Née pour empêcher les guerres, l’ONU a fini par certifier des massacres
En 1945, alors que les bombes fumaient encore sur Hiroshima et Nagasaki, les nations du monde juraient : plus jamais. Plus jamais de guerres mondiales, plus jamais de génocides, plus jamais d’indifférence face à la barbarie. La promesse était solennelle. Les Nations Unies étaient nées comme un bouclier pour l’humanité, un pacte moral contre l’horreur et un outil politique pour contenir les puissants. On disait qu’il y aurait enfin un lieu où les peuples, même petits, auraient une voix et où les grands seraient surveillés ; c’était le début d’une ère de paix universelle.
Quatre-vingts ans plus tard, l’ironie est cruelle. L’ONU existe, mais les guerres aussi ; les massacres n’ont pas disparu ; ils ont simplement changé de lieu. Le « Plus jamais ça » de San Francisco est devenu un « Toujours ça » à Gaza, en Ukraine, au Rwanda, en Bosnie, au Yémen et au Congo. Ce qui n’était au départ qu’un espoir mondial s’éternise aujourd’hui au milieu de discours creux, de résolutions rejetées et de communiqués de presse passés sous silence. L’ONU n’est pas l’arbitre de l’humanité ; elle est le notaire de ses tragédies.
L’institution censée incarner la justice mondiale s’est retrouvée piégée par ses propres statuts. Chaque fois qu’une puissance décide de recourir à la force, le Conseil de sécurité devient un théâtre où le mot « veto » vaut plus que des millions de vies. Des gens regardent leurs enfants mourir tandis que la sémantique d’un paragraphe est débattue à New York. L’ONU n’arrête pas les guerres, elle les compte. Elle n’empêche pas les génocides, elle les certifie. Elle ne protège pas les plus faibles, elle les regarde tomber.
Avoir 80 ans devrait être un motif de célébration, mais dans le cas de l’ONU, c’est un anniversaire gênant. C’est l’anniversaire d’une promesse non tenue. Et ce qui est en jeu n’est plus son prestige, mais sa raison d’être même. Soit l’ONU redevient le bouclier qu’elle avait promis d’être, soit elle sera condamnée à l’insignifiance, et restera dans les mémoires comme la bureaucratie la plus coûteuse et la plus inutile de l’histoire.
Ce qu’elle a promis et ce qu’elle n’a pas tenu
À ses débuts, l’ONU offrit des signes d’espoir ; la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 fut un phare. Pour la première fois, l’humanité s’accorda sur le fait que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité. Ce texte inspira des constitutions, des mouvements sociaux et des luttes contre les dictatures. Ce fut un triomphe moral, même s’il ne garantissait jamais la réalisation de ces promesses.
L’ONU a également soutenu la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie, plus de 80 pays ayant accédé à l’indépendance sous son égide politique et diplomatique. Ce fut une avancée historique, même si nombre de ces nouvelles nations sont restées prisonnières de la pauvreté, sous des dictatures soutenues par les mêmes puissances qui prônaient la liberté. L’indépendance est arrivée, mais la justice n’est pas venue.
Leurs agences spécialisées furent les plus efficaces. L’UNICEF sauva des millions d’enfants de la faim et de la maladie. Le HCR protégea les personnes déplacées. L’OMS éradiqua la variole et coordonna des campagnes de santé mondiales. Ces acronymes firent plus pour l’humanité qu’une centaine de discours à l’Assemblée générale ; ils furent une oasis d’efficacité au milieu du désert de la paralysie politique.
Qu’était censée empêcher l’ONU, mais qu’elle n’a pas empêchée ? La guerre du Vietnam, qui a fait plus de trois millions de morts sous le napalm et les bombes. L’ONU a assisté en silence à la destruction d’un pays au nom de la géopolitique.
Qu’est-ce qui n’a pas arrêté ? Le génocide rwandais de 1994, qui a fait un million de morts en 100 jours, alors que les Casques bleus de l’ONU avaient reçu l’ordre de ne pas intervenir. L’un des pires massacres du XXe siècle s’est déroulé sous leurs yeux.
Qu’a-t-elle permis ? Les massacres de Srebrenica en Yougoslavie (1995), où huit mille musulmans bosniaques ont été exécutés à quelques mètres des casques bleus néerlandais, qui avaient reçu l’ordre d’« observer » sans tirer.
