Le Berliner Zeitung, qui est dirigé par un ancien citoyen de la RDA, Holger Friedrich, un des rares multimillionnaires est-allemands, ancien entrepreneur à succès en informatique, continue de se différencier du monde des médias d’outre-Rhin.
L’ex-organe officiel du parti politique du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED) du temps de la RDA situé juste à côté de la place Alexandre à Berlin propose un regard dans les coulisses du financement des médias européens par l’UE. C’est qu’Holger Friedrich connaît bien ce qu’est une dictature et comment cela fonctionne car le premier objectif est d’y contrôler les médias et le narratif. Selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung, les archives de la STASI montrent «de nombreuses preuves suggérant qu’ Holger Friedrich a une «attitude négative envers la NVA (armée de la RDA) et la RDA dans son ensemble. Ainsi, l’actuel Berliner Zeitung possède un regard aiguisé sur les techniques employées par un pouvoir autoritaire et non démocratique: l’UE.
C’est justement le système technocratique concernant la communication, plus exactement l’information par les médias couvrant la politique de Bruxelles avec l’UE, qui est ici visé.
«Des millions d’euros sont investis chaque année dans des projets médiatiques européens. Mais promeuvent-ils un journalisme authentique ou diffusent-ils délibérément des messages politiques?», questionne le quotidien allemand.
«Sous la direction d’Ursula von der Leyen, l’UE a rendu plus difficile la diffusion de la désinformation et des fausses informations. L’UE avait élaboré un code de conduite volontaire contre la désinformation, qu’elle a encore renforcé sous sa direction. Ce code fournit aux grandes entreprises technologiques, aux plateformes et à la société civile les outils nécessaires pour lutter contre la désinformation. Il améliore notamment la coopération avec les vérificateurs de faits. Cela permet aux experts d’identifier les fausses informations et de les qualifier en conséquence», stipulait en mai 2024 la CDU (parti de von der Leyen) sur son site avec le titre: «Ursula von der Leyen a rendu l’Europe plus libre».
Pour le Berliner Zeitung, il s’agit du contraire: l’UE rend plus difficile la diffusion de l’information que l’UE n’aime pas par l’emploi des vérificateurs de faits. Et, elle finance les grands médias. D’ailleurs, les grands médias et les agences de presse se passent le message (contenu des articles) avec les vérificateurs de faits.
En mai dernier l’UE, sous l’égide d’Ursula von der Leyen, a mis en place l’European Media Freedom Act (le règlement européen sur la liberté des médias). Officiellement, cela vise à «renforcer l’indépendance, la transparence et le pluralisme des médias dans l’Union européenne». «Protéger le rôle essentiel des médias pour permettre aux citoyens et aux entreprises d’avoir accès à une pluralité de points de vue et à des sources d’information fiables: c’est tout l’enjeu du règlement européen sur la liberté des médias», souligne le ministère français de la Culture.
Le Berliner Zeitung pointe du doigt von der Leyen en la citant: «Les faits comptent, la vérité compte», a déclaré Ursula von der Leyen dans son discours au Parlement européen en début de semaine dernière, alors que la motion de censure à son encontre était soumise au vote. Elle s’est toujours montrée prête à engager des discussions, mais seulement si elles reposent sur des «faits» et des «arguments». «Comme prévu, von der Leyen a survécu au vote de défiance, malgré de graves allégations de manque de transparence dans l’approvisionnement en vaccins contre le coronavirus et un style de leadership autoritaire», est-il constaté.
«Pour de nombreux médias, le résultat a été une victoire pour la présidente de la Commission européenne», fait remarquer le quotidien berlinois rappelant que la présidente de la Commission européenne a argumenté sur des attaques de l’extrême droite à son encontre concernant le vote d’une motion de censure. Et, les grands médias se font l’écho de la position de von der Leyen: «Von der Leyen se défend avec succès contre la motion de censure et attaque les extrémistes de droite», titrait Der Spiegel, tandis que Deutsche Welle (DW) rapportait un échec pour la droite: «Les extrémistes de droite échouent avec la motion de censure contre von der Leyen».
«Mais derrière cet affrontement politique se cache une autre question, largement ignorée: quelle est l’indépendance des médias alors qu’un nombre croissant d’entre eux sont financés directement par des gouvernements ou des institutions internationales comme l’UE? Chaque année, l’UE consacre des millions d’euros à des projets médiatiques, non seulement dans ses États membres, mais aussi dans des pays où l’euroscepticisme est répandu, comme dans certaines régions d’Europe de l’Est», rapporte le Berliner Zeitung, s’inquiétant: «Mais quel est l’impact de ce soutien financier sur la liberté journalistique et l’objectivité de l’information?».
