Depuis le 7 octobre 2023, la bande de Gaza est plongée dans un cauchemar et une horreur sans fin. Les chiffres ne suffisent plus à décrire cet impensable : un génocide organisé, planifié du peuple palestinien, qui n’a le choix qu’entre mourir sous les bombes, être pris pour cible par des snipers israéliens dont la lâcheté le dispute à l’inhumanité ou être déplacé pour aller mourir ailleurs. La famine est sciemment organisée pour obliger les palestiniens à quitter ce territoire et s’ils ne le quittent pas, leur seul destin est la mort. Chaque jour, depuis près de deux ans, l’équivalent d’un attentat du Bataclan a lieu sous nos yeux. Chaque jour, l’État terroriste d’Israël tue délibérément des dizaines de civils, y compris des femmes, des hommes, des enfants qui se rendent sur les lieux de distribution alimentaire. Cette hécatombe humaine signe la faillite morale et le suicide d’Israël, mais également la défaite morale de tout l’Occident.

Des hôpitaux ont été bombardés, des écoles visées, des camps de réfugiés rasés, l’accès à l’eau, à la nourriture et à l’électricité coupé. « Après plus d’un an de guerre totale contre une population prise au piège, tout ce qui compose une société a été détruit, rendant la bande de Gaza quasi inhabitable »[1], affirme Médecins sans Frontières. Bien que l’usage de la famine comme arme de guerre constitue pourtant un interdit majeur en droit international, Israël y recourt sciemment dans une impunité totale. Des centaines d’enfants sont déjà morts de faim, chacun peut voir dans les médias les corps décharnés qui rappellent de sombres souvenirs.

Et pourtant, il en est encore qui ne veulent pas voir la réalité et qui refusent, par lâcheté intellectuelle et soumission à la propagande israélienne, d’admettre qu’il s’agit bien d’un génocide. Tous les éléments constitutifs du crime de génocide sont en effet présents, sous nos yeux : volonté d’anéantir, atteintes physiques massives, privation de moyens de survie, déplacements forcés. Et ceci dans l’indifférence quasi généralisée de l’opinion publique israélienne, abreuvée de désinformation journalière, et globalement insensible au sort des Palestiniens. A cet égard, il convient d’écouter le témoignage exceptionnel de l’universitaire Jean-Pierre Filiu, Un historien à Gaza, qui peut affirmer :

Les victimes de Gaza sont tuées deux fois. La première fois quand la machine de guerre israélienne les frappe directement dans leur chair ou les étouffe à petit feu sous leurs tentes. La seconde quand l’intensité de leur souffrance et l’ampleur de leurs pertes sont niées par la propagande israélienne, quand elles ne sont pas accusées d’être collectivement ou individuellement des « terroristes ».[2]

Le génocide du peuple palestinien n’a pas commencé le 8 octobre. Il est l’aboutissement du projet sioniste qui a débuté en 1948 avec la Nakba, la catastrophe, lorsque l’État d’Israël naissant a chassé de ses terres plusieurs centaines de milliers de palestiniens, avec aucune possibilité de retour depuis. Il est dans la continuité de l’occupation et de l’annexion des territoires palestiniens depuis 1967, ainsi que de la colonisation de nouveaux territoires, en violation constante des résolutions de l’ONU. Le 29 juillet 2024, la Cour de Justice Internationale a déclaré illégale l’occupation et l’annexion par Israël des territoires palestiniens. Les lois discriminatoires à l’encontre des Palestiniens relèvent de la ségrégation raciale et de l’apartheid. Le génocide se situe également dans la droite ligne de toutes les opérations guerrières menées par l’armée israélienne contre l’enclave de Gaza depuis des décennies. L’attaque du Hamas du 7 octobre est venue tristement « à point nommé » pour réaliser le vieux rêve des extrémistes israéliens : anéantir et chasser le peuple palestinien de ses terres.

Où sont-ils les va-t-en-guerre qui, d’habitude sont disponibles pour mener des guerres « justes » contre les États qui alimentent le terrorisme, ou qui violent gravement les droits de l’homme ? Même si nous ne partageons pas cette option, nous pouvons constater que personne en Occident, ni ailleurs, n’a émis l’idée de représailles militaires contre Israël afin de faire cesser le génocide. Israël agit en toute impunité dans un silence glaçant, un silence complice des chancelleries occidentales. Pourtant, le moindre attentat dans n’importe quelle ville européenne suscite généralement indignation et solidarité avec les victimes. Et parfois des représailles. Ici, non. Le peuple palestinien peut bien être anéanti, il ne compte pour rien dans les petits calculs et les grandes compromissions avec l’État d’Israël. Et à ce jour, aucune sanction internationale contre Israël.

