« Des géants pour un enjeu immense » : tel est le défi lancé à l’occasion de cette 25ᵉ Journée internationale des migrants par les associations et mouvements réunis au sein de la plateforme In My Name, qui rassemble de nombreuses organisations issues de divers secteurs de la société civile autour d’une vision commune et de revendications claires, notamment en faveur d’un accès légal au travail pour les personnes sans papiers et, plus largement, d’un changement radical de la politique migratoire actuellement dominante en Europe.

Au fil des années, la politique migratoire européenne — et celle des États membres, à commencer par la Belgique — est devenue de plus en plus répressive, se recentrant de plus en plus sur un contrôle renforcé et militarisé des frontières, ainsi que sur des arrestations injustifiées, la détention arbitraire et l’expulsion des personnes migrantes. Cette évolution contribue à la criminalisation des personnes sans titre de séjour ainsi que des organisations qui leur viennent en aide, et met en péril les droits les plus fondamentaux des personnes les plus vulnérables, y compris celles ayant droit à l’asile.

Dans ce contexte, ce matin du 18 décembre, à l’occasion de la Journée internationale des migrants, la place du Béguinage à Bruxelles a été le théâtre d’une action symbolique forte et d’une créativité saisissante. Devant la House of Compassion, la géante Sabine — géante de la Dignité — a été rejointe et « vêtue » par d’autres géantes, avant de recevoir un permis de travail symbolique. Celui-ci lui a été remis par plusieurs géants venus de la région bruxelloise, ainsi que d’Anvers et de Gand.

Un geste haut en couleur, porteur d’un message limpide : celui de dénoncer le fait que des milliers de personnes sans papiers travaillent déjà, souvent dans l’ombre, sans protection sociale ni droits fondamentaux, alors même que de nombreux secteurs essentiels souffrent de pénuries structurelles de main-d’œuvre.

Sabine, géante de la dignité et des luttes contemporaines

Apparue pour la première fois au printemps 2025, Sabine s’est rapidement imposée comme une figure emblématique des luttes pour les droits humains. Installée constantement à la House of Compassion, elle accompagne depuis plusieurs mois les mobilisations en défense de l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, portant symboliquement les droits fondamentaux et devenant un véritable trait d’union entre les combats sociaux, juridiques et humains contre les centres fermés et pour la dignité des personnes migrantes, elle incarne un combat à la fois politique, social et profondément humain, tout en s’inscrivant dans un folklore vivant.

L’histoire de cette géante est également racontée dans le documentaire « Chez Jolie Coiffure » de la réalisatrice camerounaise Rosine Mbakam, consacré au parcours de Sabine Amyième, figure centrale de grandes mobilisations populaires en défense des droits des personnes migrantes. Le film a été projeté récemment lors des Journées du Matrimoine, en septembre dernier.

Aujourd’hui, la géante Sabine est très présente dans les mobilisations contre les centres fermés. La plus récente a eu lieu le samedi 11 octobre, devant le Centre de rapatriement 127 bis à Steenokkerzeel, en soutien aux personnes détenues ayant entamé une grève de la faim à la suite du suicide d’un demandeur d’asile d’origine palestinienne, survenu dans ce même centre.

Des géants venus de toute la Belgique

Pendant la cérémonie de la matinée, l’ensemble des géants, accompagnés de musiciens au djembé, a convergé depuis différents points du pays vers la place du Béguinage, afin de rejoindre Sabine et de célébrer ensemble la dignité de l’être migrant.

La géante Gertrude des Marolles, figure emblématique du soutien aux seniors, a offert à Sabine un chapeau d’infirmière, rappelant la pénurie criante de personnel dans les maisons de repos, l’épuisement des soignants et la dégradation progressive des conditions de soins pour les personnes âgées.

Hugo et Saida, du collectif Hart boven Hard venus d’Hoboken, près d’Anvers, ont quant à eux remis un stéthoscope, symbole de l’écoute indispensable face à une demande croissante de « bras et de cœurs », alors que des milliers de travailleuses et travailleurs compétent·es demeurent exclus du marché du travail faute de papiers. Le mouvement citoyen Hart boven Hard, engagé pour une société fondée sur la solidarité, la durabilité et l’inclusion, participe régulièrement aux mobilisations sociales, culturelles, climatiques et antiracistes à travers ses marionnettes géantes. Lors de précédentes actions, Hugo et Saida ont incarné une présence profondément humaine, n’hésitant pas à enlacer leur amie Sabine, rappelant que la tendresse et la dignité sont aussi des formes de résistance.

La délégation était également complétée par Vrouwe Justitia, personnification allégorique de la Justice venue de Sint-Amandsberg (Gand). Bandeau de l’impartialité, balance de l’évaluation et épée du verdict : fière et silencieuse, elle s’est déjà imposée comme un symbole fort lors de l’action In My Name.

Enfin, le géant Erasme d’Anderlecht, venu de Saint-Guidon et incarnation des valeurs humanistes, de la mobilité humaine, du savoir, du pacifisme et de la pensée critique, a solennellement remis à Sabine le permis de travail symbolique. Ainsi équipée, la géante est désormais prête à « entrer en service ».

 

« Rendre visible ce qui est invisible »

Interrogé sur le rôle des géants dans les luttes contemporaines, Tristan Sadones, expert européen des géants et chercheur passionné et attentif, souligne leur puissance symbolique :

« Les géants, par leur pouvoir fédérateur et leur présence universelle depuis des centaines d’années, ont un talent presque surnaturel pour transmettre des histoires, défendre des valeurs et incarner des combats. Ils sont de véritables porte-paroles de la société, capables de susciter l’émotion et de rendre visible ce qui reste trop souvent invisible ou inaudible. »

Selon lui, l’essor actuel des géants engagés n’est pas un hasard :

« De plus en plus de géants s’emparent des grandes questions de l’humanité pour diffuser des messages d’espoir et donner une voix aux injustices. Les minorités deviennent gigantesques, les pouvoirs sont inversés, les limites sont questionnées. Le militantisme festif, notamment à travers les géants, constitue une réponse créative, innovante et profondément pertinente face aux grandes impasses de notre époque. »

Quand la dignité devient géante

Le 18 décembre, à Bruxelles, ce sont donc des corps immenses et des récits collectifs qui se mettront en mouvement pour rappeler une évidence politique et humaine : la dignité n’a pas de papiers, mais elle a une voix — et parfois, elle est géante.