Il ne suffit plus de dénoncer l’OEA. Il ne suffit plus de dire que l’ONU est inutile. Il ne suffit plus de publier des déclarations de condamnation ou d’organiser des sommets symboliques du Sud. Le monde a changé. L’ordre international est brisé. Et si le Sud ne construit pas une véritable puissance, l’histoire l’ignorera. Car aujourd’hui, la puissance ne réside pas dans la rhétorique. Elle réside dans l’énergie. Dans les données. Dans la technologie.

La souveraineté du XXIe siècle ne se défend pas avec des canons. Elle se défend avec des puces électroniques, des réseaux électriques, l’intelligence artificielle et notre propre science. Il ne s’agit pas d’avoir un drapeau. Il s’agit d’avoir de l’énergie. Une énergie qui nous appartient. Une énergie qui ne dépend pas de traités coloniaux ou de fonds d’investissement qui n’ont jamais mis les pieds sur ce continent.

L’Amérique latine et l’Afrique ne sont pas des régions pauvres. Ce sont des régions pillées. Elles disposent de soleil, de vent, de minéraux, d’eau, de biomasse, de talents humains et d’une population résiliente. Elles ont tout ce qu’il faut pour construire un modèle énergétique souverain. Mais cela ne tombe pas du ciel. Cela se construit. Avec l’unité. Avec des alliances. Avec une stratégie. Nous devons cesser d’exporter des matières premières pour commencer à créer de la valeur.

Il est impossible que le Chili possède du lithium et achète des batteries. Que le Brésil possède du soleil et achète des panneaux solaires. Que l’Argentine exporte des cerveaux mais pas de savoir. Que la Bolivie possède du gaz et ne peut pas le raffiner. Que le Venezuela possède du pétrole et ne possède pas de droits de brevet. Que l’Afrique possède du coltan et n’ait pas Internet. Le Sud regorge de ressources mais manque d’électricité.

Et ce n’est pas une coïncidence. C’est voulu. Des décennies d’intégration au monde ont entraîné une subordination à leurs chaînes de valeur. Ils fournissent la technologie, nous fournissons les intrants. Ils conservent la propriété intellectuelle, nous fournissons les terres. Ils financent leur transition écologique, nous fournissons les sacrifices. Et tout cela avec des rapports techniques, des traités verts et des discours sur la coopération qui font fureur en Europe et brillent à Bruxelles.

C’est pourquoi le défi n’est pas de signer davantage d’accords, mais de briser les dépendances. Pour cela, nous avons besoin d’une unité énergétique du Sud. Une alliance technique et politique entre l’Amérique latine, les Caraïbes, l’Afrique et l’Asie du Sud pour partager les ressources, la technologie, le transport d’électricité, la recherche et les infrastructures essentielles. Non pas pour rivaliser pour attirer les investissements, mais pour coopérer au développement. Non pas pour distribuer du lithium, mais pour fabriquer des batteries. Non pas pour vendre du cuivre, mais pour produire des circuits. Non pas pour céder des rivières, mais pour produire une énergie propre et locale.

Parallèlement à cela, une alliance technologique du Sud est nécessaire. Car sans technologie, pas de pouvoir. Et si nous continuons à tout acheter, nous continuerons à tout perdre. Il est temps que les pays du Sud investissent dans la science, pilier du développement. Il ne s’agit pas de copier la Silicon Valley, mais de cesser d’en dépendre pour exister. Nous avons besoin de nos propres satellites, de nos propres serveurs, de nos propres vaccins, de nos propres puces. Il y a des universités. Les talents aussi. Ce qui manque, c’est la détermination politique. Ce qui manque, c’est l’unité.

Est-ce possible ? Bien sûr. Nous l’avons déjà constaté pendant la pandémie. Cuba a développé des vaccins. L’Argentine a séquencé le virus. Le Brésil a fabriqué des fournitures. La Bolivie a organisé la distribution. Le Chili a modélisé les données. Le Venezuela a maintenu ses réseaux médicaux sous sanctions. Ce qui manquait, c’était la coordination. Un système qui relie ces efforts et les transforme en souveraineté régionale. C’est ce qu’il faut avant la prochaine crise, la prochaine panne d’électricité, la prochaine guerre des puces électroniques ou la prochaine sécheresse mondiale.

Les BRICS l’ont déjà compris. C’est pourquoi ils encouragent les fonds communs pour l’innovation, les technologies vertes et le partage des connaissances scientifiques. C’est pourquoi l’Inde investit dans l’intelligence artificielle. C’est pourquoi la Chine est pionnière en matière d’énergies propres. C’est pourquoi la Russie défend farouchement sa souveraineté énergétique. Le Sud ne peut rester les bras croisés. Il ne peut plus demander sans cesse la permission. Il doit construire.

Et ce n’est pas seulement une question technique. C’est une question de justice. Car chaque fois que nous payons un supplément pour l’énergie que nous pourrions produire, la pauvreté augmente. Chaque fois que des médicaments ne sont pas fabriqués à cause de brevets imposés, des gens meurent. Chaque fois que nous ne pouvons pas utiliser nos semences, la souveraineté alimentaire est détruite. Chaque fois que nous dépendons de plateformes numériques étrangères, nous perdons le contrôle de notre démocratie. Ce n’est pas un détail. C’est le droit de décider.

C’est pourquoi il est urgent de créer une Agence de l’énergie et des technologies du Sud. Son siège sera tournant et bénéficiera des contributions de scientifiques, de travailleurs, d’universités et de peuples autochtones. Elle ne sera pas au service des entreprises, mais des citoyens. Elle proposera, coordonnera et pensera le développement par la coopération, et non par la concurrence.

Qui peut mener ce combat ? Tout le monde. Lula depuis le Brésil. Petro depuis la Colombie. Arce depuis la Bolivie. Claudia qui suit les traces d’AMLO depuis le Mexique. Boric, s’il l’ose depuis le Chili. Díaz-Canel à Cuba. Xiomara au Honduras. Maduro au Venezuela. Saint Luce à la Barbade. Pas Milei, car il préfère Miami. Mais peu importe. Ils ne sont jamais tous là. Il suffit que ceux et celles qui le veulent y soient. Ceux et celles qui n’ont pas peur. Ceux et celles qui n’attendent pas le feu vert du Nord pour agir.

Car cette fois, inutile d’attendre. Il faut aller de l’avant. Car celui qui ne maîtrise pas son énergie sera esclave. Celui qui ne produit pas sa technologie sera otage. Celui qui ne pense pas par lui-même sera gouverné par les autres. Et l’avenir n’est pas écrit par ceux qui ont raison. Il est écrit par ceux qui ont les outils.

L’unité énergétique et technologique du Sud n’est pas un rêve. C’est un avertissement à ceux qui croient encore que le Sud n’est qu’une matière première. À ceux qui pensent qu’une puce vaut plus qu’une vie. À ceux qui pensent que le colonialisme est révolu. Cette fois, le Sud n’arrive pas avec des discours. Il arrive avec des panneaux solaires, des raffineries, des logiciels libres, des universités locales, et une science sans autorisation.

Car cette fois, le Sud ne veut pas de charité. Il veut du pouvoir. De l’énergie, des données, des réseaux, de l’autonomie. Le XXIe siècle ne se gagne pas par les armes. Il se gagne par la souveraineté connectée. Et le Sud a tout ce qu’il faut pour le construire.

Il ne reste plus qu’à allumer l’étincelle.

 

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