Nota de Pressenza francophone : Cet article a été écrit avant le 8 août. Ce jour, le sénat argentin n’a pas approuvé la proposition de loi sur l’interruption volontaire de grossesse : 31 votes en faveur, 38 votes contre. Il y a eu 2 millions de personnes dans la rue. Nous publions cet article, pour ce que cela a signifié et parce que le thème est toujours d’actualité car le monde a déjà changé, l’approbation formelle de la loi est une question de temps. Explications dans l’article ci-dessous :

C’est un moment historique important. Les yeux et le cœur de millions de femmes argentines et latino-américaines seront fixés ce 8A sur le Sénat argentin, où la loi sur l’interruption volontaire de grossesse sera débattue, déjà avec une demi-adoption à la Chambre des députés.

Une marée de femmes de tous âges s’apprête à descendre dans les rues pour veiller sur leur droit à décider, vêtues du mythique foulard vert qui flotte déjà comme un drapeau dans toute l’Amérique latine.

Un grand nombre d’arguments ont été avancés dans le débat qui a eu lieu au cours des sessions précédentes et ceux prévus pour le suivi parlementaire de la loi. La controverse – et puisqu’elle ne s’était jamais produite pendant la gestion macriste de l’exécutif – a transformé le parlement en un véritable forum et est devenu un échantillon étendu d’une véritable discussion démocratique, avec la participation d’organisations et de références sociales, d’universitaires, d’activistes, de points de vue différents et de différentes positions de la société.

Un débat qui a réussi à unir les opposants politiques, un aspect inattendu pour un gouvernement qui a fait de la place à l’installation de la question pour détourner l’attention et visait à diviser les alliés potentiels pour éviter une forte opposition à son programme antisocial.

La stratégie du gouvernement visait à créer un fossé entre les groupes d’opposition ayant des racines catholiques, en particulier dans le péronisme. Le tir de transcendance était également dirigé contre les mouvements sociaux de base que l’église romaine soutient afin de se réinstaller dans les secteurs populaires, et ainsi retrouver, au moins en partie, une influence qui était autrefois absolue, mais qui est maintenant partiellement déplacée par les légions pentecôtistes dans de nombreuses périphéries de la région.

Dans le même temps, l’activisme féminin – qui prétendait depuis longtemps que ni les espaces conservateurs, ni les progressistes, ni même les révolutionnaires n’avaient mis la question à l’ordre du jour politique – a tiré profit de l’espace et de la propagation de la clameur. Il a gagné les écoles, les foyers, la place publique.

Sortir la question de l’avortement de sa clandestinité forcée, socialiser sa réalité quotidienne, la dévoiler comme une problématique sociale, mettre en évidence l’inégalité qu’elle expose, tout cela été en soi une première grande victoire.

Et face à l’affaiblissement d’un patriarcat séculaire, une marée féministe déterminée s’incarne dans une majorité de la jeune génération et génère une pression suffisante. Cela a ouvert les portes à la possibilité imminente d’adopter une loi garantissant à toutes les femmes qui décident d’interrompre une grossesse non désirée, une protection médicale adéquate, le soutien de l’État et l’équité correspondante fournie par l’avortement gratuit et légal.

La sanction définitive de la Loi en Argentine – dont l’approbation pionnière dans la région correspond à celle de l’Uruguay – déclencherait un effet domino de proportions inéluctables en Amérique latine, massifiant la demande, plaçant la question parmi les priorités et mettant sous contrôle les gouvernements de toutes tendances politiques.

Il est probable que tout a déjà été dit dans les innombrables discussions qui ont eu lieu. Mais dans des circonstances aussi pertinentes que celle-ci, l’histoire nous demande de ne pas rester silencieux et de nous positionner, en laissant de côté toute prétention d’originalité ou d’exégèse.

Inégalité sociale – grossesse chez les adolescentes – inégalité sociale : un cycle désastreux

La grossesse non désirée est l’un des principaux moteurs parmi les causes de la pauvreté, de l’inégalité entre les sexes et de la privation de choix pour des millions d’adolescentes et de filles.

D’après les chiffres actualisés, 52 % seulement des femmes mariées ou en union libre dans le monde sont libres de prendre leurs propres décisions en matière de relations sexuelles, d’utilisation de contraceptifs et de soins de santé.

D’autre part, les grossesses non désirées se produisent beaucoup plus fréquemment dans des contextes de paupérisation et de ségrégation. Les données sont convaincantes : En Argentine, par exemple, selon une information du Centro de Implementación de Políticas Públicas para la Equidad y el Crecimiento (CIPPEC)*, neuf mères sur dix âgées de 15 à 19 ans appartiennent à 30 % des ménages à faibles revenus.

* Centre de mise en œuvre des politiques publiques pour l’équité et l’éducation.

La même communication indique que « 15% des bébés nés dans l’année ont une mère adolescente de moins de 20 ans » et que « 67% de ces grossesses sont involontaires ou non planifiées ». Dans la plupart des cas, la maternité précoce va de pair avec le décrochage scolaire : l’article cité indique que « 30% des femmes âgées de 15 à 29 ans qui ont abandonné le secondaire l’ont fait en raison d’une grossesse ou d’une maternité ». Cela réduit les possibilités de formation professionnelle et referme le cercle de la pauvreté, de la dépendance économique et de l’inégalité.

