« La francophonie n’est pas un folklore culturel, mais une continuation de l’empire. »
On considère souvent l’anglais comme la langue dominante du XXIe siècle, mais on oublie que le français n’est pas qu’une simple langue ; c’est un instrument de pouvoir. La France peut sembler être une puissance en déclin, supplantée par la Chine et les États-Unis, mais son influence ne se mesure pas à son PIB ou à sa force militaire, mais à quelque chose de plus discret et de plus durable : la maîtrise de la langue qui façonne les lois, les tribunaux, les traités et les élites administratives dans près de trente pays.
La francophonie n’est pas un folklore culturel, mais la continuité d’un empire. Un empire qui fonctionne sans drapeaux, sans armées visibles, mais avec des banques, des constitutions, des académies diplomatiques et des organisations internationales qui pensent et prennent encore des décisions en français.
1. LES 29 PAYS OÙ LE FRANÇAIS EST UNE LANGUE OFFICIELLE
(Nom — Continent — Population approximative 2024)
- France — Europe — 68 millions
- Belgique — Europe — 11 millions
- Suisse — Europe — 9 millions
- Luxembourg — Europe — 700 000
- Monaco — Europe — 39 000
- Canada — Amérique — 40 millions (majorité francophone au Québec)
- Haïti — Caraïbes — 11 millions
- République démocratique du Congo — Afrique — 102 millions
- Côte d’Ivoire — Afrique — 29 millions
- Sénégal — Afrique — 18 millions
- Cameroun — Afrique — 28 millions
- Niger — Afrique — 27 millions
- Burkina Faso — Afrique — 23 millions
- Mali — Afrique — 22 millions
- Tchad — Afrique — 18 millions
- Guinée — Afrique — 14 millions
- Bénin — Afrique — 13 millions
- Burundi — Afrique — 13 millions
- Rwanda — Afrique — 14 millions
- Togo — Afrique — 9 millions
- Gabon — Afrique — 2 millions
- République centrafricaine — Afrique — 6 millions
- République du Congo — Afrique — 6 millions
- Djibouti — Afrique — 1 million
- Madagascar — Afrique — 29 millions
- Seychelles — Afrique — 100 000
- Comores — Afrique — 900 mille
- Vanuatu — Océanie — 330 000
- Guinée équatoriale — Afrique — 1,7 million
2. LA VÉRITABLE CARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE SUR LA PLANÈTE
29 pays officiels et 20 autres ayant un usage administratif effectif
Le français est langue officielle dans 29 pays, mais son influence s’étend à plus de 50. Dans de nombreux États (du Maroc au Liban, de la Tunisie au Cambodge), il est utilisé pour les contrats commerciaux, les traités diplomatiques, les systèmes universitaires et les décisions de justice, même sans être reconnu comme langue constitutionnelle. Ce n’est pas une langue du quotidien ; c’est une langue de décision.
L’Afrique comme noyau central de la survie française
Plus de 60 % des francophones du monde vivent en Afrique, et d’ici 2050, ce chiffre dépassera les 80 %. Sans l’Afrique, le français serait déjà une langue en déclin, à l’instar de l’italien ou de l’allemand. Paris en est consciente et protège ce territoire linguistique grâce à un réseau stratégique : éducation, médias, banques, armée et élites politiques formées en France. L’Afrique ne consomme pas le français ; elle le fait vivre.
ONU, OTAN, Union africaine, Cour pénale internationale, FMI, langue officielle
Le français est la langue de travail officielle des principales institutions de pouvoir mondiales. Il sert à rédiger les traités, à voter les résolutions, à négocier les dettes et à planifier les missions militaires. Bien que l’anglais domine les médias, le français conserve des privilèges protocolaires et juridiques hérités du XXe siècle. Ce n’est pas une langue secondaire ; c’est un code d’accès au pouvoir.
La francophonie comme infrastructure d’élites, et non comme culture
La francophonie ne se préserve pas par amour de la littérature ou d’un Paris idéalisé. Elle se préserve parce qu’elle constitue un écosystème d’élites (ministres, juges, banquiers, diplomates) qui opèrent selon les mêmes normes juridiques, éducatives et financières dictées par la France. Il ne s’agit pas de soft power, mais d’une gouvernance autoritaire et dissimulée ; il ne s’agit pas d’une langue partagée, mais d’un ordre géopolitique.
