Il faut penser et construire un
Nouveau monde capable de garantir
l’eau, la nourriture, la santé,
la sécurité commune, la justice, la fraternité, la paix.
Le reste, technologie et finance, est instrumental.

L’enjeu, la vie planétaire

Pour essayer de faire face à l’actuelle crise planétaire de la vie, il faut être guidé par des visions globales et par un esprit de responsabilité collective. Ce n’est pas seulement une question de l’accès économique à l’eau en Afrique sub-saharienne ou de la lutte contre les inondations au Pakistan et au Bangladesh, ou des infrastructures pour l’assainissement des eaux usées dans les grandes mégapoles de l’Inde et de l’Amérique latine. Ce n’est pas non plus, une question de savoir qui financera les investissements pour sauver les populations des villes côtières suite à l’élévation du niveau des mers à cause de la fonte des glaciers et des calottes polaires, ou pour protéger l’eau des nappes phréatiques pour garantir l’eau potable aux humains face aux menaces d’assèchement des nappes en raison des énormes prélèvements d’eau actuels et aux gaspillages. Ni, enfin, de la lutte contre la pollution chimique générale des eaux de la Terre.

C’est tout cela en même temps, avec tant d’autres questions dramatiques, qui requièrent des actions résolutives radicales.

L’enjeu planétaire de la vie c’est : comment recréer les conditions de sécurité de la vie pour tous les habitants de la Terre (toutes espèces vivantes comprises), en renversant les tendances actuelles imposées par les dominants. Ceux-ci

a) acceptent comme inexorable la grande injustice mondiale de l’inégalité structurelle dans le droit à la vie et à la dignité humaine. D’où leur abandon, même formel, de l’objectif de l’éradication de la pauvreté ;

b) considèrent impossible de modifier le changement climatique, et pour cause, car ils en sont responsables, et proposent uniquement une double stratégie : celle de la mitigation de ses effets néfastes et celle de l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques terrestres ;

c) donnent, au contraire, la priorité des priorités à l’objectif de sortir gagnants de la lutte entre eux pour la suprématie mondiale dans la course à la réindustrialisation du monde sous l’impulsion de la nouvelle révolution scientifique et technologique de l’ère de l’Intelligence Artificielle.

Ce faisant, ils ont changé la nature de l’enjeu, leur système n’est pas mis en question : ils cherchent même à faire croire que la clé de sortie de la crise est dans la reconfiguration du capitalisme global par l’IA.

De facto, ils proposent de continuer la guerre des riches aux pauvres sur d’autres bases et par des moyens renforcés !

Ainsi, ils aggravent les conditions de la guerre-génocide d’Israël contre les Palestiniens, qui continue de manière horrible, dans le but de parvenir à leur extermination et expulsion totale. Il en va de même de la guerre entre les pays de l’OTAN/UE et la Russie, dont l’escalation militaire est donnée comme inexorable (sic !), ainsi que de la guerre technologique : et commerciale des États-Unis contre la Chine et celle, coloniale contre les pays d’Amérique latine qui n’obéissent pas aux USA.

On assiste également à l’accentuation des famines et des guerres en Afrique, pour ne pas parler des abus intolérables du droit international et de la coexistence pacifique entre les peuples de la Terre commis par ce repris de justice qu’est l’actuel président des États-Unis.

C’est dans le contexte de cet enjeu planétaire que nous avons nourri nos travaux sur le futur de l’eau et avons cherché à définir les grandes lignes d’une nouvelle politique mondiale de l’eau source de vie.

La Perspective Horizons 2048

Nous nous sommes situés dans une perspective à terme relativement longue, un quart de siècle, même si l’accélération des temps dans le domaine technologique donne l’impression que tout « change » rapidement. Les temps sociétaux sont différents et sont, le plus souvent, plus longs.

Le choix de Horizons 2048 signifie penser le devenir de la Terre, en particulier de la sécurité de vie pour tous, d’ici 2048, 100 ans après la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de l’ONU ainsi que 400 ans après le Traité de Westphalie (1648) qui donna naissance au principe et à l’ère de l’État souverain encore en vigueur de nos jours et qui est devenu un facteur bloquant le devenir de l’Humanité dans des logiques contradictoires.

L’Horizon des droits universels à la vie dans l’égalité et la justice

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme fut un document politique fortement inspiré par le bagage culturel et idéologique des pays du monde occidental. Malgré cela, elle a été la première déclaration de la « communauté inter-nationale » proclamant l’importance des principes dits « universalistes » bien que filtrés par les conceptions des sociétés « nationales » (« Nations » Unies). Elle a été améliorée à partir des années ’70 concernant le champ des droits couverts (humains, civils, économiques, sociaux, culturels, politiques…) et des sujets titulaires (hommes, femmes, enfants, peuples indigènes, autochtones, migrants, travailleurs…). Suite à la fin de la Guerre froide, elle a contribué de manière plus ou moins efficace à la promotion de l’État de Droit et des Droits « universels ». La Déclaration reste ainsi un des éléments clés sur lesquels définir la conception et la réalisation d’une nouvelle configuration de la société et du monde, aux Horizons 2048.

L’horizon de la responsabilité, de la solidarité et de la paix, au-delà des souverainetés des Etats et des groupes sociaux mondiaux les plus forts, prédateurs des plus faibles et des biens communs mondiaux essentiels à la vie.

Le principe de l’État souverain a affirmé la souveraineté de l’État, et plus spécifiquement de l’État «national», entendant par « souverain », le fait que le pouvoir de l’État est « au-dessus de tous », soumis à aucun autre sujet de pouvoir (la sécularisation de l’État vint plus tard).

Au départ, la souveraineté ne représenta pas, à court terme, une grande révolution, mais avec la révolution française et la révolution américaine, la souveraineté des Etats signifia un grand changement. Grâce, en particulier, à la révolution française qui parla davantage de peuple que de nation, la souveraineté a étendu le rôle de l’État à la sauvegarde et à la promotion de la liberté et des droits des citoyens ainsi qu’au pouvoir du peuple (démocratie.

Puis, à l’ère des nationalités (au XIXe siècle) et de la décolonisation (au XXe siècle), elle favorisa le principe de l’autodétermination de tous les peuples dans l’égalité et donna également légitimité aux luttes de libération/indépendance nationale. Enfin, l’État social du « welfare », promu surtout après la Deuxième guerre mondiale sous la pression du socialisme international de la classe ouvrière, a été l’une des conquêtes politiques et sociales les plus importantes au plan de la sécurité et de la dignité des êtres humains des 150 dernières années.

