En septembre 2025, alors qu’il présidait le pays depuis décembre 2023, le néofasciste Javier Milei a subi une défaite électorale lors d’un scrutin important. Il s’agissait de l’élection dans la province de Buenos Aires. Cette élection renouvelait 46 sièges à la Chambre des députés provinciale et 23 au Sénat provincial. L’opposition péroniste a devancé le parti de Milei de 13 points. Elle est majoritaire au Sénat provincial de Buenos Aires. La province de la capitale représente environ 37 à 38 % de l’électorat national. Les élections provinciales de Buenos Aires sont toujours vues comme un test majeur au niveau national, y compris pour Javier Milei cette année.

C’est dans ce contexte qu’il faut juger le rôle de l’aide financière considérable apportée par le FMI (avec le soutien unanime des BRICS+), la Banque mondiale et la Chine au président Milei en avril 2025. Milei était en train de perdre son pari économique et politique lorsque les prêteurs cités plus haut sont intervenus pour lui procurer un très important ballon d’oxygène ou, en d’autres mots, une bouée de sauvetage. En effet, alors que le mécontentement allait croissant sans pour autant déstabiliser fortement Milei, sa politique économique donnait franchement des signes d’échec. Contrairement à ses espoirs, il n’avait pas réussi pas à attirer la manne de capitaux étrangers sur laquelle il comptait. En conséquence, les réserves de change permettant d’assurer les importations et le paiement de la dette étaient au plus bas.
Si cette bouée de sauvetage n’avait pas été offerte à Milei, il est possible qu’il aurait subi une défaite politique plus importante en septembre 2025 et qu’il aurait pu être confronté à un très grave échec aux élections de mi-mandat de fin octobre 2025. L’avenir nous dira quelles seront les conséquences exactes de cette aide apportée au néofasciste Milei notamment quand il s’agira d’analyser les résultats des élections du 26 octobre 2025.

La situation de Milei est à ce point fragile sur le plan économique qu’il a été obligé de faire appel à Trump en septembre 2025 pour que le Trésor des Etats-Unis octroie une nouvelle aide financière avant les élections. Trump a répondu positivement mais l’aide financière n’a pas encore été déboursée au moment où ces lignes sont écrites.

Dans quel contexte le FMI et la Chine ont-ils apporté une bouée de sauvetage à Javier Milei en avril 2025 ?

En avril 2025, la direction du FMI a approuvé un nouveau crédit d’un montant de 20 milliards de dollars en soutien au gouvernement de Javier Milei le sauvant d’un patent échec économique qui allait lui coûter très cher au niveau politique aux élections d’octobre 2025 [1]. Le FMI a déboursé quasi immédiatement 12 milliards de dollars tant la situation était mauvaise et nécessitait une injection urgente de réserves de change. La Chine simultanément avait renoué son accord de crédit swap pour l’équivalent de 5 milliards de dollars ce qui constitue également une aide vitale pour Milei. Dans le même temps la Banque mondiale (BM) annonçait qu’elle allait prêter 12 milliards de dollars et la Banque interaméricaine de développement (BID) une somme de 10 milliards sur une période de trois ans.

Le quotidien conservateur espagnol, El Mundo, annonçant la mesure titrait :

« L’Argentine reçoit une bouée de sauvetage de 20 milliards de dollars du FMI. » et ensuite poursuivait : « Cette nouvelle arrive à un moment crucial pour l’économie argentine, qui a commencé à montrer des signes inquiétants ces dernières semaines : l’inflation a cessé de baisser, le dollar a commencé à monter et la valeur du risque du pays a franchi la barre des mille points. Au milieu du séisme financier international et d’un moment extrêmement délicat pour son gouvernement, Javier Milei s’est réjoui de la « bouée de sauvetage » de 20 milliards de dollars que le Fonds monétaire international (FMI) a lancée à l’Argentine. « Allez, Luis Caputo, bon sang ! », a écrit mardi soir le président argentin sur le réseau social X, citant son ministre de l’Économie. » [2]

