« La Terre tourne paisiblement, mais l’humanité trébuche à chaque tour. »inspiré d’Arturo Aldunate
La Terre s’est formée il y a environ 4 milliards d’années, dans un chaos de poussières et de flammes cosmiques. Elle a traversé des périodes de cataclysmes et de stabilisation, s’est refroidie, a vu naître mers et continents, puis a créé une atmosphère d’abord toxique, avant de devenir respirable. Il y a environ 3 millions d’années, cette atmosphère s’est stabilisée, proche de celle que nous connaissons aujourd’hui. Dans ce décor, les espèces ont commencé à se multiplier, colonisant glaciers, savanes et déserts.
De cet arbre de l’évolution, est apparue une espèce à quatre pattes et deux mains : le gorille, qui a ensuite donné naissance aux hominidés, aux Néandertaliens, et enfin, il y a seulement 200 000 ans, à l’Homo sapiens (voir « À cheval sur la lumière, » d’Arturo Aldunate). Le sapiens était un nouveau venu sur une planète qui avait déjà connu la disparition de 90 % de ses espèces à cause de catastrophes naturelles. Pourtant, c’est lui qui allait transformer la Terre selon ses désirs.
La Terre, elle, continue de tourner, immuable. Son axe est presque parfaitement vertical, son orbite et ses saisons suivent le même rythme depuis des millions d’années. Rien ne peut la faire dévier, si ce n’est un événement cosmique majeur. Son cycle de 24 heures, son orbite et ses saisons suivent un schéma stable depuis des millions d’années. Jusqu’à l’an 1000, la Terre était indifférente aux petites histoires des Hommes. Pendant que le monde poursuivait sa rotation millénaire, l’humanité en était encore à ses premières civilisations stables.
Puis est arrivé l’Homo sapiens, avec sa créativité… et sa violence. Il inventa l’agriculture en Anatolie il y a 12000 ans, dompta des animaux et bâtit les premiers villages, comme Göbekli Tepe ou Çatalhöyük. Rapidement, il érigea des empires, réduisit des peuples en esclavage, construisit pyramides et temples, et inventa des dieux pour justifier son pouvoir. Des peintures rupestres aux guerres, de la transmission orale à l’écriture, de la coopération tribale au pillage organisé.
Destruction massive de l’environnement, guerres, esclavage, pillage et rapines : l’histoire humaine est celle d’une espèce qui a su exploiter la planète… mais qui porte le fardeau de ses propres excès. Aujourd’hui, le dilemme reste le même : la Terre continue de tourner paisiblement, mais l’humanité trébuche à chaque tour.
Après deux guerres mondiales qui ont fait plus de 90 millions de morts, avec des armes nucléaires capables d’anéantir la planète plusieurs fois, face à la crise climatique, aux famines et au pillage des ressources sur tous les continents, la question est simple : où allons-nous ?
Serons-nous témoins du siècle de la barbarie ultime, confirmant notre propension à l’autodestruction ? Ou sera-ce le début d’une nouvelle conscience, apprenant des peuples autochtones qui vivent encore en harmonie avec la nature, sur les rives du Nil ou dans les forêts amazoniennes ?
La Terre, elle, continuera de tourner, imperturbable. Le vrai dilemme n’est pas celui de la planète. Il est humain.
Dans la Partie 2/4, nous avons analysé :
- La modernité du pillage (6)
- La guerre froide et le règne de la peur (7)
- Les pays et leurs butins en jeu (8)
- Le changement climatique et le thermomètre du temps (9)
- Le miroir du futur proche (10)
Nous abordons maintenant la Partie 3/4
11. Le pillage mondial en chiffres
L’histoire de l’humanité pourrait se résumer en un verbe : piller. Aucun continent n’a échappé à la rapine. Or, argent, pétrole, cuivre, caoutchouc, diamants, gaz, eau, lithium… tout est devenu marchandise, tout a trouvé son prix sur les marchés de Londres, New York ou Shanghai. Ce chapitre n’est pas narratif : c’est la comptabilité brutale du pillage.