Qu’a-t-elle toléré ? L’occupation israélienne de la Palestine depuis 1948. L’ONU s’est rendue complice du partage qui a semé le conflit éternel et, pendant 75 ans, a adopté des résolutions auxquelles les États-Unis ont constamment opposé leur veto. Résultat : Gaza bombardée, des milliers d’enfants assassinés, des millions de réfugiés – une tragédie continue que l’ONU enregistre sans parvenir à arrêter.
Qu’a-t-elle omis ? L’invasion illégale et dévastatrice de l’Irak en 2003, qui a fait plus de 500 000 morts parmi la population civile. L’ONU ne l’a pas autorisée, mais ne l’a pas empêchée non plus. Plus tard, lorsqu’il était trop tard, elle a publié des déclarations.
Que n’a-t-on pas dit ? Le désastre libyen de 2011, devenu un État failli après une intervention de l’OTAN appuyée par des résolutions ambiguës. Aujourd’hui, le pays est un enfer, abritant même des marchés d’esclaves, tandis que l’ONU n’apparaît que comme un témoin décoratif.
Que tolère-t-elle aujourd’hui ? La guerre en Ukraine, où l’invasion et les crimes de guerre russes font l’objet de vetos croisés au Conseil de sécurité. Résultat : une paralysie diplomatique, des milliers de morts et des millions de déplacés.
L’ONU a également été incapable d’empêcher les coups d’État et les massacres en Afrique, du Congo au Darfour. Elle n’a pas non plus pu mettre un terme à la guerre au Yémen, où plus de 300 000 civils ont péri dans un conflit parrainé par des puissances siégeant à son propre Conseil.
Chaque tragédie nous rappelle ce qu’il aurait pu faire et n’a pas fait, ce qu’il a promis et n’a pas tenu. Ce que « Plus jamais » signifiait en 1945 et ce qu’il était vraiment : « Toujours encore ».
Le catalogue des tragédies
L’ONU n’était pas un bouclier, elle était un témoin et parfois un complice.
Rwanda, 1994. Un million de morts en cent jours. Les Casques bleus de l’ONU avaient reçu l’ordre de ne pas intervenir. L’ONU a présenté ses excuses des années plus tard, alors que les corps étaient déjà sous terre.
Bosnie, 1995. L’ONU a déclaré Srebrenica « zone de sécurité ». Huit mille musulmans ont été exécutés à quelques mètres de ses troupes. La sécurité promise s’est transformée en charnier.
La Palestine, depuis 1948. Le partage, approuvé par l’ONU, a semé les germes d’un conflit éternel. Plus de 200 résolutions ont été rejetées, des milliers de morts à Gaza, des millions de réfugiés. L’ONU observe, rend compte sur papier et laisse l’impunité s’imposer comme loi.
Vietnam, 1955-1975. Vingt ans de guerre, trois millions de morts, un pays en proie au napalm et aux produits chimiques. L’ONU n’était plus qu’un fantôme diplomatique.
Irak, 2003. L’invasion illégale a fait un demi-million de morts. L’ONU a été ignorée et réduite à un simple accessoire de scène.
Libye, 2011. Elle a autorisé une zone d’exclusion aérienne et ouvert la voie au désastre. Aujourd’hui, c’est un État en faillite avec des marchés d’esclaves. L’ONU a légitimé l’opération, puis a disparu.
Ukraine, 2022. Vétos croisés, résolutions inefficaces. Des milliers de morts et des millions de déplacés tandis que l’ONU tergiverse par rhétorique.
Yémen, depuis 2015. Plus de 300 000 civils ont été tués. Des enfants meurent de faim sous les bombardements commandités par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. L’ONU distribue l’aide, mais ne sanctionne jamais les commanditaires, car ils sont alliés aux puissances.
Congo, décennies de guerre. Des millions de morts au cœur de l’Afrique pour des minerais stratégiques. L’ONU a déployé l’une de ses plus importantes missions de maintien de la paix, mais n’a pas pu mettre fin aux massacres, aux viols de masse et au pillage des ressources.
Soudan et Darfour. Au début des années 2000, plus de 300 000 personnes avaient péri et deux millions avaient été déplacées. Il a fallu des années à l’ONU pour qualifier de génocide ce qui était évident dès le premier jour.
Syrie, depuis 2011. Guerre interminable, centaines de milliers de morts, millions de réfugiés. Les vetos croisés au Conseil ont transformé l’ONU en un parlement paralysé, tandis qu’Alep et Homs étaient réduites en ruines.
Afghanistan. Quatre décennies d’invasions, d’occupations et de guerres civiles. L’ONU a administré l’aide humanitaire, mais n’a jamais réussi à enrayer la destruction. Elle s’est retrouvée comme un invité indésirable dans le pays le plus lourdement ingéré de la planète.