«L’UE finance les médias à hauteur de 80 millions d’euros par an», note les collègues allemands en faisant référence au journaliste d’investigation indépendant italien, Thomas Fazi, qui aborde cette question dans un rapport publié début juin: La machine médiatique bruxelloise: Financement des médias par l’UE et façonnement du discours public. «La collaboration de la Commission européenne avec les agences de presse et les médias pour définir les limites du discours acceptable se déroule de plus en plus sous la bannière générale et souvent mal définie de la lutte contre la désinformation», accuse Thomas Fazi.
Ce rapport examine l’utilisation croissante par la Commission européenne de ses pouvoirs budgétaires pour promouvoir son programme politique sous couvert de promotion des «valeurs de l’UE». Il révèle comment l’UE utilise des programmes pour financer des organisations non gouvernementales (ONG) et des groupes de réflexion, dont beaucoup adhèrent explicitement à la vision de la Commission d’une intégration européenne plus approfondie. Cette «propagande par procuration» est fondamentalement antidémocratique, faisait savoir déjà MCC Brussels en février dernier, le site qui publie le rapport de juin qui analyse: «De nombreux projets sont présentés comme soutenant la liberté des médias, le pluralisme ou les valeurs européennes. En pratique, ils servent souvent à: promouvoir des discours pro-UE; marginaliser la dissidence et les points de vue critiques; construire une «sphère publique européenne» descendante: «des termes tels que lutte contre la désinformation, soutien à la programmation factuelle et promotion de l’intégration européenne sont utilisés pour justifier des efforts stratégiques de transformation des médias».
Sur des questions géopolitiquement sensibles comme le conflit russo-ukrainien, les médias bénéficiant de ces subventions pourraient être incités à répéter les positions officielles de l’UE et de l’OTAN, prévient Fazi. «Rien que l’année dernière, l’UE a octroyé environ dix millions d’euros aux médias ukrainiens», continue le quotiden de Berlin.
L’Observatoire européen des médias numériques (EDMO), qui soutient les réseaux pour «lutter contre la désinformation», a reçu au moins 27 millions d’euros au cours des cinq dernières années – un domaine étroitement lié à la promotion des récits pro-européens, découvre le Berliner Zeitung. Ainsi, les sites de vérificateurs de faits sont liés à EDMO et ils sont de plus en plus mis en question par des observateurs.
À l’approche des élections européennes de 2024, par exemple, huit millions d’euros ont été alloués pour «informer les citoyens de l’importance des élections européennes et les encourager à exercer leur droit de vote» et «atteindre de nouveaux électeurs». «Les médias indépendants sont essentiels à la démocratie européenne, et le Parlement européen les soutient par des initiatives transparentes qui protègent la liberté éditoriale», a déclaré un porte-parole du Parlement européen au Berliner Zeitung.
«Les agences de presse – dont l’AFP (France), l’EFE (Espagne), l’Ansa (Italie), la Belga (Belgique) et bien d’autres – ont pour vocation de produire et de diffuser conjointement des informations offrant une perspective paneuropéenne sur les questions européennes», poursuite le quotidien allemand: «Le contenu [produit par ces agences de presse] s’adresse aux médias, aux citoyens et aux institutions. Il est diffusé via les réseaux d’agences, le European Data News Hub, les newsletters, les médias sociaux et des projets tels que ChatEurope et vise à promouvoir la compréhension des décisions de l’UE et à lutter contre la désinformation». Le rapport liste aussi les principaux médias des pays européenens comme étant financés par l’UE, aussi.
Le nouveau rapport de Thomas Fazi «a été repris non seulement par les médias alternatifs, mais aussi par les plateformes grand public, notamment en Italie et au Danemark, et ce, sur un ton neutre», constate le Berliner Zeitung, exprimant ainsi une prise de conscience sur le traitement de l’information.
Fin juin, Euractiv sous le titre L’UE injecte 35 millions d’euros par an dans certains médias pointe l’intervention en argent de l’UE dans l’information: «Bien que la Commission européenne souligne que son objectif est de promouvoir la diversité des médias, les généreuses subventions faussent le marché au détriment des médias indépendants»; «La Commission affirme que ses mesures visent à créer un meilleur public européen. Cependant, malgré des années de financement, aucune preuve de succès réel n’est disponible»; «Selon un rapport de 2024 du Centre de recherche sur les médias et le journalisme, l’UE a promis 99 millions d’euros pour des projets journalistiques rien qu’en 2022, soit près de trois fois plus que deux ans plus tôt»; «Entre 2014 et 2023, Euronews a reçu environ 227 millions d’euros de financement de l’UE, soit une moyenne de 25 millions d’euros par an. Ce montant est supérieur de 4 millions d’euros au montant total annoncé officiellement par la Commission pour son financement annuel des médias».
Euractiv «signale que les subventions européennes à la presse rendent les journalistes dépendants des responsables politiques qui décident de leur sort économique et faussent le marché pour tous», conclut le Berliner Zeitung.
Philippe Rosenthal









