Le jeudi 14 août 25, dernier jour ouvrable avant le long week-end de la mi-août, la Commission des Relations extérieures de la Chambre des représentants du Parlement fédéral belge s’est réunie en urgence dans l’après-midi, sous pression populaire et politique, pour un échange de vues consacré à la situation à Gaza. Une manifestation citoyenne en soutien à la cause palestinienne, réclamant une action gouvernementale en faveur de la paix, se déroulait juste avant la réunion (*).
Le débat, mouvementé et d’une durée de plus de quatre heures, a été marqué par l’intervention du vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, des Affaires européennes et de la Coopération au développement, Maxime Prévot (Les Engagés), ainsi que par la participation active de plus de cinquante députés fédéraux. Sous le regard attentif de plus de 120 citoyens concernés et de dizaines de journalistes, les député-e-s ont discuté avec le ministre des Affaires étrangères de la situation en Palestine, notamment dans la bande de Gaza.
Un débat attendu et sensible
Les représentants de la majorité dite « Arizona » (N-VA, MR, CD&V, Vooruit et Les Engagés), qui soutient officiellement le gouvernement de Bart De Wever avec 77 sièges sur 150 à la Chambre, se sont révélés profondément divisés sur le sujet de la reconnaissance de l’État de Palestine. À ce stade, aucune position unitaire ne se dégage, alors que de nombreux pays européens – de la France aux Pays-Bas, en passant par Malte et le Royaume-Uni – accélèrent leurs démarches en ce sens, comme l’ont rappelé nombre de député-e-s de l’opposition au cours du débat.

Un moment du débat à la Chambre des représentants du Parlement fédéral belge sur la situation à Gaza.
« Alors que de plus en plus de pays européens souhaitent reconnaître la Palestine comme État, l’Open Vld exhorte à nouveau la Belgique à faire de même et demande que le gouvernement prenne une décision au plus vite », a plaidé Kjell Vander Elst (Open Vld), à l’origine de l’initiative parlementaire liée aux questions « La reconnaissance de la Palestine » (56007170C) et « La reconnaissance de l’État de Palestine « , il conclut « En reconnaissant la Palestine comme État, nous envoyons un message clair, avec le risque qu’il n’y ait bientôt plus rien à reconnaître. ». Pour le député libéral flamand, cette reconnaissance doit s’accompagner d’un réel « cessez-le-feu immédiat, d’une aide humanitaire massive, de la libération des otages » et, à terme, de « la construction d’un État palestinien démocratique et autonome ».
Manifestations globales et pression populaire
Un grand nombre de député-e-s favorables à la reconnaissance de la Palestine comme État indépendant ont souligné l’ampleur et l’importance des mobilisations qui se sont déroulées sans relâche au cours des 22 derniers mois, partout dans le monde, en Belgique comme à Tel-Aviv, où des milliers de manifestants de tous âges et de toutes sensibilités continuent de défier la politique du gouvernement Netanyahou. Ils ont notamment rappelé la manifestation du 15 juin dernier dans toute la ville de Bruxelles, organisée sous le mot d’ordre « Draw the Red Line for Gaza » (Trek mee de rode lijn – Traçons la ligne rouge), qui avait rassemblé 150 000 personnes, ainsi que le rassemblement du même 14 août, quelques minutes seulement avant le début des travaux de la Chambre, rappelant que plus de 400 citoyens s’étaient réunis sur la place de la Liberté, malgré une capitale estivale désertée à la veille des festivités du 15 août.
Ces mobilisations font écho à plusieurs manifestations internationales devant le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), au 234 de la rue de la Loi, visant à exiger la suspension immédiate de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël lors des sommets des ministres des Affaires étrangères des 27 pays membres de l’UE, dont le dernier s’est tenu le 15 juillet. Elles font également écho aux sit-in réguliers qui se tiennent chaque soir devant la Bourse de Bruxelles, devenus un rendez-vous de référence depuis plusieurs mois, ainsi que les nombreuses pétitions, notamment celle lancée le 4 août, « GazArizonA STOP Genocide », déjà signée par plus de 15 000 personnes, incluant de nombreux artistes et universitaires.
