Ceux qui refusent le service militaire en Allemagne peuvent se référer à une longue et fructueuse tradition d’objection de conscience organisée.
Alors que le gouvernement allemand poursuit ses efforts pour rétablir progressivement le service militaire obligatoire, les demandes d’objection de conscience sont déjà en forte hausse. Depuis la suspension du service militaire en temps de paix en 2011, la question était tombée dans l’oubli ; seul un nombre relativement restreint de militaires d’active et de réservistes refusait d’effectuer son service. Cependant, le mouvement des objecteurs de conscience a toujours fait partie intégrante de la société allemande. À la fin des années 1980, près de 80 000 jeunes hommes refusaient chaque année le service militaire. Une importante célébration du 25e anniversaire de la Bundeswehr en 1980, qui marqua également la première cérémonie publique d’assermentation de recrues en République fédérale, suscita de vives protestations. Dès la fin des années 1940, les prémices d’un nouveau mouvement pacifiste s’étaient formées et s’opposaient à la remilitarisation de la République fédérale. Parmi les premières figures de proue de l’objection de conscience, même sous la République de Weimar, figurait la pacifiste et féministe radicale Helene Stöcker. Outre le refus individuel, elle a appelé à une grève générale en cas de mobilisation.
Demandes d’objection de conscience supplémentaires
Le nombre de demandes d’objection de conscience en Allemagne continue d’augmenter. Citant des données de l’Office fédéral de la famille et de la société civile, les médias font état d’un nombre record de demandes d’objection de conscience depuis 2011, date de la suspension du service militaire obligatoire. Une tendance positive est observée depuis 2022, principalement parmi les militaires et les réservistes. On a dénombré 201 demandes en 2021, 951 en 2022, plus de 2 000 en 2024 et plus de 3 000 en octobre 2025.[1] Il semblerait que plus de la moitié des demandes déposées cette année proviennent de personnes n’ayant jamais eu de contact avec les forces armées allemandes. Des enquêtes montrent que les jeunes, en particulier, refusent le service militaire obligatoire.[2] L’association Société allemande pour la paix – objecteurs de conscience unis (DFG-VK) signale une forte augmentation des demandes de conseil.[3]
De l’objection de conscience au refus total
Comparativement aux chiffres des années précédant la suspension du service militaire, les 3 000 demandes annuelles actuelles sont loin d’être des records : dès 1968, malgré toutes les tentatives de stigmatisation sociale de l’objection de conscience, on comptait près de 12 000 demandes, et en 1989, plus de 77 000.[4] À cette époque, un vaste mouvement d’objection de conscience avait émergé, rassemblant un large éventail de personnes, allant des pacifistes bourgeois, souvent d’influence chrétienne, aux membres du mouvement antinucléaire, en passant par les communistes et les anarchistes. L’association Société allemande pour la paix – Objecteurs de conscience unis (DFG-VK) gérait un réseau de conseil national pour les jeunes hommes souhaitant refuser le service militaire. Elle leur apportait un soutien sur les questions juridiques relatives à la procédure de demande et à la préparation de l’audience d’objection de conscience menée par l’armée. Le mouvement des objecteurs de conscience, ou mouvement des déserteurs, refusait non seulement le service militaire mais aussi la procédure d’objection de conscience contrôlée par l’État, y compris le service civil alternatif, l’enregistrement militaire et la conscription.[5]
Du refus à la protestation
Outre l’objection de conscience individuelle, les objecteurs de conscience ont exprimé leur mécontentement de l’époque par divers moyens, notamment en manifestant contre les cérémonies d’assermentation des recrues de la Bundeswehr (Forces armées fédérales allemandes). Un événement politique intérieur majeur fut la manifestation massive de dizaines de milliers de personnes contre la cérémonie publique d’assermentation marquant le 25e anniversaire de la fondation de la Bundeswehr en 1980 au stade Weser de Brême. Outre les organisations de gauche, des groupes tels que des factions du SPD (Parti social-démocrate), du GEW (Syndicat des travailleurs de l’éducation et de la science) et des associations religieuses avaient appelé à manifester. Les manifestants ont réussi à perturber considérablement les célébrations de l’anniversaire de la remilitarisation de la République fédérale : ils sont parfois parvenus à bloquer le stade Weser ; des personnalités politiques ont dû être transportées par hélicoptère jusqu’au stade ; malgré d’importants contrôles de la police militaire, des opposants sont parvenus à perturber l’événement de l’intérieur ; des manifestants ont forcé deux portes du stade. et des bus de transport vides de la Bundeswehr ont pris feu[6]. Le diffuseur public a abordé ces événements 30 ans plus tard dans le film de 2010 « Neue Vahr Süd » (Nouvelle Vahr Sud).