Le quotidien Le Monde titrait le 12 avril 2025 « L’Argentine obtient 42 milliards de dollars des institutions financières internationales » (20 milliards du FMI, 12 milliards de la BM et 10 milliards de la BID, voir plus haut) et dans le corps de l’article ajoutait

« Milei a besoin de cet accord comme de l’air ». Le Monde indiquait que la directrice générale du FMI, la Bulgare Kristalina Georgieva, avait diffusé un message sur X affirmant que « C’est la « reconnaissance des impressionnants progrès réalisés dans la stabilisation de l’économie » argentine et un « vote de confiance dans la détermination du gouvernement à poursuivre les réformes » [3].

Le quotidien conservateur argentin Clarín de son côté indiquait :

« Le FMI accordera à l’Argentine un prêt de 20 milliards de dollars dans le cadre d’un programme quadriennal. Cela comprend un versement initial de 15 milliards de dollars en fonds frais. » [4]

Pour sa part le gouvernement argentin s’est évidemment félicité du soutien apporté par le FMI et s’en est servi dans sa communication en direction de l’opinion publique argentine et des investisseurs étrangers [5].

A l’heure où ces lignes sont écrites le 22 septembre 2025, selon le site du FMI, l’Argentine lui doit 40 260 millions de DTS (DTS=l’unité de compte du FMI [6]) soit l’équivalent de 55 253 millions USD. L’Argentine est le pays qui est le plus exposé au FMI et réciproquement le FMI est plus exposé à l’égard de l’Argentine qu’à l’égard de n’importe quel autre pays. Si l’Argentine était incapable dans le futur de poursuivre les remboursements à l’égard du FMI cela mettrait cet organisme en grande difficulté.

L’Argentine doit plus de 55 milliards de dollars US au FMI. L’Argentine est le pays du monde le plus exposé au FMI et réciproquement le FMI est plus exposé à l’égard de l’Argentine qu’à l’égard de n’importe quel autre pays

La dette de l’Argentine à l’égard du FMI représente environ 12,6 fois le quota [7] de l’Argentine au FMI, ou 12 600% de son quota. Si on veut comparer avec la situation d’autres pays fortement dépendants à l’égard du FMI, la dette de la Grèce auprès du FMI est d’environ 2,8 fois son quota, la dette du Pakistan auprès du FMI est d’environ 3,3 fois son quota, l’Égypte doit environ 4,3 fois son quota au FMI, l’Ukraine doit au FMI environ 5,4 fois son quota. Donc la situation de l’Argentine est beaucoup plus grave et le FMI en est parfaitement conscient.

Quel était le bilan économique de Javier Milei ?

Le moment choisi par le FMI et d’autres prêteurs est très important. En effet, le programme économique hyperbrutal du président néofasciste Milei était (et est) au bord de l’échec, même si l’inflation avait baissé. Alors qu’au début de son mandat, Milei avait fortement dévalué la monnaie argentine par rapport au dollar, il a ensuite suivi une politique de réévaluation ou d’appréciation du taux de change. Cette politique a permis en 2025 au peso argentin de se réévaluer par rapport au dollar, mais elle a eu pour conséquence de consommer une partie importante des réserves en dollars, notamment pour soutenir le paiement des importations et permettre à la classe moyenne supérieure et à la classe capitaliste d’acheter des dollars pour faire du tourisme à l’étranger. Quant à l’évolution de la pauvreté en Argentine, après une forte augmentation au cours du premier semestre de la présidence de Milei, elle a diminué à la fin de 2024. En ce qui concerne l’activité économique, après une forte baisse en 2024 qui a prolongé la récession de 2023, une reprise s’est produite en 2025. Mais si l’on compare le niveau du produit intérieur brut atteint en 2022 à celui de 2025, on constate une croissance d’à peine 1 % pendant cette période. Ainsi, malgré les déclarations de Milei, la croissance de 2025, qui fait suite à la récession de 2023-2024, doit être relativisée. Certains secteurs sont en croissance (pétrole, agro-industrie, tous deux orientés vers l’exportation) et d’autres sont en net recul (ceux qui nécessitent le plus de main-d’œuvre). 150 000 emplois ont été perdus dans la construction, 30 000 dans l’industrie, et la tendance à la baisse se poursuit. Les retraites ont perdu de manière permanente 15 % de leur pouvoir d’achat. En outre, 52 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés et les dépenses publiques ont été réduites de près de 35 %. Cet ajustement a permis d’obtenir un excédent budgétaire qui a été salué par la direction du FMI. Mais les réserves de devises étaient à leur plus bas niveau. Le pays était confronté à d’énormes difficultés financières pour faire face au paiement de ses importations et au remboursement de sa dette extérieure, tant envers les créanciers privés qu’envers le FMI.