3. L’AFRIQUE. LE CŒUR DE LA PUISSANCE LINGUISTIQUE FRANÇAISE
Zone franc CFA (14 pays, monnaie conçue à Paris)
Quatorze pays africains utilisent encore le franc CFA, une monnaie créée par la France en 1945 et toujours garantie et contrôlée par la Banque de France. Paris fixe les réserves obligatoires, audite les banques centrales africaines et conserve un droit de veto. Aucune décision économique stratégique ne peut être prise sans son autorisation. Il s’agit d’une dépendance monétaire déguisée en stabilité financière.
On prévoit 450 millions de francophones d’ici 2050, dont 80 % d’origine africaine.
Le français ne se développe pas à Paris ni en Europe : il se développe en Afrique. D’ici 2050, on comptera plus de 600 millions d’Africains francophones, faisant du français la langue la plus parlée du continent. Ce phénomène n’est pas dû à une affinité culturelle, mais plutôt au système éducatif imposé. L’avenir de la langue ne dépend pas de la France : il dépend du choix de l’Afrique : la maintenir ou la remplacer par l’anglais, le mandarin ou les langues locales.
Écoles, élites administratives, télécommunications contrôlées depuis la France
Les manuels scolaires, les programmes universitaires, les concours d’entrée aux grandes écoles, les médias et une grande partie des télécommunications en Afrique francophone sont conçus, financés ou réglementés depuis Paris. La France n’a pas besoin de gouverner : elle contrôle le cadre cognitif qui façonne les futurs présidents, juges, officiers et économistes.
Le langage comme obéissance macroéconomique et juridique
Celui qui contrôle la langue dans laquelle les contrats sont rédigés en contrôle les termes. Celui qui fait la loi domine la nation qui l’applique. En Afrique, le français est la langue dans laquelle sont signés les accords de dette avec le FMI, les contrats avec TotalEnergies ou Dassault, et les procès internationaux à La Haye. Il ne s’agit pas de communication : il s’agit d’un pouvoir juridique et financier matérialisé par le langage.
4. LA FRANCE GOUVERNANT SANS DRAPEAU
Des bases militaires « invisibles », mais un véritable contrôle financier et diplomatique
La France maintient plus de 7 000 soldats déployés en permanence en Afrique, avec des bases stratégiques à Djibouti, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Niger et au Sénégal. Il ne s’agit pas d’une occupation coloniale, mais d’une « coopération antiterroriste ». À cela s’ajoute un pouvoir financier systémique : plus de 500 milliards de dollars de réserves africaines transitent par la Banque de France via le système du franc CFA. Et sans tirer un seul coup de feu, Paris continue de décider qui gouverne et qui est vaincu.
Les constitutions et les codes civils ont été copiés mot pour mot du modèle français.
Plus de vingt pays africains se sont dotés de constitutions rédigées sous la supervision directe de juristes français après la décolonisation. Le Code civil français (le même cadre napoléonien de 1804) demeure le fondement juridique de nations allant du Sénégal à Madagascar. Même les cours constitutionnelles conservent des structures calquées sur celles de Paris. Il ne s’agit pas d’un héritage historique, mais d’une conception fonctionnelle visant à préserver la suprématie du droit.
Empire non pas territorial, mais juridique et linguistique
Contrairement à l’Empire britannique, qui contrôlait le commerce et les ports, la France a créé un empire juridique et administratif. Elle n’a pas besoin de gouverner des territoires ; elle contrôle les règles du jeu. Qui contrôle la loi contrôle la nation, et la loi est écrite en français. Le pouvoir ne réside pas dans le territoire, mais dans la langue qui définit ce qui est légal, valide, permis ou punissable.
Paris exerce plus d’influence par le biais de l’éducation d’élite que par celui des armées.
Chaque année, des milliers de hauts fonctionnaires africains sont formés à l’ENA, à Sciences Po, à HEC et à la Sorbonne grâce à des bourses d’État françaises. De ces institutions émergent les futurs présidents, ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale. La France ne mise pas sur les armes, mais sur les diplômes, et une élite formée à Paris reproduit le système français sans le remettre en question, même si sa population aspire à l’indépendance.
Empire non pas territorial, mais juridique et linguistique
La France n’a pas besoin d’occuper de territoire, car elle contrôle l’infrastructure juridique qui le régit. Plus de 200 milliards de dollars de contrats en vigueur avec des entreprises françaises (TotalEnergies, Vinci, Bolloré, Orange, AXA) sont signés dans des cadres juridiques rédigés en français, avec des clauses soumises à l’arbitrage à Paris. Elle ne gouverne pas le territoire ; elle gouverne la langue qui définit qui peut exploiter ses ressources, et le pouvoir réside dans la langue qui rédige la loi.
