Le 18 décembre, à l’occasion de la Journée internationale des migrants, une mobilisation nationale et internationale s’est déployée sous un mot d’ordre fort : « Une journée sans nous ». Une formule simple, mais percutante, qui invite à une expérience de pensée collective : que se passerait-il si, pendant une seule journée, les personnes immigrées cessaient de travailler, de produire, de soigner, de nettoyer, de livrer, d’accompagner ?
La réponse est immédiate. Une grande partie de la société se trouverait paralysée. Hôpitaux en tension, restaurants fermés, chantiers à l’arrêt, services de nettoyage absents, personnes âgées ou dépendantes sans aide, récoltes non assurées. Ce scénario n’a rien de théorique. Il révèle une vérité structurelle : les personnes migrantes sont indispensables au fonctionnement quotidien de l’économie et de la vie sociale.
Des travailleurs essentiels, mais invisibilisés
En France, comme dans de nombreux pays européens, les personnes migrantes sont surreprésentées dans les secteurs dits « essentiels ». Ces emplois, souvent pénibles, précaires et peu valorisés, ont pourtant été reconnus comme vitaux lors de la crise sanitaire. Soignants, aides à domicile, agents d’entretien, livreurs, ouvriers du bâtiment, travailleurs agricoles : beaucoup sont immigrés ou issus de l’immigration récente.
Pourtant, cette reconnaissance ponctuelle ne s’est pas traduite par une amélioration durable de leurs droits. Les conditions de travail restent difficiles, les salaires bas, et la précarité administrative pèse comme une menace permanente. Nombre de travailleurs et travailleuses vivent avec des titres de séjour temporaires, des procédures longues et opaques, ou sans papiers malgré des années de présence et de travail.
Des politiques migratoires déconnectées des réalités
La mobilisation « Une journée sans nous » met en lumière une contradiction majeure : la société a besoin des personnes migrantes, mais les politiques publiques continuent de les maintenir dans l’instabilité. Alors que l’économie repose sur leur travail, les lois migratoires se durcissent, rendant l’accès au séjour, au regroupement familial ou à la régularisation de plus en plus difficile.
Cette logique produit des situations absurdes et injustes : des personnes qui travaillent, cotisent et paient des impôts, mais qui peuvent perdre leur droit au séjour à la suite d’un changement d’employeur ; des familles séparées pendant des années ; des salariés exploités parce que leur statut administratif les empêche de faire valoir leurs droits.
Loin de lutter contre la précarité, ces politiques l’organisent. Elles fragilisent non seulement les personnes concernées, mais aussi l’ensemble du monde du travail, en tirant les droits vers le bas et en favorisant les abus.
Derrière les chiffres, des vies
Réduire les migrations à des statistiques ou à des débats sécuritaires efface l’essentiel : les parcours humains. Derrière chaque migrant ou migrante, il y a une histoire, souvent marquée par l’exil, la rupture, l’espoir d’une vie meilleure et la volonté de contribuer.
Il y a aussi des familles, des enfants scolarisés, des femmes enceintes, des personnes âgées, des jeunes engagés dans la vie associative ou syndicale. Beaucoup vivent dans des conditions de logement indignes, subissent le racisme, les discriminations et l’isolement social, tout en continuant à faire fonctionner la société.
Une mobilisation pour l’égalité des droits
À Paris et dans de nombreuses villes, la Journée internationale des migrants a été l’occasion de rassemblements, de manifestations, de prises de parole et d’actions symboliques. Les revendications portées sont claires et largement partagées par les collectifs, associations et syndicats mobilisés : régularisation des personnes sans-papiers, égalité des droits, accès effectif au logement, à la santé, au travail et à une protection sociale digne.
« Une journée sans nous » n’est pas un slogan de repli, mais un appel à la reconnaissance. Il rappelle que l’égalité des droits n’est pas un privilège, mais une condition de la justice sociale et du vivre-ensemble.
Repenser le récit sur les migrations
Cette journée est enfin une invitation à changer de regard. Les migrations ne sont ni une crise passagère ni une anomalie. Elles font partie de l’histoire humaine et continueront de structurer l’avenir. Plutôt que de construire des politiques fondées sur la peur, il est urgent de bâtir des réponses basées sur l’accueil, la solidarité et la dignité.
Reconnaître pleinement la place des personnes migrantes, c’est reconnaître une réalité déjà là. Sans elles, la société ne tient pas. Avec elles, elle peut devenir plus juste, plus humaine et plus solidaire.