150 000 emplois en moins dans la construction, 30 000 en moins dans l’industrie, la tendance à la baisse se poursuit. Les retraité-ees ont perdu 15 % de leur pouvoir d’achat. 52 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés et les dépenses publiques ont été réduites de près de 35 %

Il faut également tenir compte des importantes mobilisations populaires qui ont eu lieu en 2024 et 2025, tant parmi les salariés que parmi les retraités, dans les universités, au sein du mouvement féministe et parmi les chômeurs organisés dans les différents mouvements piqueteros.

Trump a mis la pression maximale sur le FMI pour apporter une bouée de sauvetage à Milei

Malgré cela, Milei a réussi à conserver le soutien de l’opinion publique, mais celui-ci a commencé à s’effriter face au refus constant du gouvernement d’augmenter les dépenses sociales et au scandale de corruption lié à la surfacturation de médicaments destinés aux personnes handicapées, dans lequel Karina Milei, la sœur du président, est impliquée. Ce scandale fait suite à celui de la cryptomonnaie $LIBRA « coin Milei » [8].

L’échec économique allait devenir patent aux yeux de l’opinion publique du pays quelques mois plus tard un peu avant les élections d’octobre 2025 au cours desquelles sera renouvelé une partie du pouvoir législatif. Milei risquait de perdre la majorité parlementaire dont il dispose grâce au soutien de la droite traditionnelle et d’une partie des parlementaires péronistes. Et il risquait un mauvais résultat électoral pour ses candidat-es.

En conséquence Donald Trump a mis la pression maximale sur le FMI pour que celui-ci apporte une bouée de sauvetage à Milei.

Trump était déjà venu en aide à un président de droite en Argentine en 2018 lors de son premier mandat, n’est-ce pas ?

Effectivement, Trump avait déjà procédé ainsi en 2018 pendant son premier mandat pour soutenir Mauricio Macri en obtenant du FMI qu’il prête à l’Argentine 45 milliards de dollars afin d’essayer d’éviter un échec électoral en 2019.

Le crédit de 2018 était odieux car il allait à l’encontre de l’intérêt de la population. Une très grande partie de la somme prêtée était repartie à l’étranger sous la forme d’une fuite des capitaux. Macri avait perdu les élections présidentielles d’octobre 2019. Un front péroniste dirigé par Alberto Fernandez et Cristina Kirchner avait gagné les élections en promettant un changement de politique dans un sens progressiste. Mais par la suite le gouvernement péroniste mis en place n’avait pas eu le courage d’affronter les créanciers en particulier le FMI. Afin de rembourser la dette odieuse contractée par Macri en 2018, le gouvernement péroniste avait lui-même demandé en 2022 un nouveau crédit au FMI pour un montant de 45 milliards de dollars. Les politiques attentistes puis de plus en plus impopulaires que ce gouvernement péroniste avait imposées sous la conduite du FMI (afin de répondre aux conditions que celui-ci fixait et de satisfaire les intérêts du grand capital) avaient provoqué une grande déception dans sa base électorale.

Quel était le pari de Javier Milei sur le plan économique ?