5. LA FRANCE EN EUROPE ET AU CANADA : LA PUISSANCE DÉGUISÉE EN POUVOIR SOFT
Bruxelles écrit en français, pas en anglais
Bien que l’anglais soit la langue officieuse des fonctionnaires, les documents officiels, résolutions et traités de l’Union européenne sont toujours rédigés en premier lieu en français. Bruxelles fonctionne juridiquement en français. Ceux qui maîtrisent cette langue interprètent les règles avant tout le monde. La France a bénéficié d’un avantage législatif dès le début du processus.
Le Québec comme enclave continentale stratégique
Le Canada n’est pas un pays bilingue par simple courtoisie culturelle, mais par nécessité de puissance. Le Québec garantit à la France une influence directe au sein du G7 et de l’OTAN. De Montréal, une grande partie de la diplomatie culturelle et médiatique francophone du continent est contrôlée. La France investit davantage au Québec que dans tout autre territoire hors d’Afrique, car il constitue sa tête de pont vers l’Amérique du Nord.
Le français comme langue privilégiée à l’ONU, à l’UNESCO et à l’OTAN
Le français est la langue officielle et de travail dans les centres névralgiques du système international, tels que l’Assemblée générale des Nations Unies, le Conseil de sécurité, l’UNESCO, la Cour pénale internationale et l’OTAN. Si cela ne garantit pas la sympathie envers la France, cela lui assure un accès prioritaire. Un ambassadeur qui négocie en français n’attend pas de traduction et impose son point de vue avant les autres.
Le capitalisme parle anglais, mais la diplomatie parle encore français.
L’anglais domine le marché mondial, Wall Street, l’ingénierie et la technologie. Pourtant, les principales négociations de paix, les traités territoriaux, les arbitrages internationaux et les mécanismes juridiques du FMI et de la CPI sont encore rédigés en français. Il ne s’agit pas de nostalgie, mais de hiérarchie institutionnelle : le français conserve son influence car il continue de façonner l’ordre mondial.
6. RÉBELLION OU INERTIE ? L’AVENIR DE LA FRANCE INVISIBLE
Les jeunes Africains ne veulent plus étudier en français, mais en anglais ou en chinois.
Aujourd’hui, plus de 11 millions d’étudiants africains apprennent l’anglais comme langue seconde, dépassant pour la première fois le français en termes d’inscriptions volontaires. Au Nigeria, au Kenya, en Afrique du Sud et au Ghana, une coopération directe avec des universités américaines et chinoises existe déjà, représentant plus de 4 milliards de dollars américains par an en accords éducatifs. La France perd son monopole intellectuel, les nouvelles générations cessant d’associer le français à la puissance.
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger rompent avec le CFA et expulsent les troupes françaises.
Entre 2022 et 2024, trois pays du Sahel ont expulsé les missions militaires françaises et annoncé la fin du franc CFA, un système qui immobilise près de 15 milliards de dollars de réserves africaines à Paris. Ces gouvernements négocient désormais directement avec la Russie, la Chine et la Turquie. La rupture n’est pas qu’une simple déclaration d’intention ; elle est financière, militaire et symbolique. La France ne perd pas en influence, mais elle perd en crédibilité.
L’Arabie saoudite et la Chine comblent le vide laissé par Paris
Alors que la France perd du terrain, la Chine a investi plus de 300 milliards de dollars dans les infrastructures africaines depuis 2015, et l’Arabie saoudite s’engage à verser 40 milliards de dollars supplémentaires pour la sécurité énergétique et alimentaire. Aucun de ces accords ne passe par Paris ni par le système francophone. La nouvelle puissance ne parle pas français. Paris n’est plus la banque, le partenaire militaire ni le centre de formation privilégié.
La France sans l’Afrique est une France sans influence mondiale
Plus de 60 % de la puissance diplomatique et économique de la France hors d’Europe repose sur son influence en Afrique. Sans ce territoire linguistique, juridique, énergétique et financier, la France se réduirait à une puissance européenne de second plan, sans véritable poids au sein du G20 ni dans l’architecture stratégique mondiale. Son déclin ne serait pas militaire, mais linguistique et cognitif, et il a déjà commencé.
7. POURQUOI Y A-T-IL AUTANT DE PAYS ? LA VÉRITABLE ORIGINE DE L’EXPANSION FRANÇAISE
La France arrive tardivement au partage impérial, mais compense par une stratégie juridique brutale.