Afrique
- Esclavage transatlantique : plus de 12 millions d’Africains déportés, pour une valeur estimée aujourd’hui à 100 milliards de dollars.
- Diamants : Chaque année, l’Afrique expédie plus de 10 milliards de dollars de diamants, alors même que des millions de personnes y vivent encore avec moins de deux dollars par jour.
- Pétrole : le Nigéria, l’Angola et la Libye ont fourni plus de 2 000 milliards de dollars d’exportations depuis 1960.
- Cobalt du Congo : plus de 70 % de la production mondiale, pour une valeur annuelle de 13 milliards de dollars.
Comme le résumait avec lucidité Chinua Achebe : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur. »
Amérique
- Or et argent coloniaux : entre 1500 et 1800, plus de 180 000 tonnes d’argent et 4 000 tonnes d’or ont été extraites et envoyées vers l’Europe, l’équivalent de plus de 8 000 milliards de dollars actuels.
- Caoutchouc en Amazonie : à la fin du XIXᵉ siècle, son exploitation a généré l’équivalent de plus de 20 milliards de dollars… tout en détruisant des peuples entiers et leurs territoires.
- Pétrole du Venezuela et du Mexique : au cours du XXᵉ siècle, leurs exportations cumulées ont dépassé les 3 000 milliards de dollars.
- Litium andin : la Bolivie, le Chili et l’Argentine détiennent plus de 60 % des réserves mondiales ; un marché qui pesait déjà plus de 22 milliards de dollars en 2022.
Comme l’écrivait Eduardo Galeano : « Les veines ouvertes de l’Amérique latine sont les veines ouvertes du monde. »
Asie
- Épices et soie : au XVIIᵉ siècle, le commerce des épices générait l’équivalent de 2 000 milliards de dollars par an.
- Inde coloniale : entre 1765 et 1938, la Grande-Bretagne a siphonné plus de 45 000 milliards de dollars équivalents de richesses indiennes.
- Guerres de l’opium : entre 1839 et 1860, le commerce forcé de l’opium a rapporté plus de 1,2 milliard de dollars actuels.
- Électronique et semi-conducteurs : aujourd’hui, l’Asie fabrique plus de 70 % des puces mondiales, un marché de 600 milliards de dollars par an.
Rabindranath Tagore le rappelait : « Il n’existe pas d’esclavage plus profond que celui d’un esprit soumis à la convoitise. »
Europe
- Accumulation coloniale : grâce aux métaux précieux venus d’Amérique, l’Espagne a accumulé en un siècle plus de 1 500 milliards de dollars équivalents.
- Révolution industrielle : vers 1800, le charbon britannique représentait déjà une valeur annuelle de 20 milliards de dollars.
- Le Congo Belge : extraction de caoutchouc et d’ivoire pour l’équivalent de 125 milliards de dollars, au prix de dix millions de vies.
- Aujourd’hui : l’Union européenne importe plus de 60 % de son énergie, pour près de 450 milliards de dollars par an.
Victor Hugo l’avait dénoncé : « Une immense tristesse naît du fait que la nature parle et que l’humanité ne l’écoute pas. »
Océanie
- Australie : ses exportations de fer, de charbon et de gaz dépassent les 400 milliards de dollars par an.
- Pacifique insulaire : les îles subissent les effets de la pêche industrielle, qui entraîne plus de 7 milliards de dollars de pertes locales chaque année.
- Uranium australien : des réserves estimées à 600 milliards de dollars, qui soutiennent une partie de l’industrie nucléaire mondiale.
Patrick White, prix Nobel, en donnait une formule limpide : « Le pillage commence quand l’homme cesse d’écouter le paysage et le transforme en marchandise. »
Arctique et Antarctique
- Arctique : la région contiendrait 13 % du pétrole et 30 % du gaz non découverts de la planète, pour une valeur dépassant 35 000 milliards de dollars.