Milei a gagné les élections présidentielles de 2023 en se présentant comme un sauveur et en utilisant les mêmes méthodes de communication que Trump

Aux élections d’octobre 2023, Milei a gagné les élections présidentielles en se présentant comme un sauveur et en utilisant les méthodes de communication du type de celles de Trump. Tout de suite il avait reçu les félicitations du FMI. Le grand capital argentin et international était content. Mais les mesures de choc qu’il a prise ont provoqué une chute de la consommation, une montée de la pauvreté et n’ont pas véritablement relancé l’économie. Les réserves de change qui étaient déjà faibles ont encore été réduites. Milei espérait que sa politique ultra anti populaire austéritaire et les multiples mesures de dérégulation allaient attirer un grand afflux de capitaux étrangers. Cela ne s’est pas produit. Du coup son gouvernement allait manquer de réserves de changes pour faire face aux remboursements réclamés par le FMI. Pour s’en sortir il lui fallait absolument obtenir un nouveau crédit du FMI afin de continuer à le rembourser et de payer la facture des importations.

Quelle a été la discussion au sein du FMI à propos de l’aide à apporter à Milei ?

La direction du FMI était confrontée à une discussion interne importante. Comment justifier un nouveau crédit très volumineux alors que la règle officiellement en vigueur est la suivante : le FMI ne peut prêter que si le crédit qu’il octroie rend la dette soutenable. Or il était manifeste que les deux crédits précédents, les 45 milliards de 2018, suivis des 45 milliards supplémentaires de 2022 n’avaient pas rendu la dette soutenable. Celle-ci a très fortement augmenté.

Au sein de la direction du FMI, des voix se sont élevées pour dire que le nouveau crédit et le nouveau programme qui lui était lié n’allaient pas donner de meilleurs résultats que les précédents. Le staff permanent du FMI le savait très bien. Mais la pression de Trump sur Kristalina Georgieva, la directrice générale, et sur le staff a été maximale.

Quelle a été la position des membres des BRICS+ au sein du FMI ?

Ce qui est frappant c’est que les pays membres des BRICS ont accepté la pression de Trump et ont tous voté en avril 2025 en faveur de l’octroi du crédit de 20 milliards de dollars. Le Brésil de Lula est intervenu activement pour convaincre les autres pays latino-américains de voter en faveur du crédit alors que Milei représente un vrai danger pour la démocratie dans le continent et qu’il soutient Bolsonaro et l’extrême-droite brésilienne qui espère gagner les élections brésiliennes en octobre 2026.

BRICS ont accepté la pression de Trump et ont tous voté en avril 2025 pour que le FMI prête 20 milliards de dollars au gouvernement de Milei

La Chine, la Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud et les autres nouveaux membres des BRICS qui ont des réprésentant-es dans la direction du FMI ont tous voté en faveur du crédit de 20 milliards de dollars. La Chine (6,08%), la Russie (2,59%), le Brésil (2,22%), l’Inde (2,63%) et l’Afrique du Sud (0,63%) disposent ensemble d’un peu plus de 14 % des voix dans la direction du FMI (comme dans la Banque mondiale à peu de choses près). Si on ajoute les 5 nouveaux membres des BRICS à savoir l’Indonésie (0,95% des voix), l’Iran (0,74%), les Émirats Arabes Unis (0,49%), l’Egypte (0,43%) et l’Ethiopie (0,09%), les BRICS+ détiennent quasi 17% de voix (Pour les pourcentages, voir https://www.imf.org/en/About/executive-board/members-quotas). Or avec 15%, il est possible de bloquer une décision car une majorité de 85% est nécessaire en cas de vote sur des questions controversées. De toute façon, indépendamment du calcul des voix, il est certain que les représentants des BRICS auraient pu s’opposer dans la discussion à la décision et rendre celle-ci très difficile à prendre car d’autres pays hésitaient clairement.
C’est donc très grave que les dirigeants BRICS aient décidé de soutenir Milei en prenant le risque de lui offrir l’occasion de se maintenir au pouvoir et d’avoir un effet de contagion sur le reste de la région et au-delà. Cela peut avoir des conséquences encore plus dramatiques que celles que nous connaissons actuellement tant pour le peuple argentin que pour de nombreux autres peuples.
Ce qui se passe entre l’Argentine, le FMI et d’autres créanciers encouragera d’autres gouvernements à mener des politiques anti sociales de plus en plus brutales car ils sauront que même en cas d’échec patent sur le plan macro-économique, ils pourront toujours compter sur une aide du FMI.