Contrairement à l’Espagne ou au Portugal, la France ne fut pas la première puissance coloniale. Ce n’est qu’entre 1850 et 1910 qu’elle entreprit son expansion massive en Afrique et en Asie. Arrivée tardivement, elle s’accompagna d’un fanatisme institutionnel, imposant son code civil, sa langue administrative, sa banque centrale et des académies d’enseignement conçues pour former des dirigeants qui penseraient comme Paris plutôt que comme les Africains.
Le but n’était pas d’exploser rapidement, mais de durer éternellement.
L’Angleterre a colonisé pour commercer. La France, elle, a colonisé pour civiliser, moraliser et contrôler les esprits. Elle ne s’est pas contentée d’exploiter les ressources ; elle a imposé écoles, lois, langue, religion et architecture étatique. Elle n’a pas colonisé des territoires ; elle a colonisé les futurs présidents. C’est pourquoi 29 pays fonctionnent encore en français 60 ans après leur indépendance.
Plus de 80 millions d’Africains ont été soumis à la « mission civilisatrice ».
Du Sénégal au Cambodge, la France a mis en œuvre un modèle centralisé consistant à former des élites à Paris, à éliminer les langues locales et à démanteler leurs systèmes juridiques. Elle n’a pas seulement exporté des soldats ; elle a exporté une idéologie. Cette ingénierie culturelle coloniale a contraint plus de 80 millions de personnes à adopter le français comme langue du droit, du progrès et de l’obéissance.
La francophonie n’est pas un accident de l’histoire, c’est un projet militaro-culturel délibéré
Le réseau actuel de 29 pays officiels et 20 entités semi-officielles ne résulte ni du hasard, ni d’affinités culturelles, ni d’un brassage volontaire. Il est le fruit de 70 ans d’empire militaire, financier et éducatif, suivis de 60 ans de néocolonialisme diplomatique. La France n’a pas perdu son empire ; elle l’a simplement modernisé, sans drapeaux.
8. VERS UNE FRANCE QUI INSPIRE, ET NON QUI DOMINE
L’Afrique ne cherche pas la vengeance, elle cherche la dignité. Le déclin du système francophone imposé ne signifie pas la fin de la France, mais plutôt une opportunité pour elle de renaître par la culture, et non par la domination.
Le français pourrait cesser d’être la langue de la dette et redevenir la langue de la poésie, de la pensée philosophique, de Camus, de Fanon, des Lumières qui ont inspiré des révolutions contre la tyrannie, et non en sa faveur.
Une nouvelle relation est possible. Des universitaires, des artistes et des scientifiques africains reconstruisent déjà ce lien, non par l’obéissance, mais par la création mutuelle. Une francophonie libre, volontaire et rayonnante. Un monde où l’Afrique est un sujet, non une ressource, et où la France existe non comme propriétaire de la langue, mais comme l’un de ses nombreux héritiers ; un avenir où la langue n’opprime pas, mais libère.
La francophonie n’est pas un héritage littéraire
La francophonie n’est ni un héritage littéraire, ni une carte postale romantique de Paris ; c’est un territoire géopolitique en proie à une guerre silencieuse. Elle n’est pas défendue par des troupes, mais maintenue en vie par des lois, des banques, des tribunaux et des élites qui pensent encore en français, or ce système s’effrite de l’intérieur.
Lorsque les jeunes Africains cesseront d’étudier en français, lorsque les constitutions seront réécrites en anglais ou en swahili, lorsque la dette envers l’Europe sera renégociée en yuans, l’empire français s’effondrera sans avoir tiré un seul coup de feu.
La puissance de la France ne réside pas dans son armée, mais dans sa langue. Et tout empire meurt le jour où ses élites se mettent à penser dans une autre langue…
Références
- Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Rapport sur la langue française dans le monde 2024.
- Banque de France. Données officielles sur le franc CFA et réserves africaines (2023-2024).
- Langues et pouvoir dans la gouvernance mondiale (Rapport 2023).
- Annuaire SIPRI 2024. Déploiements militaires français en Afrique.
- Rapports de pays : Zone Franc CFA (2022–2024).
- Achille Mbembé. Critique de la raison noire (2013).
- Philippe Leymarie. Françafrique : La famille recomposée (Le Monde diplomatique, 2022).
- Gary Younge. L’empire par le langage : la stratégie française du pouvoir silencieux (2024).
- Langues officielles dans les institutions mondiales et les hiérarchies juridiques (2023).
- Fondation Samuel Eto’o. La nouvelle génération africaine et la fin de la francophonie obligatoire (2024).









