Extractivisme mondial, résistance locale
2000 à 2025
Le XXIe siècle a commencé pour le Pérou avec le même vieux contrat tacite : le sous-sol et la forêt tropicale restent la monnaie d’échange utilisée pour soutenir l’économie. Le discours officiel parlait de « modernisation productive » et d’« ouverture aux investissements étrangers ». En pratique, cela signifiait la poursuite du modèle extractif, perfectionné par le néolibéralisme dans les années 1990, mais avec désormais davantage d’acteurs mondiaux, davantage de technologies et une pression internationale sans précédent pour les ressources stratégiques.
Exploitation minière : Chiffres records, conflits records
Entre 2000 et 2025, l’industrie minière péruvienne a doublé sa production de cuivre et triplé ses exportations d’or. Des mines comme Yanacocha, Antamina, Las Bambas et Cerro Verde ont fait du pays le deuxième producteur mondial de cuivre et l’un des dix premiers producteurs d’or et d’argent. Les bénéfices déclarés ont dépassé les 250 milliards de dollars durant cette période, mais plus de 70 % ont été reversés à des entreprises étrangères.
Le cours de l’or au comptant a atteint des niveaux historiques : entre 2000 et 2025, plus de 1 600 tonnes ont été extraites, pour une valeur actuelle supérieure à 100 milliards de dollars. L’argent, avec plus de 40 000 tonnes, a dépassé les 30 milliards de dollars. Le cuivre, véritable moteur d’exportation, a généré des revenus proches de 200 milliards de dollars. Cependant, les communautés de Cajamarca, d’Apurímac, de Cusco et d’Arequipa ont continué de faire face aux mêmes problèmes d’accès à l’eau potable, à de mauvaises infrastructures et à des taux élevés d’anémie infantile.
Chaque grand projet minier a engendré un conflit socio-environnemental. Entre 2000 et 2025, le Bureau du Médiateur a recensé plus de 1 500 conflits liés aux mines et à l’énergie, dont plus de 60 % restent non résolus. Conga, Tía María et Las Bambas sont devenus des symboles nationaux du conflit entre « croissance » et défense territoriale.
Pétrole et gaz : des revenus qui n’arrivent jamais
L’Amazonie péruvienne est restée une cible pour le pétrole et le gaz. Le projet Camisea à Cuzco a démarré ses opérations en 2004, promettant de transformer le réseau énergétique et de favoriser le développement des régions. Aujourd’hui, le gaz naturel représente plus de 40 % de la consommation énergétique nationale, mais la majorité des profits sont concentrés dans des consortiums privés et exportés vers le Mexique et d’autres marchés.
À Loreto et Ucayali, l’extraction pétrolière a contaminé plus de 2 000 sites par des déversements, selon l’OEFA Organismo de Evaluación y Fiscalización Ambiental [NdT: Agence d’évaluation et de surveillance environnementales] et des organisations autochtones. Les communautés Kukama, Asháninka, Shipibo-Conibo et Achuar ont dénoncé la contamination des rivières et des sols depuis des décennies, sans que ni les entreprises ni l’État ne prennent de mesures d’assainissement efficaces.
Agro-exportations : croissance et inégalités
L’essor des agro-exportations a transformé la côte péruvienne en un vaste corridor de production intensive d’asperges, de myrtilles, d’avocats et de raisins. Entre 2000 et 2025, les exportations agricoles non traditionnelles ont augmenté de plus de 600 %, atteignant une valeur annuelle de 9 milliards de dollars. Mais derrière ce succès macroéconomique se cachent la surexploitation des aquifères, l’utilisation massive de produits agrochimiques et des conditions de travail précaires, caractérisées par de bas salaires et des contrats temporaires affectant des dizaines de milliers de travailleurs.
Piura, Ica et La Libertad sont devenues des épicentres de conflits liés à l’eau, où les communautés rurales et les petits agriculteurs accusent les exportateurs agricoles de monopoliser la ressource au détriment de la consommation humaine et de l’agriculture de subsistance.
Amazonie : Frontière de pillage et de résistance
L’Amazonie péruvienne a subi une déforestation sans précédent. Entre 2000 et 2025, plus de 2,3 millions d’hectares de forêt ont été perdus, principalement en raison de l’exploitation aurifère illégale, de l’agriculture extensive et de l’expansion des routes. Madre de Dios est le cas le plus dramatique : l’exploitation aurifère illégale a détruit des écosystèmes entiers, empoisonnant des communautés entières et la faune aquatique au mercure.
Des organisations comme l’AIDESEP Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana [NdT: l’Association interethnique pour le développement de la forêt tropicale péruvienne est la principale organisation porte-parole des peuples autochtones de l’Amazonie péruvienne] et la Coordination des peuples autochtones de San Lorenzo ont mené des manifestations et des blocages pour empêcher l’octroi de concessions sans consultation préalable. Cependant, l’avancée des exploitants forestiers, des mineurs illégaux et des narcotrafiquants a dépassé les capacités de l’État dans de nombreuses régions.
Le coût humain de l’extractivisme
Au cours de cette période, le Pérou a connu un déclin démographique autochtone dans certaines régions en raison de la pression extractive, des migrations forcées et de la pollution. Bien que le recensement de 2017 ait recensé 5,9 millions de personnes s’identifiant comme autochtones (environ 26 % de la population), les dirigeants communautaires dénoncent que ces chiffres masquent la perte de communautés entières, notamment en Amazonie.
Selon les rapports du Bureau du Médiateur, la contamination aux métaux lourds touche plus de 10 millions de personnes, et l’espérance de vie dans plusieurs provinces minières est jusqu’à 8 ans inférieure à la moyenne nationale.
Chiffres d’extermination humaine – 2000 à 2025
- Estimation initiale de la population autochtone en 2000 : 7,5 à 8 millions.
- Principaux peuples et groupes ethniques touchés : Quechua, Aymara, Asháninka, Shipibo-Conibo, Awajún, Wampis, Kukama, Achuar, Harakbut, Matsigenka, Yine, Bora, Secoya, Urarina et Cashinahua.
- Décès directs et indirects liés à l’extractivisme et aux conflits socio-environnementaux : entre 25 000 et 40 000 personnes (y compris les violences lors des manifestations, les maladies liées à la pollution et la malnutrition aggravée).
- Survie d’ici 2025 : 6 à 6,5 millions d’autochtones dont au moins 20 % vivent dans des territoires menacés ou fragmentés.
Le paradoxe du Pérou au début du siècle est qu’il n’a jamais autant produit et exporté, mais que sa souveraineté territoriale et culturelle n’a jamais été aussi menacée. L’extractivisme mondial, avec de nouveaux investisseurs et des méthodes ancestrales, continue de confronter les communautés qui défendent l’eau, les forêts et le sous-sol comme ultime frontière de résistance.
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Traduction, Evelyn Tischer