Quel a été le rôle de la Chine ?

Il est important ici d’expliquer le rôle joué par la Chine qui est le deuxième partenaire commercial de l’Argentine bien avant les Etats-Unis. La Chine achète environ 15% des exportations argentines, le Brésil en achète 20% et les Etats-Unis 7 à 8%. Les principaux produits exportés par l’Argentine vers la Chine sont le soja et ses dérivés, le maïs, le blé, la viande bovine, le vin, le pétrole et des produits pétroliers, et également du lithium. Quinze % des importations argentines viennent de Chine et elles consistent principalement en machines et équipements industriels, véhicules, pièces détachées, produits électroniques. Les relations entre la Chine et l’Argentine sont donc emblématiques de relations entre un pays industrialisé et un pays essentiellement exportateur de matières premières.

La Chine qui est le deuxième partenaire commercial de l’Argentine bien avant les Etats-Unis

A la veille de l’octroi du crédit du FMI à l’Argentine début avril 2025, la Chine a renouvelé une ligne de crédit pour l’équivalent de 5 milliards de dollars à l’Argentine de Milei (comme elle l’avait fait avec le président de droite Mauricio Macri en 2018 et ensuite avec le président péroniste Alberto Fernandez qui lui avait succédé). La Chine a donc elle aussi fourni une bouée de sauvetage pour Milei. En effet le crédit octroyé par la Chine permet au gouvernement de Milei en cas de besoin d’effectuer des remboursements au FMI, de rembourser d’autres créanciers y compris chinois et de payer une partie de sa facture d’importation de produits industriels chinois.

Il est important de noter que le swap de crédit chinois permet à Milei d’afficher un niveau positif de réserves brutes de change, alors qu’en réalité, le niveau net des réserves est négatif, comme le montre une note de l’agence de notation Fitch datée d’avril 2025, qui peut être consultée ici [9]. Trump a fait pression sur Milei pour qu’il ne renouvelle pas sa demande de crédit auprès de la Chine [10]. Mais celui-ci était dans une situation tellement désespérée qu’il a résisté à la demande pressante de son mentor Trump. La Chine a aidé Milei et en même temps elle s’est assurée qu’il serait capable de poursuivre le paiement de la dette argentine à son égard et qu’il pourrait continuer à payer ses factures d’importations chinoises. La Chine a donc privilégié ses intérêts économiques et géostratégiques.

Conclusions

La Chine a renouvelé en avril 2025 une ligne de crédit pour l’équivalent de 5 milliards de dollars à l’Argentine de Milei

Les BRICS ont adopté une attitude très complaisante au sein de la direction du FMI à l’égard de Trump et de ses alliés et cela n’empêche pas le président des Etats-Unis d’être à l’offensive contre eux.
L’Argentine de Javier Milei illustre à quel point la politique et la finance internationale sont indissociables. En avril 2025, le FMI, la Chine, la Banque mondiale et la BID ont offert au président argentin une bouée de sauvetage de 42 milliards de dollars, lui permettant de repousser une crise imminente. Ce soutien, obtenu sous la pression de Donald Trump et validé par les BRICS+, révèle que les considérations géopolitiques l’emportent sur toute logique économique de soutenabilité de la dette. La situation de l’Argentine est pourtant alarmante : un endettement record vis-à-vis du FMI, des réserves de change épuisées, une croissance quasi nulle si on prend la période 2022-2025, et un tissu social profondément fragilisé par les politiques d’austérité. Malgré un excédent budgétaire salué par les créanciers, le mécontentement populaire est palpable. Le choix des BRICS+ de soutenir Milei, en contradiction avec leur discours de rupture face à l’ordre financier occidental, confirme que leurs priorités demeurent dictées par leurs propres intérêts commerciaux et stratégiques. La Chine, en particulier, a privilégié la sécurité de ses exportations et de ses créances. Le gouvernement de Lula a également privilégié ses intérêts économiques car il compte bien sur l’argent du FMI pour que l’Argentine de Milei puisse continuer à payer sa facture d’importation en provenance du Brésil. En définitive, cette aide ne garantit ni la stabilité politique de Milei ni la relance durable de l’économie argentine. Elle reporte seulement l’échéance, au prix d’un endettement toujours plus insoutenable et la poursuite de durs sacrifices pour les classes populaires.

