Quand on évoque le projet de grand marché transatlantique, il est fréquent d’entendre un élu local répondre : « Ça ne nous concerne pas ; c’est une négociation internationale ». Et pourtant, le mandat de négociation conféré à la Commission européenne concerne directement les collectivités territoriales, qui pourraient voir leur prérogatives plier devant les investisseurs privés.

Votre commune refuse-t-elle TAFTA 


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   Raoul Marc Jennar

Quand on évoque le projet de grand marché transatlantique, il est fréquent d’entendre un élu local répondre « ça ne nous concerne pas ; c’est une négociation internationale ». La plupart des élus locaux ignorent le contenu du mandat de négociation conféré par notre gouvernement à la Commission européenne qui est le négociateur unique avec les Etats-Unis. C’est bien pour cela qu’il y a urgence à les interpeller. En effet, l’article 27 de ce mandat de négociation concerne directement les collectivités territoriales : « L’Accord sera obligatoire pour toutes les institutions ayant un pouvoir de régulation. »

Or, l’article 72 de la Constitution de la République précise ce qui suit :

« Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. »

Investisseurs privés VS réglementation municipale

Ce qui signifie que le gouvernement français a donné son accord pour une négociation dont un des objectifs entre en conflit non seulement avec une disposition majeure de notre Constitution mais aussi avec une de nos pratiques institutionnelles les plus fondamentales : la réalité du pouvoir local qui s’est trouvé renforcé par les lois successives en matière de décentralisation. Les communes, en France, ne sont pas un appendice de l’Etat. Il ne s’agit pas d’un pouvoir délégué par l’Etat. Il s’agit d’une institution issue du suffrage universel, une expression de la souveraineté populaire. Il est d’ailleurs certain que si ce traité, par malheur, est adopté, soit il sera rejeté par le Conseil constitutionnel, soir le gouvernement devra proposer une modification de la Constitution.

Quelle est dès lors la portée de cet article 27 du mandat ? Elle est précisée par d’autres articles.

Ainsi, l’article 23 du mandat traite de la libéralisation des investissements (supprimer toutes les législations et réglementations restrictives au droit d’investir) et de leur protection (supprimer toute forme de taxation ou de contraintes sur les bénéfices). Cet article enlève aux juridictions officielles au profit d’instances privées d’arbitrage le pouvoir de trancher un différend entre firmes privées et pouvoirs publics lorsqu’une firme privée estime qu’une législation ou une réglementation va à l’encontre de la libéralisation et de la protection des investissements. Et il précise : « Toutes les autorités et entités infranationales (comme les États ou les municipalités) devraient se conformer efficacement aux dispositions du chapitre de protection des investissements du présent Accord. »

Ceci signifie qu’une réglementation municipale pourra être attaquée devant une instance privée d’arbitrage privé si elle est perçue par un investisseur privé comme une limitation à son « droit d’investir ce qu’il veut, où il veut, quand il veut, comme il veut et d’en retirer le bénéfice qu’il veut » (définition de l’investissement par les lobbies US).

« Impact négatif »

Ainsi l’article 24, relatif aux marchés publics édicte : « L’Accord visera à accroître l’accès mutuel aux marchés publics à tous les niveaux administratifs (national, régional et local), et dans le secteur des services publics, couvrant les opérations pertinentes d’entreprises opérant dans ce domaine et assurant un traitement non moins favorable que celui accordé aux fournisseurs établis localement. L’Accord doit également inclure des règles et disciplines pour surmonter les obstacles ayant un impact négatif sur les marchés publics de chacun, y compris les exigences de localisation et les exigences de production locale, (…) et celles qui s’appliquent aux procédures d’appel d’offres, aux spécifications techniques, aux procédures de recours et aux exclusions existantes, y compris pour les petites et moyennes entreprises, en vue d’accroître l’accès au marché, et chaque fois que c’est approprié, de rationaliser, de simplifier et d’améliorer la transparence des procédures. »

On le constate, tous les aspects d’un appel d’offre sont visés, y compris ceux lancés par une commune.

Il faudra accorder aux entreprises américaines les avantages qu’on accorde aux entreprises françaises, y compris dans les services publics. Mais comment l’Etat pourra-t-il accorder aux entreprises américaines exerçant une activité dans le même domaine qu’un service public français ce qu’il consacre pour l’activité de ce service public ? Va-t-on devoir accorder à un hôpital privé américain ce qu’on accorde aux hôpitaux publics ? Va-t-on devoir verser à une école privée américaine la somme équivalente à celle consentie à l’école publique française ?

Des exigences de localisation seront considérées comme ayant « un impact négatif » sur les marchés publics (exemple : exiger qu’un fournisseur d’un service comme l’approvisionnement des cantines scolaires soit localisé sur le territoire de la commune, du département ou de la région et qu’il s’approvisionne chez des producteurs locaux). L’accès des marchés publics locaux sera ouvert aux entreprises et firmes américaines au détriment des entreprises et firmes d’Europe ou de France, et à fortiori de la Commune ou de la Région. Les traités européens ont bien préparé le terrain de ce point de vue puisque des exigences de localisation ne peuvent déjà plus être imposées à des entreprises européennes.

Pouvoir aux firmes privées

L’article 45 précise que « l’Accord comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié, ce qui fera en sorte que les Parties respectent les règles convenues. »

Cela signifie que toute espèce de norme – sociale, sanitaire, alimentaire, environnementale ou technique – adoptée par une municipalité ou une autre collectivité territoriale, dès lors qu’elle contrarie une firme privée, pourra être attaquée devant un mécanisme d’arbitrage privé. Et non plus devant les juridictions officielles. C’est un pouvoir énorme qui va être donné aux firmes privées.

On s’en rend compte, ce traité menace gravement nos communes et toutes nos collectivités territoriales. C’est pour cela qu’il est si important que les conseils municipaux expriment leur opposition à un tel traité et demandent le retrait de la France de cette négociation. Des dizaines l’ont déjà fait. Il est important qu’il y en ait des milliers.


Complément d’information :En France, quatorze conseils régionaux, dix-sept assemblées départementales et plus de trois cents communes ont manifesté leur défiance vis-à-vis du traité transatlantique


Lire aussi : notre DOSSIER : Traité transatlantique de libre-échange, dit TAFTA


Source : Courriel à Reporterre de Raoul Marc Jennar

Raoul Marc Jennar est l’auteur de Le Grand Marché Transatlantique : La menace sur les peuples d’Europe, Perpignan, Cap Béar Editions, 2014

Photo :
. Chapô : Flickr (CC)
. Portrait : Les Amis du Monde diplo