Au Royaume-Uni, la protestation peut être criminalisée : une grand-mère de 62 ans, militante et engagée, est poursuivie pour « soutien au terrorisme ». Son crime : parler de Gaza, dénoncer les bombardements, participer à une flottille civile, poster sur les réseaux. Sarah Wilkinson n’a commis aucun acte violent et n’a jamais incité à la violence : elle s’est contentée de ses mots. Et cela, dans la démocratie britannique, peut désormais suffire pour se retrouver devant un juge. Ce n’est pas un cas isolé : c’est un signal. Et pas seulement pour le Royaume-Uni. Il y a quelque chose de profondément inquiétant lorsqu’un État redoute davantage une grand-mère équipée d’un téléphone et d’une conscience que n’importe quelle cellule clandestine. La solidarité se transforme en suspicion et la compassion en crime. Ce qui est attaqué aujourd’hui à Londres n’est pas seulement une activiste : c’est une idée de la liberté que nous pensions acquise. Et ce qui se passe au Royaume-Uni dépasse largement ses frontières. En Espagne, n’oublions pas que la « loi du bâillon » est toujours en vigueur, ainsi que d’autres textes hérités de l’époque de l’ETA. Demain, ces lois pourraient être utilisées contre n’importe quelle forme de contestation…

À l’automne 2025, Sarah Wilkinson, militante britannique pro-palestinienne de 62 ans, comparaît devant un tribunal londonien pour « soutien à une organisation terroriste ». Elle n’a pas posé d’explosifs, n’a pas organisé de cellules armées et n’a jamais incité ouvertement à la violence. Actrice active sur les réseaux sociaux, elle diffuse des informations sur Gaza, dénonce publiquement la catastrophe humanitaire et a participé à la flottille Global Sumud, une mission civile visant à apporter de l’aide à l’enclave palestinienne.

Néanmoins, la législation antiterroriste du Royaume-Uni a jugé ces actes suffisants pour déclencher des poursuites pénales sévères.

Son cas peut sembler anecdotique, mais il ne l’est pas. Wilkinson est devenue le symbole involontaire d’un phénomène inquiétant : l’usage croissant des lois antiterroristes pour réprimer l’activisme, le discours politique et les expressions de solidarité. Il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais d’une tendance plus large et alarmante au Royaume-Uni, où des dizaines de militants pro-palestiniens, retraités, étudiants ou professionnels sans antécédents de violence, ont été surveillés ou détenus pour des accusations similaires.

Dans cette histoire, il ne s’agit pas seulement de savoir ce qu’a fait Sarah Wilkinson. C’est ce que son affaire dit de la liberté d’expression dans nos démocraties libérales..

Qui est Sarah Wilkinson ?

Wilkinson appartient à une génération de militants ayant grandi dans les mouvements pour la paix et les droits humains. Son engagement est clair : dénoncer ce qu’elle considère comme des crimes de guerre, faire entendre les voix palestiniennes, participer à des caravanes civiles et, surtout, utiliser les réseaux sociaux comme un véritable mégaphone moral.

Rien n’indique qu’elle ait encouragé la violence ou commis des actes terroristes. Ses défenseurs soulignent que son « crime » a été de s’exprimer, de protester, de documenter et de publier. Autrement dit, d’exercer des libertés relevant de la sphère civile et non militaire.

Ce n’est donc pas son comportement qui est extraordinaire, mais la réaction de l’État.

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L’outil du pouvoir : des lois antiterroristes étendues et élastiques

Depuis 2000, le Royaume-Uni a progressivement élargi son arsenal juridique en matière de lutte contre le terrorisme. En théorie, ces lois visent à protéger la société contre des menaces réelles. En pratique, elles permettent de poursuivre non seulement les actes de violence, mais aussi les manifestations symboliques, les slogans, les publications, et même la simple présence à certaines mobilisations.

Des concepts flous tels que le « soutien », la « sympathie », la « promotion indirecte » ou « l’association » offrent aux autorités une large marge d’interprétation. Cela peut sembler justifié lorsqu’il s’agit de cellules clandestines ou d’individus armés. Mais Wilkinson n’a pas été interpellée dans un entrepôt secret : elle a été poursuivie pour ses messages sur les réseaux sociaux, pour sa participation à une flottille humanitaire, pour ses prises de parole.

C’est le passage de la lutte contre le terrorisme à la surveillance de la pensée politique, un terrain périlleux où les idées deviennent suspectes et où la dissidence peut être criminalisée.