Entre-temps, cependant, le principe de l’’État souverain s’est souvent imposé au nom de la nation par un État oligarchique, conquérant, colonial, au service surtout des intérêts des groupes sociaux riches, dominants, un État oppresseur des libertés citoyennes et promoteur de l’injustice et des inégalités jusqu’aux formes extrêmes d’État fasciste voire « nazi » et « social-dictatorial ».

Aujourd’hui, l’État national a vendu sa « souveraineté » aux groupes forts multinationaux du business et de la finance capitalistes privés, vendant aussi la souveraineté et l’indépendance des peuples. La souveraineté, devenue celle des groupes oligarchiques les plus puissants au monde, constitue désormais le facteur clé de blocage à toute régulation de la vie planétaire sur des principes inspirés par la coopération, le respect, le bien- être collectif et la sécurité de tous les habitants de la Terre.

En Europe, la souveraineté semblait sur la voie de sa fin dans les années soixante suite à la création des Communautés européennes. Elle est revenue, hélas, avec force par la création du marché unique intérieur en 1992 (Traité de Maastricht) et le changement de dénomination de l’Europe, de « Communauté Européenne » à « Union Européenne » des Etats.

Certes, la souveraineté alimentaire, énergétique et hydrique des pays appauvris et des autres pays du « Sud du monde » donne l’impression d’être un bon choix. Mais, de facto, cela se traduit, en raison de la faiblesse politique, économique et technologique de la grande majorité des pays du Sud, par une plus grande dépendance et soumission à la mainmise sur leurs ressources par les intérêts des grands groupes économiques et technologiques puissants des Etats du Nord du monde. La souveraineté et l’indépendance des pays du Sud ne peuvent être réalisées qu’en tant qu’un objectif d’une communauté d’intégration de programmes, institutions et moyens coopératifs entre eux. Cela, dans la perspective de contribuer aussi à l’institutionnalisation de la communauté globale de vie de tous les habitants de la Terre.

Bref, la souveraineté/indépendance reste l’apanage des puissants, des oligarchies mondiales. Et cela est contraire aux intérêts de la population mondiale, y compris des citoyens des pays du Nord où, effectivement, les inégalités sociales et les injustices augmentent aussi.

Les Objectifs de la politique planétaire de l’eau

A la lumière de ce qui précède, la vision de la politique planétaire que nous proposons est fondée sur deux conceptions de la vie, de la société et du monde :

  • La vie, dont les êtres humains font partie, est un bien/don de l’évolution de l’univers à laquelle nous contribuons de plus en plus activement au niveau de notre « petite » Planète. Toute politique humaine de la vie doit être guidée par le principe des droits universels à la vie de tous les habitants de la Terre et de la sauvegarde des droits de la vie, dans la justice et l’égalité.
  • La politique de la vie ne signifie pas le pouvoir de la part des sociétés humaines de s’approprier de la vie de la Terre à titre privé et pour des usages prédateurs. Nous ne sommes pas propriétaires de la Terre. Notre pouvoir signifie surtout que nous sommes responsables, individuellement et collectivement, de la sauvegarde de la vie et de son intégrité. Cela sans « seigneurs souverains », empereurs, oligarchies financières et technocratiques, mais par les peuples de la Terre et les citoyens, dans la solidarité, la coopération et la paix. Les guerres entre nous, comprises les guerres de l’eau pour l’or bleu et les guerres contre la nature sont des phénomènes pervers à éradiquer de l’histoire de la vie.

La politique planétaire d l’eau

Objectif 1. Reconstituer le fondement de la sécurité de la vie de la Terre en commençant par l’arrêt total des émissions de gaz à effet de serre.

Objectif 2. Mettre fin à l’empoisonnement chimique des eaux.

Objectif 3. Abolir les brevets sur le vivant et sur l’IA à titre privé et à but lucratif. La connaissance doit redevenir bien commun public mondial.

Objectif 4. Pour une Charte Planétaire des Biens Communs Publics Mondiaux. L’eau, la santé, la connaissance, l’air, l’alimentation, le logement, l’énergie solaire, la sécurité… sont des biens communs publics mondiaux.

Objectif 5. Pour une Nouvelle Architecture Financière du monde, « La Caisse Commune Planétaire ». Libérer l’eau et l’ensemble des biens communs essentiels pour la vie, de la financiarisation et de la technocratisation conquérantes.

Objectif 6. Création du Parlement Planétaire de l’Eau, expression et lieu de l’exercice de la souveraineté partagée des habitants de la Terre.

Objectif 7. Arrêter l’étouffement des fleuves, des lacs, des zones humides (« artères de la Terre ») par les grands barrages.

Objectif 8. Stopper la « pétrolisation » de l’eau, en général, et la « cocacolisation » de l’eau minérale naturelle, en particulier, sources de prédation et de pollution aux plastiques.

Objectif 9. Déclarer illégale la pauvreté/exclusion. Il est inacceptable que le pouvoir d’achat soit la clé d’accès au droit à l’eau et aux autres droits universels. La gratuité des droits à la vie, c’est la justice entre égaux.

Objectif 1. Reconstituer le fondement de la sécurité de de la vie de la Terre, avant tout, par l’arrêt total des émissions de gaz à effet de serre

Au lieu de diminuer, les émissions mondiales de CO2 sont toujours en hausse. Conséquence, notre budget carbone (ou la quantité de CO2 que nous pouvons encore émettre) s’épuise plus rapidement que prévu. Des lors, l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est déjà un échec car la limite vient d’être dépassée ! (1).

C’est inadmissible, car les émissions ne sont pas dues principalement à des phénomènes naturels (telles les variations des rayons solaires). Comme déjà mentionné, elles sont le résultat de l’action des humains, une conséquence d’un système économique fondé sur l’utilisation d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel, …).

Le point de départ de la reconstitution de la sécurité de la vie terrestre est : arrêter les émissions de gaz à effet de serre et développer un système économique fondé sur des énergies dites renouvelables, telles que l’énergie solaire, l’éolienne, la biomasse. Cela de manière sobre (d’où l’importance de l’épargne, de la réduction des ressources utilisées), coopérative et solidaire. Le renouveau du climat terrestre passe par la restauration du cycle de l’eau.

L’inévitable réduction/élimination des émissions à effet de serre est de plus en plus urgente, malgré la féroce opposition des groupes économiques dont la puissance et la richesse ont été et restent fondées sur l’exploitation des énergies fossiles.

La majorité des Etats de l’ONU doit proclamer que devant l’impératif de la sécurité collective planétaire qu’il n’y a pas de souveraineté ni de liberté des Etats, des entreprises, des marchés actionnaires, des technologies. Même la Global Water Intelligence (GWI) a affirmé « Ultimately the cheapest solution is zero emission » (2).