Les mêmes gouvernements qui dénoncent avec vigueur l’agression russe en Ukraine, au nom du droit international et des droits humains, restent muets face aux crimes commis à Gaza. Cette posture révèle l’hypocrisie profonde des puissances occidentales. Ce double standard mine toute légitimité morale. A ce silence, s’ajoute la criminalisation des opinions publiques qui manifestent leur solidarité avec le peuple palestinien, signe d’une trahison totale des principes qui régissent nos démocraties. Comme l’écrit justement Didier Fassin,

le monde occidental – ou tout au moins la majorité de ses gouvernants et de ses institutions – aura apporté son soutien presque inconditionnel non seulement à l’élimination d’une large part de la population palestinienne, et notamment de la génération qui en représente l’espoir et l’avenir, mais aussi à l’effacement de tout ce qui fait l’âme d’un peuple, ses écoles, ses bibliothèques, ses librairies, ses musées, ses cimetières, ses édifices religieux, ses monuments historiques, ses centres culturels. Il l’aura fait en s’efforçant de réduire au silence, par l’intimidation, la stigmatisation et les sanctions, les chercheurs, les intellectuels, les étudiants, les artistes, les militants, les politiciens et, plus largement, les citoyens qui refusaient d’être associés à ce crime imprescriptible, tandis que, de son côté, l’armée israélienne faisait taire, en les éliminant, les universitaires, les journalistes, les écrivains, les poètes, les médecins et les humanitaires palestiniens.[3]

Mais il ne suffit pas de se taire pour être complice. Car, ici, l’agresseur bénéficie du soutien militaire constant des États-Unis. Ces derniers versent chaque année 3,8 milliards de dollars à Israël, auxquels s’ajoutent au moins 17,9 milliards de dollars d’aide supplémentaire depuis octobre 2023. Cela comprend munitions guidées, missiles, bombes à fragmentation, systèmes de défense, et approvisionnement du Dôme de fer. En janvier 2025, un nouveau contrat d’armement de 8 milliards de dollars a été annoncé, incluant des bombes et des avions de chasse F-15, malgré les mises en garde répétées sur leur usage contre des cibles civiles. Cette aide militaire n’est pas seulement logistique, elle constitue un soutien politique explicite à la stratégie d’écrasement et d’élimination du peuple palestinien menée par l’armée israélienne.

Et la France ? 2e marchand de canons au monde, la France livre également des armes à Israël. Elle est même le premier vendeur d‘armes européen à Israël. Le média d’investigation Disclose et le réseau Progressive International (PI) l’ont révélé : La France continue de livrer de manière « régulière et continue » du matériel militaire à l’État d’Israël depuis le début du conflit à Gaza, et même finance l’industrie militaire israélienne. Tout particulièrement, des drones israéliens viennent de financements européens, dont ceux de la France, qui bénéficient à l’industriel de l’armement Israel Aerospace Industries, société au cœur de l’opération militaire déclenchée à Gaza après le 7 octobre. Ainsi que le souligne Tony Fortin, chargé d’étude à l’Observatoire des armements, « indirectement le fonds européen et les États viennent renforcer la machine de guerre israélienne ».

Cette faillite morale de l’Occident, et en particulier de la France, très timide depuis le 7 octobre quand il s’agit de condamner Israël, constitue une page sombre de notre histoire contemporaine. Elle révèle un abîme entre les principes universels que nous prétendons défendre, et la réalité de nos choix géopolitiques. « Cet acquiescement à la dévastation de Gaza et au massacre de sa population, écrit Didier Fassin, à quoi il faut ajouter la persécution des habitants de Cisjordanie, laissera une trace indélébile dans la mémoire des sociétés qui en seront comptables »[4].

Complicités et silences occidentaux, timidité et impuissance de l’ONU, criminalisation des mouvements de solidarité avec la Palestine, nous vivons un moment à la fois tragique et immoral. Gaza est le miroir de notre conscience. Devant la faillite morale de l’Occident, il ne reste que la voix des peuples, notre voix. Face à la catastrophe, notre dignité, plus que jamais, passe par la parole, la dénonciation, l’engagement, la résistance, le boycott des produits israéliens et toute initiative affirmant que le génocide ne passera pas par nous, par notre silence, par notre indifférence coupables. Gaza nous regarde. Gaza nous juge. Et l’Histoire, un jour, demandera : où étiez-vous ?

Notes

[1] Médecins Sans Frontières, https://soutenir.msf.fr/fonds-urgence-gaza/~mon-don

[2] Jean-Pierre Filiu, Un historien à Gaza, Les Arènes, 2025, p. 113.

[3] Didier Fassin, Une étrange défaite : sur le consentement à l’écrasement de Gaza, La Découverte, 2024, p. 139-140.

[4] Ibid, p. 6.

L’article original est accessible ici