- Antarctique : encore protégé par des traités, mais déjà convoité pour ses ressources halieutiques et minières ; le krill représente à lui seul plus de 2 milliards de dollars par an.
Comme si ses mots s’adressaient à ces territoires gelés, Carl Sagan avertissait : « La Terre n’est qu’un pâle point bleu dans l’immensité cosmique. Personne ne viendra nous sauver de nous-mêmes. »
Le pillage n’appartient pas au passé : il est toujours en cours. Chaque chiffre est un miroir où se reflètent le sang, la sueur et le silence de peuples entiers. Chaque dollar accumulé dans les banques du Nord dissimule une forêt brûlée, un enfant dans une mine ou un fleuve pollué. Le pillage global n’est pas une image : c’est la réalité économique du monde. Et l’antichambre du dilemme ultime.
James Joyce l’exprimait avec une lucidité brutale : « Les erreurs de l’humanité sont les portails de la découverte. » Reste à savoir si nous saurons tirer les leçons de ces erreurs ou si elles seront le point de départ d’une nouvelle période sombre.
12. Utopie ou barbarie
2030 – 2050 : la feuille de route pour survivre
Ce n’est pas un poème, mais un budget colossal. Pour maintenir le réchauffement sous la barre de 1,5 °C, le monde devrait investir chaque année entre 4 et 5 milliards de dollars dans les énergies propres d’ici à 2030, contre environ 1,8 milliard actuellement. Tripler les capacités renouvelables signifie passer de près de 4 TW installés à 11 TW en 2030, tout en déployant au minimum 1 TW de solutions de stockage.
La modernisation des réseaux électriques nécessiterait 600 millions de dollars par an, et l’amélioration de l’efficacité énergétique coûterait près d’1 milliard supplémentaire. Restaurer les écosystèmes (forêts, zones humides, sols) demanderait 200 à 300 milliards par an. Protéger 30 % de la planète d’ici 2030 coûterait environ 140 milliards par an, mais éviterait la perte de services écosystémiques évalués à 1 milliard.
Antonio Gramsci en tant que boussole : « Le pessimisme de l’intelligence, l’optimisme de la volonté. »
Eau et alimentation : l’urgence des pactes
Garantir un accès universel à l’eau et à l’assainissement exigerait 150 à 400 milliards de dollars par an jusqu’en 2030. L’adaptation hydrique (irrigation efficiente, recharge des nappes, dessalement propre) ajouterait 100 à 200 milliards supplémentaires. Dans le secteur alimentaire, réduire le gaspillage de 25 % (aujourd’hui supérieur à 1 milliard de dollars par an) libérerait assez de céréales pour nourrir 700 millions de personnes.
Des régimes plus durables et une agriculture régénératrice pourraient réduire les émissions liées au système alimentaire jusqu’à 20 % et économiser 300 milliards par an en dépenses de santé. Le financement pour les pertes et dommages climatiques devrait atteindre au moins 400 milliards par an pour les pays vulnérables.
Ursula K. Le Guin l’exprimait sans emphase : « Nous vivons dans des histoires que nous pouvons choisir de changer. »
Santé planétaire et biosécurité
La facture mondiale du COVID a dépassé 12 milliards de dollars. Prévenir la prochaine pandémie suppose d’investir 30 à 40 milliards de dollars par an dans les systèmes de surveillance et de réponse (laboratoires, génomique, stocks stratégiques), ainsi que 10 milliards annuels pour un fonds permanent dédié aux « agents X ». Mettre fin à la déforestation (principal moteur de l’émergence de maladies zoonotiques) coûterait 20 à 30 milliards de dollars par an, tout en évitant, demain, des centaines de milliards en pertes économiques. Transformer nos villes en espaces respirables, proches et électriques demanderait 500 milliards de dollars par an d’investissements, pour plus d’1 billion en bénéfices liés à la santé et à la productivité.