En plus des terribles désastres en cours, toujours plus graves et fréquents, on assiste à une accélération de la fonte des glaciers et des calottes polaires ainsi qu’à une dégradation intense des océans qui risquent, toutes deux, de devenir irréversibles et irréparables.

Les glaciers et les océans sont essentiels à la vie de la Planète. Les glaciers renferment environ 170.000 km³ de glace, représentant près de 70 % des réserves mondiales d’eau douce : « Plus de 2 milliards de personnes, y compris de nombreuses populations autochtones, dépendent de la fonte des glaciers et de la neige pour leur approvisionnement en eau douce » (3). Quant aux océans, un chiffre inquiétant : « chaque année entre 10 et 15 millions de tonnes, sont déversés dans la mer » (4).

Aujourd’hui, le problème du non-arrêt des émissions de CO² est aggravé par le fait que les deux principaux émetteurs de CO² au monde, les USA et la Chine, poursuivent des stratégies économiques et énergétiques totalement opposées. La Chine est favorable aux objectifs de l’Accord de Paris (2015). Les États-Unis y sont farouchement opposés. Ils sabotent même les initiatives des autres Etats. En outre, ni les États-Unis ni la Chine n’ont choisi leur stratégie énergétique en considération d’impératifs environnementaux et sociaux, mais pour des raisons dictées par leurs intérêts économiques et géostratégiques (5). La Chine a, en tout cas ces dernières années, réduit ses émissions de CO² tandis que les États-Unis les ont augmentées.

On voit mal les voies de sortie rapide de cette impasse. L’Europe ayant aussi glissé dernièrement vers des positions plus accommodantes avec le monde du business et de la finance. (Voir Objectif 2). L’inversion totale en faveur des ressources énergétiques alternatives doit être systématique et plus rapide. Ce n’est pas seulement une question de modifications énergétiques sectorielles, ni de mutations environnementales-économiques. C’est l’ensemble du système de vie qui est en question. Nous sommes, de fait, en présence d’une véritable guerre sociale des riches, les enrichis, contre les pauvres, les appauvris, anciens et nouveaux. C’est pour cette raison que l’inversion est non seulement une obligation morale et pratique mais aussi une obligation politique juridique (6).

 

Objectif 2. Mettre fin à l’empoisonnement chimique des eaux de la Terre :

a) en mettant au ban tous les polluants (pesticides, contaminants pharmaceutiques, les PFAS …) et,

b) en faisant approuver la création d’une autorité planétaire, le Conseil Planétaire des Citoyen(ne)s pour la Sécurité de l’Eau, sous la responsabilité, le contrôle et le suivi du Parlement Planétaire de l’Eau (voir Objectif 6).

La création du Conseil devrait être approuvée par la majorité des Etats de l’ONU, lors de la nouvelle Conférence de l’ONU sur l’eau en décembre 2026. L’initiative pourrait être prise sous l’impulsion de nombreux parlements nationaux et le soutien de plusieurs centaines de communautés locales.

Il faut interdire toute pollution chimique qui porte atteinte à la sécurité de la vie. Comme vient de l’établir la Cour Internationale de Justice, « Contaminer les eaux est un délit » (7), « il est interdit de polluer », doit prévaloir sur le principe, « pollueur payeur ». Il faut assurer avant tout la sécurité de la vie réalisant d’importants programmes internationaux de coopération pour l’utilisation massive et rapide de produits alternatifs.

Certains pays, peu nombreux encore, ont approuvé des textes législatifs sur l’interdiction des polluants. Ces premiers pas restent, cependant, plutôt timides. Ils admettent beaucoup d’exceptions et maintiennent d’importantes ambiguïtés, au nom(alibi) de la défense de la compétitivité et des intérêts des entreprises du pays. Les logiques économiques dites « nationales » prédominent toujours sur la santé des humains et de la nature.

Dans cette perspective, un impératif majeur doit être d’investir massivement dans le sauvetage des océans. Surchauffés, surexploités, pollués, les océans sont en danger. Les causes sont principalement : la surpêche, la convoitise des entreprises concernant les minerais qui gisent dans les grands fonds des océans, la pollution plastique qui se révèle de plus en plus dangereuse, les canicules… (8).

L’échec en juin 2025 de l’approbation du Traité international sur les plastiques, dans lequel une bonne partie de la population mondiale avait mis tant d’espoir, (9) montre encore une fois l’irresponsabilité et l’incapacité des groupes dominants du monde à agir pour le bien commun et les droits de la vie pour tous, générations futures comprises. De fait, la lutte contre la pollution chimique globale rencontre de grosses difficultés en raison de l’alliance/complicité entre les pouvoirs politiques et le monde du business et de la finance (10).

Pour asseoir sur des bases solides la poursuite des deux premiers objectifs, il faut s’attaquer au choix politique fondamental opéré par le système dominant « occidental », dont on a parlé dans la première partie, à savoir la brevetabilité privée de la vie à but lucratif.

 

Objectif 3. Abolir les brevets sur le vivant et sur l’IA à titre privé et à but lucratif. La connaissance doit redevenir un bien commun public mondial sous la responsabilité directe de la communauté de vie globale de la Terre représentée par l’Humanité (via, entre autres, l’OMC-HT, ci-après).

Maintenir les brevets signifie que les Etats attribuent la propriété et le contrôle de la vie à des sujets privés dont le seul objectif qui compte est de sauvegarder leurs intérêts et leur puissance.

Selon le rapport 2024 de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) plus de 120.000 brevets ont été octroyés ces dernières années dans les domaines du vivant et de l’IA (11). Or, ce qui inquiète le monde occidental, notamment les Etats-Unis, ce n’est pas la marchandisation et la privatisation prédatrices des connaissances, mais le fait qu’entre 2014 et 2023, plus de 38.000 innovations GenAI (IA générative) sont venues de Chine, sur un total de 54 000, alors que les Etats-Unis occupent la deuxième place avec seulement 6.276 brevets déposés (12).

Les grandes opportunités et les grands dangers et dérives des applications de l’IA imposent que l’on mette en place un système mondial public de régulation et de sauvegarde de la connaissance en tant que bien commun mondial. Le Règlement européen sur l’IA va faiblement dans cette direction (13). En outre, compte tenu que l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), créée en 1994, est indûment le principal organisme international régulateur des brevets (sic !), il faut remplacer l’OMC par un nouveau Traité sur le Commerce et, en outre, créer une nouvelle institution, l’Organisation Mondiale de la Connaissance Bien Commun des Habitants de la Terre (OMC-HT).

 

Objectif 4. Pour une Charte Planétaire des Biens Communs Publics Mondiaux, (CP-BCPM).