Ce n’est pas un cas isolé

Le cas britannique illustre une tendance de plus en plus marquée dans les « démocraties consolidées ». Au Royaume-Uni, en 2025, après l’interdiction du collectif d’action directe Palestine Action, plus de 500 personnes ont été arrêtées pour avoir simplement porté des banderoles ou scandé des slogans liés au groupe lors de manifestations. D’autres ont été interpellées pour des publications dénonçant le siège de Gaza, considérées comme « sympathiques » à l’organisation.

Il ne s’agissait ni de caïds ni de mafias internationales. Il n’y avait ni cachettes, ni contrebande, ni armes. La grande majorité d’entre eux étaient des retraités, des étudiants, des travailleurs : des citoyens ordinaires munis de pancartes et de téléphones portables, et non des gangsters en trench-coat, fedora et avec une mallette remplie de dollars. Pourtant, ils ont été traités comme si Londres venait de découvrir son propre Al Capone à chaque coin de rue : menottés, embarqués dans des fourgons, interrogés en vertu de lois antiterroristes conçues pour lutter contre les mafias violentes et les réseaux clandestins transnationaux. Une scène qui rappelle les raids des années 1920 à New York contre le crime organisé… sauf que cette fois, les « suspects dangereux » étaient des citoyens ordinaires proches de la retraite, simplement engagés contre un massacre.

Le message est clair et inquiétant : l’État ne se contente pas de garantir la sécurité, il redéfinit ce qui est acceptable de penser.

L’effet de refroidissement

Il existe un concept clé en théorie démocratique : l’effet de refroidissement. Lorsque l’État transforme la solidarité en suspicion et la dissidence en risque pénal, le débat public se refroidit. Par précaution, le public se tait. La peur remplace la délibération. Et la démocratie, même lorsqu’elle subsiste formellement, perd son esprit. Il ne s’agit pas seulement de défendre un discours radical : il s’agit aussi de protéger le droit à la protestation morale, à la remise en question des décisions de l’État, à la solidarité avec des peuples confrontés à d’immenses souffrances. Le droit de ne pas détourner le regard.

La liberté d’expression, c’est défendre non seulement les paroles sûres et acceptables, mais aussi celles qui questionnent, critiquent et remettent le pouvoir en cause.

Le discret tournant autoritaire

Au Royaume-Uni, longtemps considéré comme un modèle en matière de libertés civiles, un glissement à la fois discret et lourd de conséquences est en train de s’opérer.

  • Désormais, manifester peut être assimilé à un acte terroriste.
  • Filmer ou relater des violences policières peut être interprété comme de la propagande hostile.
  • Exprimer son soutien à des victimes peut être lu comme une forme de complicité avec leurs agresseurs.

La nouvelle ligne de fracture, ce que l’État surveille avant tout, n’est plus l’action violente : c’est le récit qui dérange. Voir ces trois évolutions alignées noir sur blanc devrait nous faire frémir en tant que citoyens. Le pouvoir redoute moins l’explosion d’une bombe que l’objectif d’une caméra. Moins une cellule clandestine qu’un hashtag qui devient viral.

La censure contemporaine avance masquée derrière un vocabulaire juridique et s’abrite derrière le mot « sécurité ». Les textes de loi ont été ajustés pour que l’expression citoyenne, même lorsqu’elle se limite à dénoncer, témoigner ou simplement exprimer sa colère, devienne suspecte, voire punissable.

Ce qui se joue vraiment

Sarah Wilkinson n’a sans doute jamais cherché à devenir une icône ni un symbole. Son engagement relevait, et relève toujours, d’une cause profondément humanitaire. Pourtant, elle cristallise aujourd’hui une interrogation essentielle :

Une société peut-elle encore se dire libre lorsque la solidarité avec des peuples opprimés devient un acte potentiellement criminel ? La réponse à cette question révélera beaucoup sur la santé morale de nos démocraties dans les années à venir.

Enseignements à l’échelle internationale

Il est évident que la menace ne vient pas de Sarah Wilkinson. La véritable menace, c’est l’appareil juridique qui se retourne contre elle. Son affaire nous rappelle quelque chose de crucial : les démocraties ne s’effondrent pas toujours dans le fracas. Parfois, elles se rétrécissent lentement, au fil de décisions isolées, jusqu’à ce que le silence s’installe comme norme.

Il est impossible de comprendre l’affaire Sarah Wilkinson sans prendre un peu de hauteur et la replacer dans le climat social qui traverse actuellement le Royaume-Uni. Nous ne sommes pas seulement face à une militante poursuivie de façon disproportionnée : c’est tout un pays qui, petit à petit, glisse vers un terrain inquiétant pour la contestation, la critique et l’engagement citoyen.