Hannah Arendt rappelait : « La promesse de la politique, c’est la natalité : la capacité d’initier quelque chose de nouveau. »
Mesurer l’essentiel: Du PIB à la vie
Les 10 % les plus riches génèrent plus de 50 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Un impôt progressif sur le carbone et sur la richesse, rapportant 0,8 à 1 % du PIB mondial (soit 900 à 1 100 milliards par an), pourrait financer la transition énergétique, l’accès à l’eau et les systèmes de santé. Imposer à toutes les entreprises cotées une comptabilité des risques climatiques et de biodiversité (cadre TNFD). Orienter les achats publics vers du zéro déforestation, un levier économique de 13 billions de dollars par an. L’éducation climatique et numérique universelle représenterait 150 milliards de dollars par an ; un investissement aux retombées sociétales massives.
Depuis le Sud, Silo résume : « La vraie révolution est celle de la conscience. »
El río del tiempo Heráclito lo dijo en Éfeso hace 2.500 años: “Nadie se baña dos veces en el mismo río.” El agua fluye, el instante se escapa, el tiempo nunca regresa. En esa metáfora se encierra la esencia de la existencia humana, siempre cambiante, siempre efímera. El tiempo es la única moneda que no se recupera. En la escala cósmica, la Tierra gira desde hace 4.000 millones de años, pero para cada hombre apenas hay 25.000 días de vida, menos de un parpadeo universal. La ironía es que mientras el río cósmico fluye imperturbable, nosotros intentamos detenerlo con relojes, calendarios y cuentas regresivas. Heráclito tenía razón y lo único constante es el cambio.
13. Le temps et l’éternité
Heraclite, à Éphèse, l’avait formulé il y a 2500 ans : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » L’eau s’écoule, l’instant nous échappe, et le temps ne revient jamais. Cette image renferme la condition humaine : mouvante, fugace, irréversible. Le temps est la seule monnaie qui ne se regagne pas. À l’échelle du cosmos, la Terre tourne depuis plus de 4 milliards d’années. Pour un être humain, la vie se résume à environ 25 000 jours, à peine un clin d’œil à l’échelle de l’univers. Ironie du sort : tandis que le fleuve cosmique poursuit sa course imperturbable, nous tentons de le fixer dans des horloges, des calendriers ou des comptes à rebours. Heraclite avait raison : le changement est la seule constante.
L’instant éternel
Dans Les Confessions, Saint Augustin avouait son trouble : « Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; si l’on m’interroge, je ne sais plus. » Le temps, pour lui, n’est pas une définition mais une expérience. Il n’existe qu’au présent : ce qui a été survit sous forme de souvenirs, ce qui vient n’est encore qu’espérance. Et ce présent, minuscule et fugitif, peut pourtant contenir une forme d’éternité. Il suffit parfois d’un instant, la venue d’un enfant, la perte d’un être cher, une illumination sous le ciel étoilé, pour que toute une vie prenne un autre sens. Pendant que nous vivons ces éclairs de conscience, l’univers poursuit son cours depuis 13,8 milliards d’années, imperturbable. Voilà toute la contradiction humaine : face à une durée cosmique qui défie l’entendement, nous nous accrochons à nos minutes et à nos échéances, comme si elles pouvaient retenir ce qui nous échappe.
L’éternité vue par la science
Mais le temps n’est pas qu’une impression : c’est aussi une équation. Einstein montre que l’espace et le temps ne sont qu’un seul tissu qui se déforme ; Hawking rappelle que tout a commencé dans l’explosion du Big Bang et pourrait finir dans l’agonie silencieuse de trous noirs qui s’évaporent. Les chiffres donnent le vertige : un univers âgé de 13,8 milliards d’années, un Soleil encore voué à briller 5 milliards d’années, des trous noirs qui mettent jusqu’à 10⁶⁶ ans pour disparaître. Face à ces échelles démesurées, l’assurance humaine paraît presque dérisoire.
