Cependant, aujourd’hui est un grand jour pour moi car, pour la première fois, c’est la paix qui est venue me rendre visite.”*