Tandis que les lois encadrant la liberté d’expression et le droit de manifester se durcissent, la situation matérielle au Royaume-Uni, elle, s’est clairement dégradée : hausse du chômage, pauvreté croissante chez les personnes âgées, exclusion économique en progression, et un nombre toujours plus important de familles expulsées se retrouvant à la rue… tout cela compose un paysage de profond malaise social. Face à cette précarisation, mouvements ouvriers, associations étudiantes, collectifs de retraités, syndicats et réseaux locaux se réorganisent. Ils reviennent défendre ce qui aurait toujours dû rester intangible : le droit de s’unir, de participer, et surtout, de faire entendre leur voix.

Selon un rapport d’Oxfam, le Royaume-Uni connaîtrait à nouveau des niveaux d’inégalités comparables à ceux d’il y a plusieurs décennies. L’austérité budgétaire a sévèrement amputé les services publics essentiels, tandis que la fiscalité pesant sur le capital a été allégée. Le National Health Service (NHS), déjà sous pression, a subi des coupes qui affaiblissent sa capacité à répondre à la hausse de la demande et au vieillissement de la population. Les aides sociales, elles aussi, ont été rabotées une fois de plus, alors que dans le même temps, on accorde des allégements fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises.

Dans le même temps, la part des recettes issues de l’impôt sur le revenu diminue par rapport aux bénéfices du capital ou aux dividendes. De plus, le contrôle de l’évasion fiscale pratiquée par des multinationales opérant au Royaume-Uni mais déplaçant leurs profits vers des pays à fiscalité « plus douce », comme les Pays-Bas ou d’autres juridictions européennes, reste largement insuffisant. Cette combinaison de coupes sociales, de pressions fiscales réduites sur le capital et de faible redevabilité des élites économiques illustre ce qu’on pourrait appeler une « sur-exploitation » du contrat social : une génération de travailleurs et de consommateurs porte à bout de bras un pays où une minorité accumule, depuis trente ans, des fortunes colossales sans contribuer à hauteur de leur enrichissement au bien-être collectif.

Politiquement, le cocktail est explosif : les institutions se montrent de plus en plus attentives aux intérêts des 1 % les plus riches. L’exemple récent du passage de Rishi Sunak à Downing Street est révélateur. Son arrivée a été saluée comme un tournant dans un pays marqué par un long héritage de classisme et de racisme, la preuve, disait-on, que le système pouvait s’ouvrir. Mais derrière cette dimension symbolique, rien dans son parcours ni dans son action gouvernementale ne témoignait d’une vision intégrant l’ensemble de la population britannique.

Il faut reconnaître que son accession au pouvoir a marqué un moment important : une société capable de confier les rênes du pays, sans préjugés, à un dirigeant né à Southampton, fils d’immigrés indiens et pratiquant hindou. Ce geste démocratique témoignait d’une société plus mûre, plus ouverte et moins prisonnière de ses anciens réflexes identitaires.

Toutefois, même si l’arrivée de Rishi Sunak au pouvoir a été saluée pour son caractère symbolique progressiste, un Premier ministre britannique d’origine indienne, fils d’immigrés et de confession hindoue, dans la réalité, la situation n’a pas évolué. Concrètement, son gouvernement s’est inscrit dans la continuité d’un système politico-administratif entièrement orienté vers les intérêts du capital concentré. Les faits parlent d’eux-mêmes : des dons personnels de plus de 100 000 £ versés par Sunak à son ancienne école privée, Winchester College, alors que les écoles publiques vivaient des années de budgets stagnants (comme le rappelait Tribune Magazine : « La philanthropie de Rishi Sunak est une fable ») ; des repas politiques à 3 300 £ avec des milliardaires ; plus de 5 millions de livres offerts au Parti conservateur par de grands donateurs liés à des contrats publics de plusieurs centaines de millions ; sans oublier des dizaines de milliers de livres provenant d’entreprises liées aux énergies fossiles, de quoi laisser dubitatif quant à l’engagement réel du gouvernement sur le climat ou la justice sociale (voir, entre autres, l’enquête du site theferret.scot).

En somme, Rishi Sunak aurait pu incarner le visage d’une Grande-Bretagne plus diverse. Mais ses choix politiques et ses liens avec les élites économiques l’ont clairement rangé du côté des 1 à 3 % les plus privilégiés. Les visages changent, mais le système, lui, demeure le même.