La liste pourrait être longue : le Congo, le Soudan, la Syrie et l’Afghanistan ne sont que des fragments d’une longue série de massacres. Chaque continent possède son charnier, sous le regard scrutateur de l’ONU. Quatre-vingts ans plus tard, l’organisation née pour prévenir les guerres est devenue le témoin des massacres.
Le poison du veto
Le veto est le poignard planté au cœur de l’ONU. D’une seule main levée, un pays peut réduire au silence 190 nations. Peu importe que le monde entier condamne une invasion, un bombardement ou un génocide. Il suffit que les États-Unis, la Russie, la Chine, la France ou le Royaume-Uni disent « non » pour que la justice meure à la table du Conseil de sécurité.
Ce mécanisme, né en 1945 pour apaiser les égos des puissances victorieuses de la guerre, constitue aujourd’hui la paralysie institutionnelle la plus coûteuse de l’histoire. Le veto n’était pas une erreur technique ; c’était un privilège gravé dans la pierre qui a fait de cinq pays les maîtres du destin de la planète.
Grâce à leur veto, les États-Unis ont bloqué plus de 40 résolutions contre Israël, dissimulant ainsi des décennies d’occupation et de massacres en Palestine. Grâce à ce veto, la Russie peut justifier son invasion de l’Ukraine tout en scellant du doigt les condamnations. Grâce à ce veto, la Chine paralyse les résolutions relatives aux droits humains qui portent atteinte à ses intérêts. La France et le Royaume-Uni l’ont également utilisé à un moment donné pour justifier leurs guerres coloniales déguisées en opérations.
Le résultat est grotesque. L’organisme censé garantir la paix est un club de cinq membres permanents jouissant du droit à l’impunité. Un club où les guerres se décident en fonction des affaires, des alliances et du pouvoir, et non de la justice.
L’ironie est brutale. L’ONU est née comme symbole de démocratie internationale, mais son Conseil de sécurité fonctionne comme une monarchie médiévale : cinq rois disposant d’un droit de veto contre 190 vassaux dénués de tout pouvoir réel.
Quatre-vingts ans plus tard, le veto est la cause de l’échec de l’ONU à Gaza, en Ukraine, en Syrie et au Yémen. Ce n’est pas que l’ONU ne peut pas agir, c’est qu’elle refuse de la laisser agir. Ce n’est pas un problème de manque d’informations ou de ressources ; c’est un problème d’architecture. Une institution tenue en otage par cinq chaises ne peut être l’arbitre du monde. Elle peut être un lieu de discours, mais jamais un garant de justice.
Ce qu’elle aurait dû faire et n’a pas fait
L’ONU n’a pas été créée pour rédiger des communiqués ; elle a été créée pour arrêter les guerres, mettre un terme aux génocides et protéger les peuples sans défense. Et en quatre-vingts ans, elle ne l’a pas fait. Les mesures qu’elle aurait dû prendre sont aussi évidentes que son absence.
Il aurait fallu mettre fin aux génocides en temps réel, et non après les massacres. Au Rwanda, en Bosnie, au Darfour. Les troupes étaient présentes, mais avaient reçu l’ordre de ne pas intervenir. L’ONU était un témoin armé qui a choisi la passivité.
Elle aurait dû empêcher les invasions illégales comme celles du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan, mais elle a préféré garder le silence face aux empires. Lorsqu’une puissance disposant d’un siège permanent déclenchait une guerre, l’ONU disparaissait de la scène.
Elle aurait dû protéger les peuples sans défense comme les Palestiniens, soumis à l’occupation et aux bombardements depuis des décennies. Chaque résolution rejetée était une nouvelle tombe, chaque silence, une complicité.
Elle aurait dû punir tous les agresseurs, pas seulement ses ennemis du moment. Elle a condamné certains dictateurs tout en gardant le silence sur d’autres. Elle était cruel envers les faibles et tolérait les forts.
Il aurait fallu créer un véritable mécanisme d’intervention humanitaire, capable d’arrêter les massacres même si une puissance disait le contraire, mais elle a préféré être l’otage du veto.
Elle aurait dû briser la dictature du Conseil de sécurité en accordant davantage de pouvoirs à l’Assemblée générale, où le peuple a voix au chapitre. Mais elle n’a jamais osé priver les cinq détenteurs du droit de veto de leurs privilèges.
Elle aurait dû défendre le droit à l’autodétermination de tous les peuples, du Sahara occidental au Kurdistan, mais elle a préféré choisir l’indifférence. Les peuples sans État demeurent dans l’incertitude, car il est difficile pour les puissances de les reconnaître.