Il faut faire reconnaître par l’ONU que l’eau pour la vie est un bien commun public mondial non appropriable à titre privé et que cela vaut aussi pour l’air, l’énergie solaire, l’énergie éolienne, la connaissance, l’alimentation, la santé, le logement, les transports collectifs, l’éducation.

La Conférence des Nations Unies de 2026 doit être l’occasion de reconnaître le droit de l’eau elle-même à la vie, à son intégrité, en conférant aussi la personnalité juridique aux masses d’eau, aux fleuves, aux lacs et aux zones humides, (voir également à ce sujet l’Objectif 8).

Actuellement, ces biens et services sont séparés, émiettés, et c’est un non-sens de laisser à la rivalité, à la compétitivité, à l’appât de l’argent et de la puissance la régulation de l’accès à l‘eau potable, à l’énergie, à la santé, à la connaissance, aux transports publics, au logement.

Les marchés, en particulier les marchés financiers, ne connaissent pas de droit sinon celui des propriétaires de capital. Les marchés financiers ne savent pas ce qu’est la justice.

Les dominants ont prétendu que la propriété publique ou privée n’est plus un facteur de différenciation pertinent dans le domaine des relations entre les êtres humains, l’important c’est la modalité (en commun ou pas) de la gestion des biens et des services. Ils ont aussi imposé l’idée que ce qui est commun ne peut pas être défini a priori. Il dépend de la volonté consensuelle entre les personnes et les groupements humains qui décident de gérer un bien ou un service ensemble, selon des règles communes fixées de commun accord (Thèse du Prix Nobel de l’économie 2009, Elinor Ostrom, USA) (14). Enfin, ils ont légiféré que des entreprises privées, même cotées en Bourse, peuvent gérer des biens et des services communs mondiaux essentiels à la vie sous la délégation directe des autorités publiques. Pratiquement, le concept de gouvernement public des biens et des services ne fait plus partie, dans la majorité des cas, de la culture et de l’agenda politique de nos pays. II faut rétablir le caractère public du pouvoir politique de nos sociétés (15).

La reconnaissance par l’ONU des biens communs publics mondiaux et, en particulier, de la personnalité juridique des corps hydriques, ne sera, hélas, pas suffisante, car le pouvoir d’influence de l’ONU sur le monde du business et de la finance est en baisse depuis les années ‘90. C’est le contraire qui s’est imposé par la signature en 2000 du Global Compact 2000 par l’ONU (16) autorisant les grandes entreprises privées multinationales à être associées à toutes les activités onusiennes, sans droit de veto.

Le constat est incontestable : le système économique actuel est bon uniquement et en partie pour les Etats puissants et les couches sociales riches. La monnaie n’est plus un instrument public de régulation. Elle est tombée sous l’emprise du monde du business et de la finance. L’État n’a plus de pouvoir souverain effectif en matière de politique monétaire : ce sont les grandes entreprises mondiales (principalement privées, mais aussi étatiques) qui fixent la valeur de l’argent dans les marchés, les Banques centrales se limitant à réagir sur le taux d’intérêt vers le bas ou vers le haut (17). C’est pour cela que la valeur d’une entreprise se mesure aujourd’hui en fonction de sa capitalisation boursière car plus ses actions sont bien cotées plus son influence sur les marchés est élevée et son pouvoir politique est grand (18).

L’une des conséquences les plus délétères de la financiarisation de la vie et de la nature est la perte de rôle des collectivités locales, notamment les Communes. Responsables et garantes en principe de la sauvegarde et de la promotion de base des biens communs publics essentiels pour la vie, les Communes ne sont plus en mesure de l’être et leur autonomie financière n’est plus assurée. Elles sont à la merci des détenteurs privés de capitaux et doivent s’endetter sur les marchés des capitaux. C’est paradoxal, mais leur identité territoriale, voire l’identité sociétale, est davantage nourrie et vécue par l’équipe locale de football, de basketball, de rugby (les « sponsors ») que par le système d’éducation, les transports collectifs locaux, les services de santé, le gouvernement de l’eau et le plein emploi ! Les Communes sont réduites à être surtout des terminaux efficients de la gestion des services locaux en conformité aux principes, objectifs et standards globaux des plateformes de conception et de propriété des nouveaux « seigneurs de l’IA ». Adieu « communautés de base », « démocratie locale », « futur commun ».

 

Objectif 5. Pour une Nouvelle Architecture Financière Planétaire (NAFP). Libérer l’eau et l’ensemble des biens communs essentiels pour la vie, de la financiarisation et de la technocratisation conquérantes, facteurs d’aggravation de la prédation de la vie et des inégalités sociales.

L’eau n’est pas « l’or bleu ». L’ONU doit l’affirmer avec force. L’eau n’est pas non plus un « avoir financier ». C’est encore pire. L’eau n’est pas la « propriété » des classes dominantes. C’est absurde. L’eau, c’est la source de la vie globale de la Terre dont nous faisons partie et sommes responsables au nom de tous les Habitants de la Terre, au-delà du dualisme nature/êtres humains.

Il est absolument illusoire de penser que le système financier actuel, de plus en plus transformé par les logiques conquérantes technocratiques de la révolution de l’IA, inspirées par la culture des « Stars Wars » et du « Seigneur des anneaux », puisse songer à promouvoir une finance au service du bien-vivre matériel et immatériel de tous.

Au lieu de protéger la nature et sa biodiversité, la réduction de la nature à des actifs financiers autorise la biopiraterie planétaire selon des formes nouvelles. A la base de la nouvelle aristocratie technocratique en consolidation, il n’y a pas l’IA mais le choix idéologique des humains dominants de la société capitaliste qui ont réduit la nature à des avoirs financiers et la vie, en général, à des marchandises.

Pour « les seigneurs de l’IA » actuels, l’existence de plus de 4,5 milliards d’êtres humains sans couverture de base sur leur santé n’est pas un problème majeur. Elle n’est pas en train de modifier leur « algorithme » financier ! Il en est de même du génocide des Palestiniens par le gouvernement actuel d’Israël.

Le cas est différent en ce qui concerne la raréfaction quantitative et qualitative de l’eau. La finance, on l’a vu, poursuit avec grand intérêt les opportunités ouvertes pour la croissance des marchés mondiaux de l’eau, en particulier dans les domaines du traitement des eaux usées et leur recyclage, dans la potabilisation de l’eau, le dessalement de l’eau des mers, la digitalisation de la gestion de la distribution facturation à distance, détection des fuites à distance, services aux clients. L’argent ira toujours plus dans ces domaines car leur rendement financier est particulièrement élevé (19). Même intérêt pour les volumes énormes d’eau, en expansion partout, dont les data centers ont besoin pour le refroidissement de leurs centrales. Comme signalé déjà dans la note (6), les data centers sont tellement assoiffés que leur implantation se traduit par un véritable assèchement des nappes phréatiques au détriment des besoins en eau potable des ménages et des autres activités économiques essentielles pour la vie. Résultat : les habitants d’un nombre croissant de localités sont désormais en lutte contre la création des datacentres dans leur territoires (20).