En outre, plus d’une centaine de membres du personnel académique des universités francophones et néerlandophones ont adressé, début août, une lettre aux parlementaires des partis MR et N-VA. Ils y dénoncent les opérations de nettoyage ethnique et les actes génocidaires attribués au gouvernement israélien et demandent l’adoption immédiate de sanctions, la fin des violences contre les civils, ainsi que la reconnaissance d’un État palestinien. Les signataires expliquent avoir choisi de s’adresser spécifiquement au MR car, selon eux, il s’agit du dernier parti au sein du gouvernement fédéral qui, « à l’échelle nationale et européenne, bloque toute mesure concrète concernant le génocide en cours à Gaza ». La lettre rappelle que le parti affirme, sur son site internet, être fondé sur un projet de société garantissant le « respect des droits humains », précisant que « ces valeurs humaines et éthiques sont à vocation universelle » et « inspirent la politique étrangère et l’aide au développement ». Cependant, selon les signataires, il est désormais très clair que « le gouvernement israélien actuel n’agit pas comme un État démocratique et libéral, bafoue toutes les normes humanitaires ainsi que le droit international en poursuivant le nettoyage ethnique par la violence génocidaire, avec l’objectif déclaré de remplacer l’ensemble de la Palestine historique par un État purement juif ».
La missive appelle le Mouvement Réformateur (MR) à « condamner fermement toute forme de colonisation » israélienne en Palestine, ainsi que toute forme de « nettoyage ethnique et de génocide ». En outre, les 127 universitaires demandent une reconnaissance « sans condition » de l’État palestinien en ecrivant « Nous sommes convaincus qu’au sein du MR, beaucoup de personnes considèrent ces demandes humanitaires comme justes et normales. Nous pensons qu’il est impératif d’entendre ces voix. »
Au même moment, le Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11), qui coordonne la voix de plus de 70 ONG belges de solidarité internationale et de milliers de volontaires, a rendu public un appel conjoint signé par plus que cinquante d’organisations et plus de 300 personnalités de la société civile et de l’académie. Elles aussi demandent aux partis du gouvernement fédéral de prendre d’urgence des mesures pour mettre fin à l’impunité d’Israël et stopper le génocide en cours.
Les associations belgo-palestiniennes, ainsi que de nombreuses ONG nationales et internationales de défense des droits humains, rejointes par des parlementaires, réclament déjà depuis plusieurs mois la suspension de l’accord d’association UE–Israël, un embargo militaire total et la reconnaissance immédiate de l’État palestinien, notamment lors de manifestations à Bruxelles et dans d’autres villes du pays, ainsi qu’au sein des universités belges.
La ligne du ministre Prévot et l’indignation des parlementaires
Le ministre Maxime Prévot a présenté ce qu’il considère comme la « ligne de conduite » de la Belgique, un chemin prudent à formaliser d’ici l’Assemblée générale de l’ONU en septembre. « Si l’on ne progresse pas sur la question de la reconnaissance de l’État palestinien d’ici septembre, il n’y aura bientôt plus rien à reconnaître », a-t-il affirmé, faisant écho aux messages principaux et largement relayés des députée-e-s. Mais ses réponses ont semé la confusion dans la salle, le ministre reconnaissant s’exprimer « à titre personnel » en employant le terme de génocide, tout en renvoyant la qualification définitive aux tribunaux et aux organes judiciaires en général, et en restant sur un plan théorique, bien loin des mesures d’urgence réclamées par les député-e-s. Cette ambiguïté, ajoutée à l’absence de mandat clair du kern (qui serait le comité ministériel restreint, c’est-à-dire la réunion du Premier ministre et des vice-Premiers ministres du gouvernement fédéral, familièrement dénommé « le Kern », du néerlandais kernkabinet, « kern » signifiant « noyau »), a déçu plusieurs représentants. « Il n’y a guère eu de réunion du gouvernement pour délivrer un mandat spécifique. Mais quand j’ai prêté serment en tant que ministre, j’ai reçu de facto le mandat de porter la cohérence de notre politique internationale », a-t-il affirmé, insistant sur le rôle de la Belgique dans le respect du droit international et des engagements en matière de droits humains. Cette posture du ministre Prévot a été jugée par plusieurs parlementaires comme excessivement indéterminée, oscillant entre opinion personnelle et absence de communication sur des décisions et actions concrètes, ce qui a visiblement provoqué l’irritation de plusieurs d’entre eux, qui ont explicitement dénoncé l’ambiguïté, le manque de courage et l’absence de position unitaire face au génocide en cours.