Elle aurait dû interdire la course aux armements et condamner la production massive d’armes nucléaires, biologiques et chimiques. Au lieu de cela, elle a autorisé les fabricants de mort à siéger à ses tables de négociation et même à présider les comités de désarmement.
Elle aurait dû garantir un système judiciaire international indépendant, où les crimes de guerre seraient punis, quels qu’en soient les auteurs. Mais la Cour pénale internationale est sélective, et l’impunité est la norme pour les puissants.
Elle aurait dû devenir un refuge pour les plus pauvres, garantissant l’alimentation, les soins de santé et l’éducation comme des droits universels. Au lieu de cela, elle laisse la faim tuer des millions de personnes tandis que des milliers de milliards sont dépensés en armement.
L’ONU était censée être un arbitre, mais elle est devenue un commentateur, un gardien et un témoin, un bouclier et un prétexte. Le problème n’était pas un manque de ressources ou de personnel, mais un manque de courage politique. Elle a préféré obéir aux puissants plutôt que de défendre l’humanité.
Changements urgents
Si l’ONU veut survivre à son 80e anniversaire, elle n’a pas besoin de maquillage ni de discours commémoratifs ; elle a besoin d’une intervention chirurgicale majeure. Les changements sont clairs ; ils ne requièrent pas de philosophes, mais du courage.
Le veto doit être supprimé. Aucun pays ne peut s’arroger le droit divin de bloquer la justice. Ce privilège médiéval est la racine de toute paralysie. Soit le veto disparaît, soit l’ONU perd sa crédibilité.
Il faut transformer le Conseil de sécurité en un Conseil de justice mondiale, avec une représentation tournante et égale de toutes les régions. Aucune puissance ne peut à elle seule dicter durablement le destin de la planète. Le pouvoir doit circuler, et non stagner dans cinq sièges.
Elle doit donner du mordant à la Cour pénale internationale afin qu’elle puisse juger les crimes de guerre sans distinction de drapeau. Le président d’une puissance nucléaire et un dictateur africain doivent avoir le même devoir de rendre des comptes à la justice. L’impunité sélective est le cancer de l’ONU.
Elle doit garantir un financement indépendant, et non dépendre des contrôles de ceux qui exigent ensuite obéissance. Une organisation financée par les pouvoirs en place devient un serviteur, et non un juge.
Elle doit être capable d’intervenir immédiatement sur le plan humanitaire, sans attendre d’interminables autorisations. En cas de génocide, nul besoin de comités ni de discours ; il faut des casques bleus ayant pour mandat de protéger, et non d’observer.
Il faut donner un véritable pouvoir à l’Assemblée générale, seule instance où tous les pays sont sur un pied d’égalité. Aujourd’hui, ses résolutions ne sont pas contraignantes. Elles doivent devenir une loi mondiale contraignante afin que la voix de 190 nations soit aussi puissante que le doigt levé d’un seul pays.
Elle doit être ouverte à la citoyenneté mondiale. Les mouvements sociaux, les peuples autochtones et les organisations de défense des droits humains doivent être représentés institutionnellement, et non pas seulement invités à prendre la parole. Une ONU sans peuple est une ONU sans âme.
Elle doit interdire le trafic et la production massive d’armes, condamner les fabricants de mort et expulser de ses comités les puissances qui profitent de l’industrie de la guerre. Une organisation qui aspire à la paix ne peut être prise en otage par les marchands de guerre.
Il faut créer des mécanismes de justice climatique pour punir ceux qui polluent la planète et contraindre les États à respecter leurs engagements environnementaux. Impossible de parler de paix lorsque l’avenir de l’humanité se dissipe silencieusement.
Elle doit garantir la protection des minorités et des peuples sans État, comme ceux du Sahara occidental, du Kurdistan ou des Rohingyas, qui survivent aujourd’hui dans l’oubli. L’ONU ne peut rester un club de nations reconnues ; elle doit être le foyer des sans-voix.
Elle doit être capable d’intervenir contre les dictatures et les régimes répressifs, même s’ils bénéficient du soutien de puissances puissantes. Défendre la liberté ne peut être sélectif ; elle doit être universelle, sinon elle ne défend rien.
Quatre-vingts ans plus tard, l’ONU n’a que deux options : une réforme radicale ou l’inutilité. Toute autre option n’est que rhétorique creuse.