Et pourtant, tandis que les physiciens comptent en trillions d’années, la vie humaine reste confinée à moins d’un siècle. Stephen Hawking, lui, en riait presque : « Le temps est la seule chose qui nous manque, alors que nous croyons en avoir. »
Borges et l’Aleph. Borges a imaginé un point où se reflètent tous les lieux du monde : l’Aleph. Un lieu où tout existe en même temps, sans avant ni après. Une métaphore de l’infini, mais aussi d’un temps qui se déplie dans toutes les directions. Pour Borges, le temps est un labyrinthe, et l’éternité un jeu ironique qui nous dépasse. Chez lui, l’éternité ne donne pas de réponses : elle nous renvoie un miroir. Dans l’Aleph, on aperçoit aussi bien les pyramides que les galaxies, le Big Bang et la dernière larme humaine. C’est une invitation à comprendre que l’éternité ne se mesure pas : elle se pressent. « Le temps est la substance dont je suis fait », écrivait Borges. Nous sommes faits de quelques instants, persuadés de laisser une trace dans un univers qui ne s’arrête jamais.
Chiffres cosmiques
L’univers compte 13,8 milliards d’années, la Terre environ 4 milliards, la vie 3,8 milliards, et l’Homo sapiens… à peine 200 000 ans. À l’échelle d’une journée cosmique de 24 heures, notre espèce n’apparaît qu’au cours des sept dernières secondes. Sept secondes pour bâtir des empires, mener des guerres, inventer des religions et créer des bombes capables de tout effacer en un instant. L’éternité cosmique nous enveloppe, tandis que la fugacité façonne notre existence.
La durée de vie humaine moyenne ne dépasse pas 73 ans, soit environ 2,3 milliards de secondes. Un chiffre infinitésimal face aux millions de millions d’années qui attendent l’univers. Le contraste est saisissant : nous nous croyons maîtres de la planète, alors que nous ne sommes que de fugaces invités dans un cosmos qui perdurera sans nous.
La temporalité humaine
Chaque civilisation a tenté de domestiquer le temps. Les Mayas ont mesuré des cycles de 5 125 ans, les Égyptiens ont élaboré des calendriers solaires. Aujourd’hui, nous organisons nos vies en minutes de travail, en heures de déplacement, en chronomètres numériques. Pourtant, le temps humain demeure une prison : nous vivons en moyenne 70 à 80 ans, une durée dérisoire face à l’éternité. William Faulkner l’a exprimé avec force : « Le passé n’est jamais mort.
Il n’est même pas écoulé. L’homme traîne son histoire, incapable de se libérer du temps. Pourtant, notre obsession de mesurer chaque seconde nous empêche de les vivre pleinement. Le temps humain est à la fois tragédie et ressource, chaîne et moteur. »
Citation finale
Le poète William Blake a écrit : « L’éternité est amoureuse des œuvres du temps. » Cette phrase apporte un souffle d’espoir : même éphémères, même si nous ne représentons que quelques secondes sur l’horloge cosmique, nos œuvres, nos pensées et nos rêves peuvent effleurer l’éternité. L’éternité nous ignore, mais elle nous offre également la possibilité de créer du sens au cœur de son indifférence. Le temps dévore tout, et pourtant, à chaque instant, une étincelle d’éternité subsiste.
14. L’Homme et la nature
L’Homme fait partie de la nature
Pour Spinoza, l’Homme n’est pas le maître de la nature, mais l’une de ses innombrables expressions. Dans son Éthique, il écrit : « L’homme fait partie de la nature, et ne peut pas être conçu sans elle. » Pendant des millénaires, nous n’étions qu’une branche parmi d’innombrables sur l’arbre de la vie, dépendants des rivières, des forêts et de la pluie. Aujourd’hui, nous avons tendance à nous croire séparés de la nature, mais nous restons les mêmes : poussière d’étoiles transformée en os et en chair. L’ironie est que nous détruisons ce qui nous soutient, oubliant que l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons ne sont pas des créations humaines, mais des dons cosmiques qui ne peuvent être fabriqués dans aucune usine.