La fonction fondamentale de l’IA est d’optimiser la valeur publique des activités essentielles pour la vie, en particulier la fonction financière dans sa double composante, l’épargne et ’investissement dans l’intérêt général et pour le bien commun.

A cette fin, nous proposons, d’une part, la création d’une Agence planétaire de l’Intelligence artificielle, en charge d’assurer, mutatis mutandis, les fonctions de suivi, stimulation et contrôle exercées à ce jour, par exemple, par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, et, d’autre part, la mise en place de La Caisse Commune de la Planète, dont la première initiative serait, grâce aussi aux moyens d’info-communication permis par l’IA, de lancer une campagne-populaire pour « Dix millions de citoyens pour 100 millions de citernes d’eau ». Cette campagne serait la première dont le but concret et symbolique serait de confirmer que le sentiment de faire partie d’une communauté mondiale peut permettre d’adopter des solutions partagées à la crise de la vie actuelle.

 

Objectif 6. Création du Parlement Planétaire de l’Eau (PPEau), expression institutionnalisée de la conscience d’appartenance à une « communauté mondiale de vie », l’Humanité, et lieu de l’exercice du pouvoir de responsabilité collective des citoyens et peuples « Habitants de la Terre ».

Face à la gravité de la crise mondiale de l’eau et de la vie de la Terre, il faut insister sur la primauté du pouvoir de responsabilité collective plutôt que du pouvoir de souveraineté des citoyens et des peuples « Habitants de la Terre ». A cette fin, il faut que nous nous dotions d’instruments d’action exceptionnels, appropriés, à la mesure des enjeux et des responsabilités collectives. L’accent mis sur le leadership mondial est une négation des droits universels à la vie des Habitants de la Terre. Il fait partie du domaine de l’injustice.

Il n’y a pas de Communauté de vie globale de la Terre sans l’institutionnalisation multiforme de l’Humanité en tant que sujet juridique et politique garant de la sauvegarde et des soins de la vie de la Terre. Le domaine de l’eau se prête de manière idéale à être le symbole concret d’une institutionnalisation de l’Humanité et des biens communs publics mondiaux essentiels pour la vie de tous les habitants de la terre.

Malgré leurs nombreuses limites et insuffisances, l’Assemblée générale onusienne, les parlements continentaux pluri-territoriaux (Parlement européen, Parlatino…) et les nombreuses organisations de coopération entre les bassins binationaux et plurinationaux du monde, montrent que la mise en route d’un Parlement planétaire est indispensable et possible.

Certains, au sein du système dominant, pensent que le PPEau n’est pas nécessaire car le Forum Mondial de l’Eau, mis en place en 1997 par le Conseil Mondial de l’Eau créé en 1995-6 (21), est devenu en 30 ans la plus puissante organisation internationale en matière de politique de gestion économique et technologique de l’eau selon la formule du Partenariat Public Privé. Un rôle formellement validé par l’ONU via la création en 2007, dans le cadre du Pacte global de l’ONU, du CEO Water Mandate (Le mandat sur l’eau des chefs d’entreprises) confiant au monde des entreprises privées la tâche d’élaborer une proposition pour une politique mondiale de l’eau (22). Le Forum Mondial de l’Eau exerce une influence hégémonique à l’échelle mondiale, mais selon les logiques de l’économie capitaliste de marché, et dans les intérêts des grandes coalitions oligopolistiques, technocratiques financières mondiales. D’ailleurs, au cours de ces 30 dernières années, il n’a pas empêché la crise mondiale de l’eau et Il a contribué à renforcer et à globaliser l’emprise des intérêts des grandes entreprises/instituions privées sur les politiques nationales et internationales de l’eau.

Dans ce domaine, l’ONU devrait revoir ses positions et former un Groupe Constituant pour un Parlement planétaire de l’Eau. Au cas où des membres du Conseil de Sécurité de l’ONU devaient mettre le veto, il reviendra à une coalition d’États de prendre l’initiative, avec le soutien de milliers d’ONG actives dans les domaines de l’eau, des droits universels et des biens communs mondiaux (23).

 

Objectif 7. Arrêter l’étouffement des fleuves, des lacs, des zones humides (les « artères de la Terre ») à cause des grands barrages.

S’écouler est le propre de l’eau, environ 60.000 barrages ont altéré la texture et le bon fonctionnement des « artères » hydriques de la Planète. Exemple fort connu : le Colorado. Un nombre important des « artères » s’étouffent et, empoisonnement chimique aidant, se meurent. Plus de 19.000 grands barrages vétustes sont à risque élevé d’effondrement avec des conséquences humaines et environnementales dramatiques (24). La Turquie a construit 61 grands barrages sur les fleuves jumeaux, le Tigre et l’Euphrate (25). La Chine possède le record du nombre de barrages les plus gigantesques, comme celui des Trois Gorges. Et, contrairement à sa tendance actuelle en faveur d’un développement durable, elle a décidé d’en construire un encore puis gigantesque, trois fois plus puissant, le barrage Motuo dans le plateau du Tibet (26). L’’Afrique, de son côté, cherche à suivre ses pas (27) avec le soutien de la Banque mondiale. Au lieu de les construire, la priorité doit être donnée à leur démolition et réadaptation. Bon signe : plus de 1.900 (500 en Europe) projets de démolition ou de réaménagement de vieux barrages et autres barrières sont en cours de réalisation (28).

La construction des barrages entraîne, entre autres effets dévastateurs, la réduction de la circulation normale de l’eau dans le corps de la Terre. Au cours des années, le débit se réduit, les fleuves ne portent plus leurs eaux à la mer, la salinité de leur delta augmente dangereusement, les poissons disparaissent… Qui plus est, l’eau « prélevée » des barrages a très souvent été orientée vers des usages prédateurs de l’eau tels que l’irrigation à aspersion pour l’agriculture industrielle pour l’exportation, les extractions minières, … Ces usages sont sources de conflits entre zones urbaines et rurales, entre paysans et communautés locales et les entreprises multinationales (voir les nombreux cas connus, notamment en Inde, au Mexique, en France, aux États-Unis, au Maroc, au Brésil, en Équateur, au Nigéria, au Kenya… (29).