Lydia Mutyebele Ngoi (PS), arborant un keffieh palestinien, a insisté : « Nous n’avons plus le luxe d’attendre. Reconnaître officiellement l’État palestinien n’est pas seulement un geste diplomatique : c’est un acte de justice, un devoir moral face à l’horreur qui se déroule sous nos yeux. Chaque jour, des familles entières sont brisées. Des femmes, des enfants, des personnes âgées, des personnes handicapées… sont massacrés dans l’indifférence. Fermer les yeux aujourd’hui, c’est accepter que demain, l’histoire nous juge pour notre silence et notre inaction. »
De son côté, Rajae Maouane, députée fédérale et ancienne co-présidente du parti écologiste Ecolo, présente au rassemblement citoyen, a été l’une des voix les plus vibrantes : « Les images sont dramatiques et le génocide continue. Nous attendons une position claire du gouvernement et l’adoption rapide de sanctions contre Israël. » Elle a également lu à haute voix, traduit en français, ce qui est considéré comme le testament d’Anas al-Sharif, journaliste palestinien d’Al Jazeera tué le 10 août par une frappe israélienne à Gaza : « Je vous confie la Palestine, le joyau de la couronne du monde musulman, le battement de cœur de toute personne libre dans ce monde. Je vous confie son peuple, ses enfants innocents et lésés qui n’ont jamais eu le temps de rêver ou de vivre en sécurité et en paix. Leurs corps purs ont été écrasés sous des milliers de tonnes de bombes et de missiles israéliens, déchiquetés et dispersés sur les murs. Je vous exhorte à ne pas laisser les chaînes vous réduire au silence, ni les frontières au repos. Soyez des ponts vers la libération de la terre et de son peuple, jusqu’à ce que le soleil de la dignité et de la liberté se lève sur notre patrie volée ».
Pour Maouane, « il y a déjà une majorité de parlementaires qui veulent avancer. Le peuple palestinien résiste chaque jour. Il résiste à l’écrasement, à l’oubli, au génocide. » Elle a accusé le gouvernement de « complicité par inaction » et dénoncé « l’apathie scandaleuse » face au Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
Au PTB/PVDA (Parti du travail de Belgique – Partij van de Arbeid van België), Peter Mertens a fustigé une attitude de « Ponce Pilate » et rappelé que, selon lui, « il n’y a jamais eu depuis la Seconde Guerre mondiale une telle planification de famine ». Il a critiqué explicitement les largages d’aide humanitaire, jugés dangereux et hypocrites, plaidant pour l’ouverture de corridors humanitaires réels et sécurisés, ainsi que pour la reconnaissance immédiate de l’État de Palestine.
François De Smet (DéFI), ancien président du parti, a souligné que « la Palestine est aujourd’hui reconnue par 147 membres des Nations Unies sur 193 » et que la Belgique doit agir parce que « Il s’agit de reconnaître un peuple et un État, pas une organisation terroriste rejetée par une grande partie de cette population. Même les meilleurs amis d’Israël doivent admettre que ce qui se passe est insupportable. » À ses yeux, les largages humanitaires « ne sont pas efficaces » et il faut privilégier « des couloirs sécurisés ». Reconnaître l’État palestinien est, selon lui, la seule manière de sauver « la possibilité d’une solution à deux États ».
L’opposition avait également réclamé avec détermination, lors de la convocation de la réunion d’urgence, le retour à Bruxelles du Premier ministre Bart De Wever, actuellement en vacances en Afrique du Sud, estimant qu’il devait s’expliquer en personne sur le sujet et ne pas se contenter de déléguer exclusivement aux ministres. Quelques intervenants ont rappelé que, de toute façon, le kern, chargé de définir la position du gouvernement, ne s’était pas encore réuni sur ces questions.
La réunion du 14 août, veille d’un jour férié, ne prévoyait pas de vote, mais elle a mis en lumière les fractures de la coalition « Arizona » et accentué la pression sur le kern ainsi que sur l’ensemble du gouvernement. Plusieurs députés de la majorité, notamment au CD&V et chez Vooruit, ont eux-mêmes été interpellés par leurs collègues sur l’urgence de trancher.
En attendant, le gouvernement reporte sa décision, avec l’objectif affiché de présenter une position « compacte et cohérente » à l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), dont la 80ᵉ session s’ouvrira officiellement le 9 septembre 2025 à New York.
À l’instar du niveau fédéral, les parlements wallon et flamand réuniront eux aussi, le 19 août prochain, leurs commissions des relations internationales afin de se pencher sur la situation à Gaza.
Aujourd’hui, le malaise est palpable et le constat s’impose : le calendrier tardif contraste crûment avec l’urgence sur le terrain. Les Parlementaires et les représentant-e-s associatifs repartent avec un sentiment amer, ayant assisté à un exercice d’attente là où une prise de position claire et courageuse était espérée mais reste loin d’être concrétisée.
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Aujourd’hui à Bruxelles, manifestation de solidarité avec le peuple palestinien.