Goethe et la vision poétique de la vie
Goethe observait la nature avec les yeux d’un poète et d’un scientifique. Dans Faust, Goethe écrit : « La nature est toujours vraie, toujours sérieuse, toujours sévère ; elle ne se moque jamais de nous. » Pour lui, la vie constituait un cycle esthétique et biologique indissociable. Il voyait dans une simple feuille la totalité de l’univers, et dans la métamorphose d’un papillon, le symbole de la condition humaine. Aujourd’hui, pourtant, les chiffres trahissent un monde à l’envers : chaque année, 10 millions d’hectares de forêts disparaissent. La poésie de Goethe s’efface sous les scies à chaîne et les bulldozers, et la beauté qu’il vénérait se transforme en marchandise, en papier et en bois.
Thoreau à Walden
En 1845, Henry David Thoreau s’installe dans une cabane au bord du lac Walden pour démontrer qu’une autre manière de vivre était possible. « Je suis allé dans la forêt parce que je voulais vivre délibérément », écrit-il. Son geste était une résistance à une modernité qui asservissait déjà l’homme aux montres et aux usines. Aujourd’hui, son expérience peut sembler utopique, mais elle reste nécessaire : sur une planète dont l’empreinte écologique dépasse de 70 % la capacité de régénération annuelle, vivre au cœur de la forêt serait presque un acte révolutionnaire.
Thoreau a compris avant tout le monde que la liberté ne réside pas dans la possession, mais dans le renoncement au superflu. Son Walden est un miroir inconfortable pour une humanité qui consomme comme si quatre planètes suffisaient à nos besoins.
Gabriela Mistral et la terre
Gabriela Mistral l’a affirmé avec force : « La Terre est mère, pas marchandise. » Cette phrase condense des siècles de sagesse paysanne et indigène. Pour des millions de peuples, la Terre n’est pas une propriété, mais un soutien, une mémoire et une tombe. La modernité, cependant, l’a transformée en actif financier. En Amérique latine, plus de 200 millions d’hectares de terres agricoles appartiennent à des entreprises. En Afrique, l’« accaparement des terres » a déplacé des communautés entières. Mistral parlait de l’avenir en disant que lorsque la Terre cesse d’être mère pour devenir marchandise, l’Homme cesse d’être fils et devient bourreau.
Chiffres de la catastrophe
L’ampleur du déséquilibre est brutale. Chaque année, entre 30 000 et 50 000 espèces disparaissent. Depuis 1970, la planète a perdu 69 % de ses populations de vertébrés. Le déboisement progresse à un rythme de 10 millions d’hectares par an, et l’eau douce disponible par personne a diminué de 20 % en deux décennies.
Le plastique envahit déjà les glaciers, avec 14 millions de tonnes déversées dans les océans chaque année. Ces chiffres témoignent d’un écocide global en cours. Comme l’a averti Rachel Carson dans Silent Spring : « L’homme a perdu le contrôle de la Terre au moment où il a essayé de la dominer. »
L’équilibre est rompu
La modernité n’a jamais été un pacte avec la nature ; elle a été une déclaration de guerre. Nous avons brûlé des forêts, drainé des rivières, exterminé des espèces. Aujourd’hui, plus de 75 % de la surface terrestre est perturbée par l’Homme. Les villes avancent sur les zones humides, les mines dévorent les montagnes, et l’agro-industrie colonise les forêts. L’homme se croit conquérant, mais il reste un intrus. Goethe aurait pleuré devant les déserts créés par le progrès.
Mistral aurait crié face à la faim engendrée par une abondance mal répartie. L’équilibre est rompu, et nous en payons tous le prix.
