Pressenza Tokyo, 23/03/2011 La convention franco-indienne sur le nucléaire civil pourrait être plus durement touchée en raison du renforcement de l’opposition au projet d’électricité nucléaire de Jaipatur.

La crise au Japon ferait reculer des relations économiques bilatérales qui avaient atteint des sommets. Des ralentissements pourraient se produire dans certains secteurs, dans d’autres ce serait un arrêt des travaux.

Les relations indo-japonaises, très actives ces dix dernières années, qui étaient devenues un partenariat stratégique et mondial, perdront le dynamisme qu’elles avaient acquis récemment.
La convention projetée sur le nucléaire civil, aurait formé une avancée dans une relation bilatérale qui a connu plus de bas que de hauts (en particulier depuis la première phase d’or des années 50), les essais nucléaires indiens de 1998 l’ayant conduit à son niveau le plus bas.

Un virage fut amorcé avec la visite du président Clinton en 2000. Elle a rouvert les yeux des Japonais sur le potentiel de l’Inde et les a conduits à mettre de côté l’amertume causée par les essais nucléaires. Depuis lors il n’y a pas eu de recul, les engagements économiques, politiques et stratégiques se poursuivent à pleine vitesse.

Les sommets ministériels annuels, comprenant les deux premiers ministres, attestent de la puissance, de la profondeur et du potentiel de ces liens bilatéraux.

Bien que le volume commercial bilatéral ne soit guère impressionnant avec ses 10 milliards de dollars, si l’on y ajoute l’AOD (assistance officielle au développement, pour laquelle l’Inde est au premier plan dans le monde), les IED (investissement étranger directs) et les IIE (investisseurs institutionnels étrangers), le niveau de coopération économique est exceptionnellement élevé. Le seul autre pays qui atteigne ce niveau avec l’Inde est les Etats Unis. Ceci explique pourquoi le nombre de sociétés japonaises implantées en Inde a triplé de 250 à 750 ces cinq dernières années. De plus, deux initiatives japonaises de première importance – les corridors industriels Delhi-Mumbai et Chennai-Singapour – sont en cours de réalisation.
Avec la catastrophe, qui va mobiliser les ressources et efforts du Japon, tous les projets, en particulier ceux impliquant les sociétés de construction et d’infrastructure, seront touchés de plein fouet. La seule exception pourrait être le projet de corridor industriel Chennai-Singapour. La coopération stratégique et de défense va reculer, bien que les relations politiques aient atteint un niveau tel que des changements dans l’un ou l’autre pays ne devraient pas causer de mécontentement.

Bien que l’Inde puisse poursuivre les investissements de développement, le coup porté aux projets nucléaires civils menace plus que le développement de l’énergie et de l’infrastructure. Il pourrait inverser la tendance dans la poursuite de l’énergie nucléaire comme option énergétique et miner les pactes sur l’énergie nucléaire avec la France et les Etats Unis.

La technologie nucléaire japonaise est considérée comme la meilleure et la plus sophistiquée. C’est pourquoi GE, Westinghouse et Areva sont partenaires d’Hitachi, Toshiba et Mitsubishi. L’expertise, la technologie et les composants japonais sont au cœur de la plupart des équipements du nucléaire. C’est pourquoi les accords indiens sur le nucléaire avec les Etats Unis et la France peuvent être bloqués en l’absence d’un consentement japonais, lequel peut ne jamais venir en l’absence d’une convention bilatérale avec le Japon.

La catastrophe nucléaire de Fukushima peut raviver la mémoire de Nagasaki et Hiroshima, la libération de radiations, ainsi que les questions morales concernant les centrales nucléaires.
Une opinion traumatisée résisterait à la possibilité que Tokyo prépare une convention sur le nucléaire avec l’Inde dans un futur proche. Le sentiment dominant au Japon pourrait renforcer l’opposition à l’énergie nucléaire en Inde et dans le monde. Les oppositions en cours, comme celle contre le projet de Jaipatur, gagneront en urgence.

Le moratoire sur tous les projets nucléaires chinois, la fermeture par l’Allemagne de sept centrales nucléaires et les décisions des Etats Unis et de l’Inde de réaliser une vérification de sécurité ne vont peut-être pas augmenter la confiance du public. Au contraire, cela pourrait renforcer l’opposition déjà présente.

La question n’est pas vraiment celle de la sécurité des centrales nucléaires. C’est celle de l’opinion publique et de sa perception guidée par une charge émotionnelle. C’est néfaste pour l’Inde, pour l’avenir de l’énergie nucléaire et pour le modèle actuel de croissance et de développement.

Par Shastri Ramachandaran