Souvent, les barrages sont utilisés en tant qu’instruments puissants de pression et de chantage de la part des Etats en amont vis-à-vis de ceux situés en aval du même fleuve. Cas des fleuves bi- et pluri-nationaux comme le Nil entre l’Ethiopie et l’Egypte et, cas plus explosif, des fleuves dont la source se trouve en Inde mais dont les eaux sont essentielles e pour le Pakistan… Le conflit en cours entre le Pakistan et l’Inde est très dangereux pour les conséquences qu’il peut engendrer au niveau de l’Asie, voire du monde.

La réalité est qu’un des objectifs majeurs des grands barrages est d’assurer indépendance et sécurité, notamment pour les pays du « Sud » du monde et leur développement économique et social.

L’objectif de la sécurité est sûrement légitime. Celui de l’indépendance comporte des ambiguïtés sérieuses de nature « nationaliste », religieuse, économiques stratégiques légitimant la « raison du plus fort ». Même la sécurité, cependant, devient un facteur majeur de crises en l’absence (ou dysfonctionnement) de contrats/pactes établissant une gestion politique des fleuves bi- et pluri-nationaux en commun, coopérative. Ces contrats/pactes sont nécessaires. Ils empêchent les conflits entre les Etats. Mais, ils sont fragiles et inefficaces si les principes économiques fondamentaux de la gestion de l’eau restent inspirés par les principes de la compétitivité et de la rentabilité financière.

Enfin, les luttes menées ces quarante dernières années contre les grands barrages ont été et demeurent nombreuses et d’importance internationale. Bien connues celle des 10 000 femmes indiennes contre le barrage sur la rivière Narmada, sous l’impulsion de Meda Paktar, l’ange gardien des fleuves indiens sacrés (ils sont sept en Inde) ; celles des femmes brésiliennes du MAB (Mouvement des personnes affectées par les Barrages) contre les barrages miniers avant et après leur écroulement tragique à Mariana (2015) et Brumadinho (2019) (30) et celle du mouvement chilien « Patagonia sin represas » (« La Patagonie sans barrages » ) qui a réussi à bloquer les projets de construction de plusieurs barrages dans le nord de la Patagonie (partie du Chili). Parmi les principaux promoteurs du mouvement « Patagonia sin represas » figurait l’évêque d’Aysén, en Patagonie, Luis Infanti de la Mora, cofondateur en 2018 et dirigeant de l’Agora des Habitants de la Terre (31).

A cette fin, dans le cadre de la nouvelle résolution de l’ONU que nous proposons dans le cadre de l’objectif 4 sur le droit universel à l’eau potable et à l’assainissement, la Conférence de l’ONU de 2026 devrait être l’occasion :

– d’affirmer les droits de l’eau et de la nature à leur intégrité et bon état écologique, et

– de reconnaître une personnalité juridique aux corps hydriques, les fleuves, les lacs et les zones humides, conformément aux nouveaux développements du droit international en matière du droit de la nature à être protégée.

Des pays ont déjà accordé la personnalité juridique aux corps hydriques : L’Équateur (fleuve Machangara) a même inscrit les droits de la nature dans sa Constitution, premier pays à le faire ; la Colombie (Atrato et 13 autres cours d’eau ainsi que la forêt amazonienne colombienne), la Nouvelle-Zélande (Whanganui), l’Inde (Gange, Yamuna), les États-Unis (fleuve), l’Espagne (la zone humide Mar intérior), le Pérou (Maranon), le Québec (Magpie), la France (Corse (Tavignanu), l’Angleterre (Ouse). Le Bangladesh a reconnu en 2019 tous les fleuves comme des personnes morales et entités vivantes. En Italie, la mobilisation des citoyens est devenue plus forte concernant le Lac de Garde (Vénétie) et le fleuve Tagliamento (Frioul) (32).

 

Objectif 8. Stopper la pétrolisation de l’eau, en général, et la cocacolisation de l’eau minérale naturelle, en particulier. Ensemble, elles sont à l’origine de l’une des prédations de l’eau conscientes les plus ravageuses au plan des valeurs de l’eau et de la vie.

D’abord, en réduisant l’eau à une matière première d’importance stratégique pour l’économie, donc précieuse, indispensable, comme le pétrole, appelé l’or noir, les groupes dominants ont appelée l’eau, l’or bleu du XXe siècle. L’or bleu est une notion contraire à l’eau source de vie pour tous. Elle affirme l’inévitabilité de l’accaparement privé possessif, exclusif, de l’eau, de la rivalité compétitive pour la domination des marchés, de l’instrumentalisation de l’eau au service de la guerre.

D’autre part, en réduisant l’eau minérale naturelle, et puis, même l’eau potable (« l’eau du maire ») à un bien de consommation de masse à exploiter dans tous les continents, on a « jeté » l’eau dans les griffes des marchands mondiaux en lutte pour extraire de l’eau le maximum de profit, en faisant fi de toute proclamation que l’eau est pour la vie et non pas pour le profit (33).

La poursuite du profit, avec le plus souvent le soutien des pouvoirs publics, a conduit dans le domaine des eaux minérales naturelles à une situation intolérable pour les citoyens. Les Communes/collectivités locales ont vendu en concession – ce qu’elles n’auraient pas dû faire – la gestion de l’exploitation des sources (de facto, la propriété) pour 30-40 ans voire plus. En contrepartie, elles n’ont demandé qu’une redevance ridicule par rapport aux bénéfices des entreprises concessionnaires qui se chiffrent par millions, voire par milliards annuels. En outre, elles n’ont pas imposé des taxes aux entreprises pour couvrir les coûts payés par la collectivité en raison de la grave pollution causée par les bouteilles en plastique !

Dès lors, on comprend mal la faiblesse des contrôles sur la gestion des eaux minérales par les pouvoirs publics, source inévitable d’accords de corruption comme le confirme le dernier scandale de Nestlé-France (34) consistant dans le fait que Nestlé a manipulé et vendu pendant plusieurs années certaines marques, alors que toute eau minérale naturelle ne peut ; en aucune cas, par loi, dans le monde entier, être traitée. Elle doit être embouteillée telle qu’elle. On peut uniquement ajouter ou réduire l’anhydride carbonique.

Enfin, la « cocacolisation » des eaux minérales naturelles et de source s’est traduite par rendre ces eaux les principales responsables de la contamination chimique par les plastiques de la planète par le déversement sur terre et dans les eaux (notamment les océans) en 2024 plus de 360 milliards de bouteilles en plastiques (35). Il est urgent que les entreprises et les pouvoirs publics arrêtent de se limiter à des promesses- déclarations de réduction-élimination des plastiques. Les citoyens doivent refuser de continuer à accepter que les logiques des détenteurs des capitaux des entreprises cotées en Bourse soient imposées en tant que les logiques de la régulation mondiale des rapports entre les êtres humains eux-mêmes et de l’ensemble de la vie globale de la Terre. Dans ce sens, ils doivent sans tarder revendiquer l’application d’un Engagement pour la Sécurité et la Responsabilité Publique au niveau des Communautés Locales dans le domaine des Eaux minérales naturelles et de source.