Citation finale
Le philosophe Aristote écrivait il y a plus de deux millénaires : « La nature ne fait rien en vain. » L’Homme, en revanche, a fait de la vanité sa manière d’exister. La nature ne gaspille pas ; l’Homme gaspille. La nature recycle ; l’Homme enterre. La nature équilibre ; l’Homme déséquilibre. Pourtant, les paroles d’Aristote résonnent encore comme un espoir : si nous apprenons à observer à nouveau, si nous écoutons les rythmes de la Terre, peut-être pourrons-nous nous réconcilier avec la mère qui nous offre encore des moyens de subsistance.
15. La science et la limite
Galilée et le télescope : voir l’invisible
En 1609, Galilée Galilei dirigea un télescope vers le ciel et observa des montagnes sur la Lune, les phases de Vénus et les lunes de Jupiter. L’univers cessa d’être une sphère parfaite pour devenir un chaos infini. Ce geste transforma à jamais la relation entre l’Homme et le cosmos. Ses observations brisèrent des siècles de dogme et lui valurent un procès pour hérésie. Galilée incarnait l’ironie de la science : voir la vérité et être puni pour cela. Aujourd’hui, 400 ans plus tard, les télescopes James Webb et Hubble suivent le même chemin : révéler l’invisible. Le Webb, d’un coût de 10 milliards de dollars, nous montre des galaxies formées à peine 200 millions d’années après le Big Bang. Galilée aurait souri, se souvenant de sa phrase : « Et pourtant elle bouge. »
Newton et la loi universelle de la gravitation
En 1687, Isaac Newton publie les Principia Mathematica et offre au monde la loi universelle de la gravitation. La chute d’une simple pomme devient la clé pour comprendre l’orbite des planètes. Newton démontre que les phénomènes terrestres et célestes obéissent aux mêmes lois : l’univers est mécanique, prévisible, mathématique. De ses calculs naissent les machines, la physique moderne et, plus tard, la révolution industrielle. Pourtant, Newton était pleinement conscient de la petitesse de l’Homme face à l’immensité de l’inconnu. Il écrivait : « Je ne sais pas comment je vois le monde ; mais pour moi, je suis comme un enfant au bord de la mer, m’amusant à trouver un caillou plus lisse ou une coquille plus belle que d’habitude, tandis que le grand océan de la vérité demeure encore inexploré devant moi. »
Einstein et la relativité du temps et de l’espace
En 1905, Albert Einstein fait vaciller l’univers newtonien. Le temps et l’espace cessent d’être absolus pour devenir des dimensions flexibles, courbées par la masse et l’énergie. Sa théorie de la relativité bouleverse la science et ouvre la voie à l’énergie nucléaire.
Le temps n’est plus un fleuve uniforme, mais un tissu déformable. Dès lors, l’horloge humaine devient relative : lorsqu’un astronaute voyage à une vitesse proche de celle de la lumière, le temps se dilate pour lui tandis qu’il se contracte pour ceux restés sur Terre. Cette abstraction a des conséquences concrètes : sans corrections relativistes, les systèmes GPS accumuleraient des erreurs de plusieurs kilomètres. Einstein résumait cette révolution avec une modestie teintée d’ironie : « L’imagination est plus importante que la connaissance. » Ce qui naquit sous la forme d’équations a fini par façonner en profondeur la vie quotidienne de la modernité.
Heisenberg et l’incertitude quantique
En 1927, Werner Heisenberg bouleverse la physique avec son principe d’incertitude : il est impossible de connaître simultanément, avec précision, la position et la vitesse d’une particule. Le monde microscopique cesse d’être déterministe pour devenir probabiliste. C’est une révolution philosophique : l’univers n’est plus écrit dans la pierre, mais dans des nuages de possibilités. Aujourd’hui, cette incertitude gouverne le fonctionnement des transistors présents dans chaque ordinateur et téléphone. Le marché mondial des semi-conducteurs représente plus de 600 milliards de dollars par an, tous fondés sur le comportement imprévisible des électrons. Comme l’écrivait Niels Bohr : « Celui qui n’est pas surpris par la mécanique quantique ne l’a pas comprise. » La physique a cessé d’être une certitude pour devenir un paradoxe.