 

L’auteur remercie Demián García Orfanó, Jorgelina Matusevicius, Julio Gambina, Eduardo Lucita et Jorge Marchini pour leurs commentaires, leur relecture et leurs conseils. L’auteur est seul responsable des opinions exprimées dans ce texte et de toute erreur qu’il pourrait contenir.

 

Notes

[1] IMF, “IMF Executive Board Approves 48-month US$20 billion Extended Arrangement for Argentina”, 11/04/2025, https://www.imf.org/en/News/Articles/2025/04/12/pr25101-argentina-imf-executive-board-approves-48-month-usd20-billion-extended-arrangement

[2] El Mundo, “Argentina recibe un salvavidas de 20.000 millones de dólares del FMI  » , 9/04/2025, https://www.elmundo.es/economia/macroeconomia/2025/04/09/67f5fff7fdddff59738b456f.html “Argentina recibe un salvavidas de 20.000 millones de dólares del FMI. La noticia llega en un momento fundamental para la economía argentina, que comenzó a exhibir señales preocupantes en las últimas semanas : la inflación dejó de bajar, el dólar comenzó a subir y el valor riesgo del país quebró la barrera de los mil puntos.
En medio del terremoto financiero internacional y de un momento sumamente delicado de su gobierno, Javier Milei celebró el «  salvavidas  » de 20.000 millones de dólares que el Fondo Monetario Internacional (FMI) le arrojó a Argentina. «  ¡Vamos, Luis Capiuto, carajo  !  », escribió avanzada la noche de este martes el presidente argentino en la red social X citando a su ministro de Economía.”

[3] Le Monde, «  L’Argentine obtient 42 milliards de dollars des institutions financières internationales  », 12/04/2025, https://www.lemonde.fr/international/article/2025/04/12/l-argentine-conclut-un-accord-pour-un-pret-du-fmi-et-la-levee-du-controle-des-changes_6594422_3210.html

[4] Clarín, «  Una por una, las nuevas medidas económicas del Gobierno : fin del cepo y fondos frescos del FMI por US$ 15 mil millones  », 12/04/2025, https://www.clarin.com/economia/nuevas-medidas-economicas-gobierno-fin-cepo-fondos-frescos-fmi-us-15-mil-millones_0_gWZ3bYdtLi.html «  El FMI entregará a la Argentina un préstamo de US$ 20.000 millones en un programa de cuatro años. Eso incluye un desembolso inicial de US$ 15.000 millones en fondos frescos.  » . Voir aussi le communiqué officiel du gouvernement argentin : https://www.argentina.gob.ar/noticias/argentina-anuncia-un-programa-de-facilidades-extendidas-con-el-fondo-monetario , 11/04/2025