Un « Engagement » innovateur qui part d’en bas portant surtout sur le financement des Communautés locales suivant les principes et les modalités de l’économie coopérative.

Réinventer la conception, et sa mise en place, de la Caisse Commune de la Planète (voir Objectif 5) à partir des communautés de base pour le financement des droits universels et des biens communs publics mondiaux essentiels pour la vie, nous paraît une voie privilégiée à suivre sur les chemins d’une « éco-nomie » (« les règles de la maison ») de justice et de solidarité.

 

Objectif 9. L’appauvrissement doit être déclaré un délit, un vol de la vie. Il faut abandonner le principe que le pouvoir d’achat est la base de légitimation du droit à l’eau (et à la santé, au logement, aux transports collectifs, à l’éducation…). Il faut réaffirmer le principe de la gratuité du droit à l’eau. La gratuité c’est la justice entre égaux.

Dans nos sociétés, au cas où on ne peut pas payer le prix de l’eau au prix de marché, on est exclu du droit à l’eau potable et à l’assainissement dans la quantité et la qualité suffisantes pour vivre, même si l’eau est disponible. Dans ce cas, on a uniquement le droit à être sujet bénéficiaire de l’aide publique, de la miséricorde étatique, ou privée, de la bienfaisance, de la « Charity business ». C’est dire que ce n’est pas l’absence d’eau qui rend les personnes pauvres. Le facteur générateur de l’exclusion à l’eau pour des raisons juridiques, économiques ou politiques, est l’appauvrissement. Ce dernier crée la raréfaction de l’eau (voir Objectif 4).

Un appauvrissement qui, comme le montre bien Francine Mestrum dans son dernier important ouvrage (36), est utilisé comme fondement pour une opération culturelle idéologique outrageuse, celle de la criminalisation de la pauvreté. Or, la Chine, le Vietnam et le Kerala (en Inde) ont réussi ces dernières années à combattre les facteurs structurels générateurs de l’extrême pauvreté. Ils ont officiellement communiqué à l’ONU que dans leurs pays n’existent plus de personnes en état d’extrême pauvreté conformément aux paramètres définis par la Banque mondiale. C’est dire qu’éliminer l’extrême pauvreté est possible si les pouvoirs publics en font un objectif prioritaire et le poursuivent de manière cohérente et permanente sur une longue période. Le même constat vaut pour l’éradication des facteurs générateurs de l’appauvrissement en général.

Dès lors, l’éradication effective de la pauvreté absolue constitue un instrument clé pou, assurer la disponibilité de l’eau potable et de l’assainissement pour tous.

  Les propositions institutionnelles (PI)

  1. Conseil Planétaire des Citoyens de la Sécurité de l’Eau
  2. Parlement Planétaire de l’Eau
  3. Traité Mondial de la Coopération Commerciale
  4. Organisation Mondiale de la Connaissance-Bien Commun
  5. Charte Planétaire des Biens Communs Publics des Habitants de la Terre
  6. Nouvelle Architecture Financière Planétaire
  7. Agence Planétaire de l’Intelligence Artificielle
  8. Caisse Commune de la Planète

 

Conclusion

Les solutions pour un autre devenir de la vie et de l’eau existent. Parmi les plus prégnantes de changement figurent, à notre avis :

  • L’abolition des brevets privés et à but lucratif sur le vivant et sur l’IA ;
  • L’éradication des facteurs d’appauvrissement générateurs de la pauvreté/exclusion;
  • La libération de l’eau et de l’ensemble des biens communs essentiels pour la vie de leur soumission aux logiques prédatrices de la financiarisation capitaliste de l’économie et de la technocratisation guerrière de la société.

Sans les autres Objectifs, cependant, ils risquent de rester des étoiles lumineuses mais très lointaines. Tous les Objectifs comportent, pour être atteints, une puissante et large mobilisation politique et sociale dans le monde entier. Cette mobilisation semble aujourd’hui émerger au moment même où la puissance du système dominant est en crise évidente, alors qu’il donne l’impression d’être plus puissant que jamais.

La condition globale de la vie est certainement mouvante mais elle reste ambiguë et incertaine. D’où le rôle important constructif des mouvements qui se veulent clairement utopiques, ouvriers des alternatives. On peut arrêter des manifestations de rue, mais pas une marée de peuples qui rêvent, en révolte.

 

Notes

(1) Vert.eco/articles/limiter-le-rechauffement-planetaire-sous-15-c-nest-desormais-plus-atteignable-des-chercheurs-du-monde-entier-sonnent-lalarme. Voir aussi https://www.greenetvert.fr/climat-emissions-co2-mondiales-progressent-2025/

(2) https://www.globalwaterintel.com/documents/rethinking-resilience

(3) https://wmo.int/fr/news/media-centre/lunesco-et-lomm-lancent-lannee-internationale-de-la-preservation-des-glaciers-2025

(4) https://www.francebleu.fr/infos/environnement/pollution-10-a-15-millions-de-tonnes-de-plastique-dans-les-oceans-1576055859

(5) Video « There’s a Race to Power the Future. China Is Pulling Away » www.nytimes.com/interactive/2025/06/30/climate/china-clean-energy-power.html

(6) https://www.hrw.org/fr/news/2025/07/24/la-cij-qualifie-la-lutte-contre-la-crise-climatique-dobligation-juridique

(7) https://www.geo.fr/environnement/pfas-interdictions-controles-et-seuils-limites-dans-le-monde-225451, 4 avril 2025

(8) https://marine.copernicus.eu/fr/press/press-releases/every-part-ocean-now-affected-triple-planetary-crisis-reveals-ninth-copernicus, septembre 2025. A lire aussi le résumé de l’étude « Cumulative impacts to global marine ecosystems projected to more than double by mid-century » dans Science, 4 Sep 2025, Vol 389, Issue 6755, pp. 1216-1219.

(9) https://www.generationsanstabac.org/fr/actualites/inc-5-2-a-geneve-nouvel-echec-du-traite-mondial-sur-la-pollution-plastique/ L’échec a été dû à l’influence déterminante de l’industrie pétrochimique et des lobbies associés présents en masse à la conférence, grâce aussi au soutien et à la complicité politiques de nombreux Etats parmi les plus puissants.