Hawking et l’univers fini
Stephen Hawking a poussé la science jusqu’à ses limites. Il a proposé que l’univers ait eu un début avec le Big Bang et que les trous noirs émettent un rayonnement jusqu’à s’évaporer. L’éternel cessait d’être infini. Ses calculs ont montré que même l’obscurité absolue peut s’éteindre. Un vertige de chiffres : un trou noir de la masse du Soleil mettrait 10 ans à disparaître. L’éternité devenait fragile. Hawking, prisonnier de la maladie, incarnait humainement cette fragilité. Il déclarait : « Nous ne sommes qu’une race avancée de singes sur une planète plus petite qu’une étoile ordinaire. Mais nous pouvons comprendre l’univers. Cela nous rend très spéciaux. »
Chiffres de la connaissance
La science contemporaine est aussi affaire d’industrie et de vitesse. Chaque jour, 13 500 articles scientifiques sont publiés dans des revues indexées. Le Grand collisionneur de hadrons, en Suisse, a coûté plus de 10 milliards de dollars et a permis la découverte du boson de Higgs. Les investissements mondiaux dans la recherche dépassent 2 500 milliards de dollars par an, soit 2,3 % du PIB mondial. Il n’y a jamais eu autant de connaissances, et jamais elles n’ont été aussi difficiles à assimiler. Comme l’a écrit Umberto Eco : « L’information n’est pas la connaissance, la connaissance n’est pas la sagesse. » L’avalanche de données ne garantit pas la compréhension.
L’historien Will Durant l’a formulé avec justesse : « Le progrès de la science est la découverte de notre ignorance. » Chaque équation ouvre de nouvelles questions, chaque télescope révèle davantage de mystères, chaque particule détectée accroît l’incertitude. La science ne nous offre pas des certitudes absolues ; elle met en lumière l’étendue de ce que nous ignorons. C’est à la fois sa limite et sa grandeur. L’ironie est qu’au sommet du savoir, nous demeurons des enfants, à l’image de Newton sur le rivage, jouant avec des cailloux face à l’océan infini de l’inconnu.
Le dernier battement de cœur et l’espoir
La Terre continuera de tourner, même si nous disparaissons. Elle a survécu aux glaciations, aux extinctions et aux cataclysmes cosmiques. Elle n’a pas besoin de nous ; c’est nous qui avons besoin d’elle. Sur l’horloge de 24 heures de l’évolution, l’Homo sapiens n’occupe qu’environ 7 secondes, et dans ce bref instant il a bâti des pyramides et des bombes nucléaires, écrit des poèmes et perpétré des génocides. La question n’est pas de savoir si la Terre survivra, mais si l’humanité y parviendra.
Cette horloge de l’évolution nous rappelle que l’Homo sapiens n’a existé que quelques secondes. Et durant ces secondes, il a inventé des pyramides et des armes nucléaires, composé des poèmes et empoisonné des rivières, semé du blé et vidé les mers. Nous sommes une expérience fragile sur une planète qui, elle, survivra sans nous.
Le dilemme n’est pas celui de la Terre ; le dilemme est celui de l’humanité…
Bibliographie
- Kapuściński, Ryszard. Ébano. Editorial Anagrama, 2000.
- Fanon, Frantz. Los condenados de la tierra. Fondo de Cultura Económica, 1963.
- Aldunate, Arturo. A horcajadas de la luz. Editorial Zig-Zag, 1960.
- Sixth Assessment Report. Intergovernmental Panel on Climate Change, 2021–2023.
- Naciones Unidas. World Population Prospects 2022. UN DESA.
- Banco Mundial. Groundswell: Preparing for Internal Climate Migration. 2021
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Traduction de l’espagnol par Emilia Sadaoui et Alicia Leto