[5] Lire : Ministerio de Economía, «  Argentina anuncia un programa de facilidades extendidas con el Fondo Monetario Internacional por USD20.000 millones Argentina anuncia un programa de facilidades extendidas con el Fondo Monetario Internacional por USD20.000 millones  » 11 avril 2025 https://www.argentina.gob.ar/noticias/argentina-anuncia-un-programa-de-facilidades-extendidas-con-el-fondo-monetario
Voir des informations critiques monttrant qu’une partie des sommes prêtées est repartie vers l’étranger sous forme de fuite des capitaux : https://www.reddit.com/r/argentina/comments/1m6e0s4/en_45_d%C3%ADas_se_fugaron_us_5300_m_el_44_del/?tl=en
Voir aussi une évaluation datant de juillet 2025 : Buenos Aires Times et Blomberg«  IMF to discuss Argentina amid US$20-billion programme’s first review  », 22 juillet 2025, https://www.batimes.com.ar/news/economy/imf-to-discuss-argentina-amid-us20-billion-programmes-first-review.phtml
Par ailleurs, le FMI sous la pression de Milei a déplacé un de ses hauts fonctionnaires chiliens considéré comme trop critique : Perfil, «  El FMI «  le hace caso  » a Milei y corre al chileno Rodrigo Valdés de la dirección para América Latina El funcionario había sido desplazado el año pasado de la negociación del programa de la deuda tras las críticas de Javier Milei. Ahora ocupará el Departamento de Finanzas Públicas en el FMI.  », 14 septembre 2025, https://www.perfil.com/noticias/internacional/el-fmi-nombro-en-un-nuevo-puesto-a-rodrigo-valdes-quien-tuvo-una-relacion-tensa-con-argentina.phtml

[6] Les Droits de Tirage Spéciaux (DTS / Special Drawing Rights, SDR) ne sont pas une monnaie au sens strict. C’est une unité de compte créée par le FMI en 1969, qui sert de référence pour : valoriser les transactions du FMI, servir d’actif de réserve international, compléter les réserves officielles des pays membres. La valeur d’1 DTS/SDR est définie à partir d’un panier de monnaies principales (actuellement USD, EUR, Renminbi, Yen japonais, livre sterling). Selon les taux actuels du FMI, 1 DTS/SDR = 1,37 USD.

[7] Le quota est la “part de capital” qu’un pays détient au FMI. Chaque pays membre doit souscrire un quota lorsqu’il adhère au Fonds. Ce quota est exprimé en Droits de Tirage Spéciaux (DTS / SDR). Le quota représente la contribution d’un pays aux ressources du FMI (un peu comme une mise de fonds dans une coopérative). Droit de vote : Le quota détermine le nombre de voix qu’un pays a dans les décisions du FMI. Accès au financement : Le quota définit le plafond d’emprunt d’un pays au FMI. Normalement, un pays peut emprunter jusqu’à un certain multiple de son quota (par ex. 145 % par an, 435 % cumulés, sauf dérogation). Quand un pays a une dette auprès du FMI de 3, 5 ou 10 fois son quota, cela veut dire qu’il a bénéficié de dérogations exceptionnelles.

[8] Javier Milei a fait l’objet d’une polémique pour avoir vigoureusement promu une cryptomonnaie $LIBRA qui s’est effondrée peu après, causant des pertes à ses partisans. Il est accusé d’avoir abusé de sa position d’influence économique pour mener une opération financière douteuse. La cryptomonnaie était présentée comme un moyen de se protéger contre l’inflation galopante en Argentine et comme un investissement pour l’avenir. Milei, défenseur de l’anarcho-capitalisme et fervent détracteur de la banque centrale, lui conférait une crédibilité considérable. Problème : peu après son lancement, le cours de la $LIBRA «  Coin Milei  » s’est effondré, perdant presque toute sa valeur. De nombreux investisseurs qui avaient acheté la cryptomonnaie sur les recommandations de Milei ont perdu leur argent. Voir aussi : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2025/02/18/javier-milei-et-la-crypto-libra-derriere-le-scandale-une-manipulation-a-grande-echelle_6552987_4408996.html

[9] By March 2025, reserves fell to USD24 billion, and net reserves to negative USD7 billion (net of the China swap, reserve requirement and repos), little changed from December 2023, when Milei took office.” Source : Fitch Ratings, “Argentina’s FX Policy Shift Opens Clearer Path to Reserve Accumulation”, 17 Avril 2025 https://www.fitchratings.com/research/sovereigns/argentinas-fx-policy-shift-opens-clearer-path-to-reserve-accumulation-17-04-2025

L’Auteur

Eric Toussaint Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale – Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

L’article original est accessible ici