Philosophie et ironie d’un anniversaire gênant
L’ONU fête ses 80 ans et souhaite les célébrer avec des discours, des gâteaux diplomatiques et des bilans financiers remplis de personnalités compatissantes. Mais derrière les applaudissements se cachent les cimetières ouverts. Que célèbre-t-elle exactement ? Sa survie en tant qu’édifice bureaucratique, tandis que des millions de personnes mouraient sous son regard impuissant ?
L’ironie est brutale. Une organisation fondée pour prévenir la guerre a apporté son aide dans plus de 250 conflits armés en huit décennies. Créée pour mettre fin aux génocides, elle a fini par présenter des excuses après chaque massacre. Censée être un arbitre impartial, elle a fini par servir de tribune à des puissances qui parlent de paix d’une main et vendent des armes de l’autre.
Le 80e anniversaire de l’ONU n’est pas un anniversaire solennel, c’est un bilan moral. La philosophie qui a présidé à sa création était claire : un pacte d’humanité face à l’horreur. Mais cette philosophie a été corrompue par les vetos, les privilèges et la lâcheté. Aujourd’hui, l’ONU est davantage une archive qu’un bouclier, plus un notaire qu’un juge, plus un observateur qu’un protecteur. Une institution qui commémore ce qu’elle aurait dû faire, mais n’a jamais fait.
L’ONU célèbre à New York avec drapeaux et cravates, tandis qu’à Gaza, des enfants continuent de mourir sous des bombes qu’elle n’a jamais fermement condamnées. Elle célèbre dans des auditoriums illuminés, tandis qu’en Ukraine, des millions de réfugiés fuient sans savoir s’ils rentreront un jour chez eux. Elle célèbre sa longévité, non son efficacité.
Quatre-vingts ans plus tard, l’ONU est une caricature d’elle-même. Elle n’est pas le parlement de l’humanité ; c’est l’écho creux de discours que personne n’écoute. Elle ressemble davantage à un musée de promesses non tenues qu’à un gardien de la justice. Elle expose des vitrines des droits de l’homme tandis que, dans la salle voisine, se déroulent des négociations pour savoir qui pourra bombarder sans être puni.
Le plus ironique, c’est que beaucoup continuent d’en parler comme de « l’espoir de l’humanité ». Or, l’humanité n’attend plus rien. Les gens se tournent vers l’ONU avec la même confiance qu’ils auraient envers un feu de circulation en panne : elle est là, mais elle ne donne pas d’ordres. Elle est là, mais elle n’empêche pas les affrontements.
Une nouvelle ONU ou rien
Quatre-vingts ans plus tard, l’ONU fait face à sa dernière chance. Soit elle devient le véritable bouclier de l’humanité, soit elle restera la bureaucratie la plus coûteuse et la plus inutile de l’histoire. Nous n’avons pas besoin d’un recueil de résolutions ; nous avons besoin d’une institution qui sauve des vies.
L’ONU doit renaître, sans veto ni privilèges, avec la force morale de représenter tous les peuples et pas seulement cinq sièges permanents. Elle doit être capable de dire « non » aux puissances qui violent la justice et « oui » aux faibles qui réclament protection. Elle doit devenir une véritable cour, un refuge pour ceux qui n’ont pas voix au chapitre, une garantie qu’aucun enfant ne mourra plus jamais sous les bombes pendant que les commissions new-yorkaises débattent entre elles.
L’avenir de l’humanité exige une ONU différente, qui punisse les crimes sans distinction de drapeau, qui autorise les invasions même sur ordre d’un puissant, qui réagit promptement face à la menace d’un génocide et qui place la vie au-dessus de la géopolitique. Une ONU qui n’a pas peur d’expulser ceux qui se livrent au commerce de la mort ou de garder le silence face à ceux qui fabriquent les guerres.
Ce qui est en jeu n’est pas seulement la crédibilité d’une institution ; c’est l’héritage que nous laisserons à nos enfants. Leur léguerons-nous une planète gouvernée par la loi du plus fort ou un monde avec un arbitre juste ? Une ONU décorative ou une ONU digne de ce nom ?
Le 80e anniversaire ne doit pas être un toast hypocrite ; il doit être un acte de rébellion morale. Soit l’ONU meurt, témoin passif de la barbarie, soit elle renaît en garante de la justice universelle ; il n’y a pas de troisième option. L’humanité n’a pas besoin d’un notaire, elle a besoin d’un gardien.
Note
Dépenses à l’échelle du système des Nations Unies (y compris les fonds, les programmes et les agences) En 2022, l’ensemble du système des Nations Unies a enregistré des dépenses totales d’environ 67,4 milliards USD, y compris les agences spécialisées et les initiatives volontaires.