C’est l’image réelle de l’une des principales sources de reproduction de la misère et de violation de l’égalité des chances dans toute l’Amérique latine et dans le monde. La légalisation de l’interruption volontaire de grossesse non désirée est une contribution importante à la lutte contre l’exclusion et le retardement des femmes.

La prohibition tue, la culpabilité asphyxie

Nous ne dirons rien de nouveau en confirmant que de nombreux décès pourraient être évités en fournissant un cadre juridique pour les procédures d’avortement qui, lorsqu’elles sont pratiquées clandestinement, ne garantissent qu’un degré élevé de risque pour les femmes. Cela se vérifie à nouveau dans les couches les plus pauvres, dans les périphéries urbaines et dans les zones rurales.

La criminalisation d’un nombre important de femmes dans une situation compromettante est en soi un fait inacceptable. D’autant plus si le même fait, dans la plupart des régions du monde, est légalement garanti.

D’autre part, l’interdiction n’arrête pas ou ne minimise pas le nombre d’avortements. Simplement elle les cache, les exile, les complique.

Mais il y a peut-être une arme aussi mortelle ou plus meurtrière que celle qui est introduite dans l’argumentation anti-avortement, une substance invisible qui empoisonne intérieurement. Ce qui est infiniment plus douloureux, qui tue aussi, mais plus lentement. C’est la culpabilité induite. C’est l’accusation de meurtre inoculée par une moralité accusatrice et certainement hypocrite, à en juger par les actions d’un grand nombre de ceux qui la défendent et l’appliquent.

La culpabilité affaiblit, effraie et justifie la punition. En définitive la culpabilité est un mécanisme de contrôle. Un instrument de maintien de la soumission. C’est pourquoi la culpabilité est promue par ceux qui détiennent un pouvoir acquis sur la base d’impositions et qu’ils ne veulent pas perdre. Il est temps de mettre fin au tourment de la culpabilité. Elle est la vraie tueuse et ses complices sont ceux qui l’intensifient.

La loi qui permet l’avortement, en tant que norme démocratiquement sanctionnée, en tant que canon de la morale sociale acceptée, en tant que possibilité de choisir ses actions avec une plus grande liberté, est une contribution à la libération de la culpabilité et, par conséquent, au gain de la force intérieure et du bonheur, ce qui est sans contredit l’objectif de toute construction sociale évolutive.

 La lutte perpétuelle entre l’humain et le naturel.

En arrière-plan, la lutte sur la question de l’interruption volontaire d’un « événement naturel » se situe entre les défenseurs d’un droit naturel, donné, divin et inébranlable et ceux qui misent sur le développement humain sur la base de l’intentionnalité présente dans leur conscience et exprimée dans leurs actes. Entre un destin imposé et un futur construit à partir d’une impulsion interne. Entre un esprit d’esclave et une rédemption créative.

Il est juste de reconnaître que l’être humain est – paradoxalement « par sa nature même » – un transgresseur, un transformateur, un mécontent et un rebelle contre les conditions imposées par la nature elle-même. Dans sa réponse non automatique à tout événement quel qu’il soit, réside sa capacité à choisir et à changer ce qui est donné.

C’est l’éternelle lutte entre l’immobilité et l’intention transformatrice, cette dernière étant tôt ou tard irrévocable.

Progression historique des droits

Voir en perspective historique clarifie le tableau. Si l’on observe la progression historique de la conquête des droits, il est évident que l’avancement des droits des femmes est incontestable.

Il y eut une très longue période où les femmes n’étaient qu’un instrument de procréation, un simple appendice de la volonté masculine, qui décidait de globalement de la vie de chaque femme autour de lui. Un temps où il n’y avait pas de divorce, où il dépendait de la volonté masculine pour se réaliser. Un temps où une femme ne pouvait aimer qui elle voulait.

Il a fallu lutter avec détermination pour que la femme ait le droit de vote, d’être enregistrée en tant que propriétaire foncier, d’étudier ou d’exercer certaines professions. Être reçue dans tous les domaines avec déférence, respect et égalité de conditions. De nombreux obstacles ont été levés – quoique encore partiellement – pour que de plus en plus de femmes prennent des positions décisives dans les sphères politiques, syndicales et entrepreneuriales.

Bien qu’une grande partie de cette discrimination flagrante soit délaissée, il est important de se rappeler ce qui s’est passé. Non seulement pour se préparer résolument à réparer une telle injustice, mais aussi pour éviter d’entraver inutilement les transformations qui auront sans doute lieu. De plus, le fait d’avoir une vue d’ensemble encourage à devenir le protagoniste de ces changements. Les femmes qui militent aujourd’hui pour la promotion des droits sont des héroïnes historiques, comme l’étaient, sans aucun doute, les milliers de celles qui les ont précédées.

Que passe la loi ! Parce que c’est ce qu’exige l’avancement des droits et, en définitive, l’histoire.

 

Traduction de l’espagnol par Ginette Baudelet.