Jamais plus
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les objecteurs de conscience se réorganisèrent avant même la création officielle de la Bundeswehr en 1955, s’appuyant sur les structures mises en place sous la République de Weimar. Par exemple, l’Internationale des objecteurs de conscience fut fondée dès 1947 ; le Groupe des objecteurs de conscience suivit en 1953. À cette époque, la résistance à la remilitarisation de l’Allemagne, libérée du fascisme nazi, influença les activités du mouvement pacifiste naissant : tandis que le gouvernement fédéral du chancelier Konrad Adenauer, en coopération avec d’anciens généraux de la Wehrmacht et les États-Unis, œuvrait déjà secrètement à la création de la Bundeswehr, de nombreux citoyens ouest-allemands rejoignirent divers groupes pacifistes. Au début des années 1950, un mouvement de grève se forma, également dirigé contre le réarmement de la République fédérale.[7] En 1951, plus de 100 000 personnes participèrent aux grèves. Un sondage réalisé en 1950 comprenait la question suivante : « Considéreriez-vous qu’il soit acceptable de redevenir soldat, ou que votre fils ou votre mari redevienne soldat ? » 74,5 % des personnes interrogées ont répondu par la négative. Avec le soutien de la majorité de la population ouest-allemande, un vaste mouvement a émergé en 1951-1952, réclamant un référendum sur le remilitarisation afin d’empêcher tout réarmement.[8]
« Un signe de faible estime de soi »
L’une des premières figures importantes de la défense de l’objection de conscience en Allemagne fut la militante féministe Helene Stöcker. Lors du Congrès international pour la paix de La Haye en 1922, elle prit la parole au nom du Cartel allemand pour la paix, une alliance d’une douzaine d’organisations. Elle exigea que « les syndicats et les groupes pacifistes de tous les pays aient le devoir, en toutes circonstances, de se mettre en grève générale et de la maintenir » en cas de mobilisation de leur gouvernement contre un autre pays, « jusqu’à ce que ce dernier ait pris d’autres mesures… pour régler le différend ». Stöcker considérait comme un « signe étrange du faible respect de soi de l’humanité » que les peuples « se soient jusqu’ici laissés utiliser, maltraiter et détruire par leurs gouvernements et leurs classes dirigeantes comme de la chair à canon, comme du matériel de guerre à jeter sur l’ennemi ».[9]
« Une société meilleure »
Stöcker appartenait au groupe des pacifistes radicaux. Les prémices d’un mouvement d’objection de conscience organisé en Allemagne remontent à ce groupe, qui fonda notamment la Ligue des objecteurs de conscience (organisation précurseure de l’Internationale des objecteurs de conscience) en 1919 et participa également aux structures du mouvement pacifiste international. Outre le refus du service militaire, la Ligue s’opposait à la construction de croiseurs cuirassés et, par conséquent, au réarmement de la marine allemande. Parallèlement à son militantisme pacifiste, Stöcker militait pour le droit de vote des femmes, était membre fondatrice de la Ligue pour la protection des mères et la réforme sexuelle, et s’opposait à la criminalisation des homosexuels. Elle quitta l’Allemagne en 1933. Elle était convaincue que, pour réussir, la « lutte pour la paix mondiale » devait être « simultanément une lutte pour un meilleur ordre social ».[10]
[1] De plus en plus d’objecteurs de conscience : le nombre de demandes atteint un niveau record. mdr.de 18.11.2025.
[2] Voir aussi : En route vers la conscription.
[3] Les centres de conseil recommandent aux jeunes de faire une demande d’objection de conscience. deutschlandfunk.de 03.09.2025.
[4] Office fédéral du service civil (éd.) : Service civil. Revue pour ceux qui effectuent un service civil. Cologne.
[5] Dietrich Bäuerle : L’objection de conscience totale comme résistance. Francfort-sur-le-Main, 1989. Christoph Bausenwein : Servir ou rester assis. Livre blanc sur l’objection de conscience totale. Nuremberg, 1984.
[6] Rapport de la commission d’enquête sur les événements liés aux émeutes sanglantes survenues lors de la cérémonie publique de prestation de serment des soldats de la Bundeswehr le 6 mai 1980 au stade Weser de Brême.
[7] Fritz Krause : L’opposition antimilitariste en République fédérale d’Allemagne (1949-1955). Francfort-sur-le-Main, 1971.
[8] Lorenz Knorr : Histoire du mouvement pacifiste en République fédérale d’Allemagne. Cologne, 1983.
[9], [10] Helene Stöcker : Discours au Congrès international pour la paix de La Haye (1922). Dans : Gisela Brinker-Gabler (dir.) : Femmes contre la guerre. Francfort-sur-le-Main, 1980.