(10) On trouvera une description d’un exemple récent le plus paradigmatique de cette alliance/complicité concernant la stratégie européenne de la résilience dans le domaine de l’eau de l’UE et de sa soumission aux logiques et intérêts de l’industrie chimique, dans https://www.pressenza.com/fr/2025/06/lalignement-la-nouvelle-strategie-europeenne-de-la-resilience-dans-le-domaine-de-leau N’oublions pas le scandale représenté aux USA par le fait que la totalité des dirigeants mis à la tête de l’EPA (Environnemental Protection Agency) par Trump ont été auparavant les principaux lobbyistes de l’industrie chimique, agroalimentaire et pharmaceutique qui durant des années avaient lutté contre les mesures de régulation de contrôle et d’évaluation dans le domaine de la pollution chimique ! Quelle honte ! Selon Lori Ann Burd, avocate principale au Center for Biological Diversity, “It’s incredible, the entire leadership of EPA’s office that regulates chemicals and pesticides comes directly from industry.” Cf. Hiroko Tabuchi, « Former lobbyists at the E.P.A, in The New York Times, Climate Forward, 21/10/2025.

(11) https://www.wipo.int/web-publications/ip-facts-and-figures-2024/fr/index.html

(12) https://www.notretemps.com/depeches/la-chine-caracole-en-tete-des-brevets-d-ia-generative-selon-l-onu-94354

(13) https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/292157-ai-act-le-reglement-europeen-sur-lintelligence-artificielle-ia

(14) https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/12/07/le-droit-universel-a-leau-nest-pas-en-danger-il-est-deja-en-perdition

(15) https://Pour.press/leau-il-faut-republiciser-letat/

(16) https://fr.wikipedia.org/wiki/Pacte_mondial. Voir en particulier le Pacte global dans le domaine de l’eau de 2007, https://ceowatermandate.org/, autorisant le monde du business, surtout les grandes compagnies multinationales, de participer aux activités de l’Onu, au même titre que les Etats sans le droit de vote.

(17) https://www.lautjournal.info/20241024/les-dominants-ne-respectent-plus-aucune-limite

(18) https://www.lafinancepourtous.com/outils/dictionnaire/capitalisation-boursiere-dune-entreprise/

(19) https://www.pressenza.com/fr/2024/03/qui-financera-leau-dans-les-annees-a-venir-a-propos-du-droit-universel-a-leau-de-la-protection-et-de-la-qualite-de-leau-bien-commun-de-la-terre/

(20) Voir https://affordance.framasoft.org/2023/08/guerre-eau-et-des-donnees/, en particulier les cas de l’Uruguay, Toledo, Taiwan… (l’article date de 2023, depuis des cas ont explosé partout… ). Cf. Luca Pisapia, “I data center delle piattaforme prosciugano i rubinetti dell’acqua”, 18 août 2025, https://valori.it/data-center-intelligenza-artificiale-consumo-acqua/

(21) https://fr.wikipedia.org/wiki/Forum_mondial_de_l’eau

(22) https://ceowatermandate.org/

(23) Une des premières propositions en faveur de la création d’un PPEau a été présentée à l’occasion de la COP15 en décembre 2009 à Copenhague. La COP elle-même fut un échec, dominée, entre autres, par les divergences entre les USA et la Chine.

(24) Pour la CIGB (Commission Internationale des Grands Barrages), un grand barrage est un barrage d’une hauteur supérieure à 15 mètres, des fondations les plus basses à la crête, ou un barrage qui retient plus de 3 millions de mètres cubes d’eau. Sa fonction est réguler le débit et/ou stocker de l’eau, notamment pour le contrôle des crues, l’irrigation, l’industrie, l’hydroélectricité, la pisciculture et la retenue d’eau potable. Concernant les 19 mille barrages vieux, voir https://www.researchgate.net/publication/348754254_Ageing_Water_Storage_Infrastructure_An_Emerging_Global_Risk_11

(25) https://www.turquie-culture.fr/pages/geographie/economie-turque/barrages-de-turquie.html, 24 Août 2015. Il y a en Turquie plus de 500 barrages dont 300 grands barrages.

(26) https://www.novethic.fr/environnement/transition-energetique/chine-valide-construction-grand-barrage-monde-detriment-droits-humains

(27) https://energynews.pro/barrages-en-afrique-les-plus-grands-projets/#google

(28) https://wwf.be/fr/actualites/500-barrages-demanteles-en-europe-lan-dernier-un-record

(29) Car comme on le sait depuis longtemps, Cf. Riccardo Petrella, Le manifeste de l’eau, Labor, Bruxelles, 1998, les guerres de l’eau sont surtout des guerres entre les groupes agro-industriels. Voir l’analyse plus récente (juin 2023) Akram Belkaïd, Guerre entre États, mainmise des multinationales, dans https://www.monde-diplomatique.fr/2023/06/BELKAID/65829

(30) Concernant l’Inde, voir https://journals.openedition.org/geocarrefour/7252?lang=en (mais aussi, en général, sur les dérives des grands projets hydrauliques), et sur le Brésil https://reporterre.net/Face-auravage-des-barrages-la-mobilisation-des-femmes-bresiliennes

(31) Pour une description succincte du mouvement « Patagonia sin represas » et de son succès, https://commons.princeton.edu/patagonia/kaelani-b

(32) Sur le sujet, voir avant tout la Déclaration de l’IUCN (International Union for the Conservation of Nature, https://iucn.org/sites/default/files/2022-10/world_declaration_on_the_environmental_rule_of_law_final_2017-3-17.pdf  ainsi que le Mémoire d’Étude, Quand la rivière devient sujet, https://matheo.uliege.be/handle/2268.2/24245?locale=fr et https://www.editionsjfd.com/boutique/une-personnalite-juridique-pour-le-fleuve-saint-laurent-et-les-fleuves-du-monde-11091  publié par l’Observatoire International sur les droits de la Nature, présidé par Jenny Vega, à Montréal.

(33) Lire https://reporterre.net/Partout-dans-le-monde-le-business-mortifere-des-bouteilles-d-eau

(34) https://www.pressenza.com/fr/2025/08/il-y-avait-une-fois-leau/. Le Sénat de la France a publié en juin 2024 un très riche rapport d’enquête « Eaux minérales naturelles : préserver la pureté – Rapport » dont une bonne partie est dédiée aux contrôles, aux scandales, etc. https://www.senat.fr/rap/r24-628-1/r24-628-1.html

(35) Selon une étude américaine publiée dans la revue Sciences en 2015, 8 millions de tonnes de plastique sont déversées chaque année dans les océans. Ce volume pourrait atteindre 80 millions de tonnes en 2025 si le recyclage ou l’utilisation du plastique ne sont pas améliorés d’ici là. Eh, bien, on y est.

(36) Francine Mestrum, Criminaliser la pauvreté. Les puissants et le monde de l’exclusion, Editions Couleurs Livres, Mons, 2025.