Ainsi, malgré les changements successifs à la tête de Downing Street, la trajectoire demeure la même : une partie importante de la population vit dans la précarité, l’incertitude et la vulnérabilité. Et cela, inutile de s’en cacher, nourrit du ressentiment. Non pas parce que les Hommes seraient « mauvais » ou « extrémistes », mais parce que la dignité humaine ne peut que se rebeller lorsqu’on l’accule. L’histoire sociale le démontre : si ce malaise profond n’a pas d’espace sûr, pacifique, organisé et porteur d’avenir pour s’exprimer, il peut être récupéré par des forces opportunistes qui le manipulent, le déforment et le transforment en violence et en confrontation. Dans ces moments-là, la réaction de l’État n’est que rarement de s’attaquer aux causes du mal-être : elle consiste plutôt à durcir la répression au nom de « l’ordre ». L’alerte démocratique se déclenche, et les précieux enseignements de la non-violence deviennent alors notre fil d’Ariane.

En effet, la solution n’a jamais été, et ne sera jamais, de déposer notre propre mise dans les innombrables « banques du ressentiment ». Ce n’est ni céder à la haine, ni s’accrocher à l’illusion archaïque qu’en détruisant quelque chose, ou quelqu’un, on obtiendrait justice. Ce chemin-là profite toujours à ceux qui cherchent des prétextes pour imposer plus de contrôle, plus de peur, plus de violence d’État. L’histoire est sans appel : le ressentiment ne résout rien, il ne fait jamais qu’aggraver les choses.

Pour changer les sociétés sans les détruire, la seule alternative véritable repose sur des actions non violentes, réfléchies, disciplinées et créatives. Faire vivre une désobéissance civile réfléchie. Renforcer les solidarités locales. Pratiquer l’entraide concrète. Opposer l’humour à l’autoritarisme (car rien ne désarçonne autant le pouvoir qu’un rire franc et courageux). Déployer l’imagination politique plutôt que la résignation. Cohésion citoyenne contre la division imposée.

Le défi est de taille, mais il n’a rien d’inédit. Il nous appartient de coopérer pour reconstruire un horizon commun : un avenir où le progrès ne se résumerait pas à l’enrichissement de quelques-uns, mais à des conditions de vie dignes pour tous. Sinon, on laisse la frustration s’engouffrer dans l’impasse de l’affrontement violent, de la peur, de la haine et de la remise en question généralisée. Là où des personnes sensibles, bien intentionnées, voire exemplaires désignent et nomment le « Système » comme on évoquait autrefois un démon ou Voldemort (selon la fiction dans laquelle on vit)…

Dans un archipel comme le Royaume-Uni, où dépendre les uns des autres n’est pas un choix mais une donnée géographique et civilisationnelle, parier sur l’accumulation infinie pour quelques-uns et la détresse pour des millions n’est pas seulement injuste : c’est du suicide.  Les sociétés humaines ne se développent pas grâce à une logique d’accumulation à outrance. Même notre propre corps ne peut vivre ainsi. En biologie, lorsqu’un tissu se met à puiser les ressources de l’organisme sans maintenir son propre équilibre ni soutenir sa fonction collective, on parle de tumeur. La différence entre un tissu régénérable et un tissu tumoral malin n’est pas son ambition, mais sa faculté à retrouver sa fonction au sein de l’ensemble.

De même, les 1 à 3 % capables d’organiser, créer, innover ou stimuler l’adaptation collective ne sont pas en surnombre. Les sociétés ont besoin de leadership, de vision et d’audace. Mais ces talents font partie du corps social : ils ne sont ni une espèce à part, ni des surhommes, ni des héros, ni des stars… Et lorsqu’on les regarde de plus près, leurs parcours et leurs réussites reposent aussi sur des opportunités, les subventions de l’État ou de l’exploitation. Leur destin, tout comme leur bien-être, est étroitement lié à celui des autres. Pourtant, lorsqu’il s’agit de dignité personnelle, les trajectoires divergent clairement.

Quand l’écart entre ceux qui possèdent presque tout et ceux qui n’ont que le strict minimum devient un gouffre, ce n’est pas la liberté qui se démarque : c’est la peur. Et une élite entourée de gardes armés, de caméras, de murs et d’une méfiance constante n’est pas une élite en sécurité, c’est une élite assiégée. Pour une île-nation comme le Royaume-Uni, ce modèle n’est pas seulement injuste, il est irréalisable. Il est impossible de vivre en paix dans un pays où la richesse se barricade derrière des murs tandis que la majorité survit dans la précarité. Celui qui croit en une prospérité isolée rêve en réalité d’une prison dorée.

Assez de cette logique ! Aujourd’hui, un véritable acte révolutionnaire, n’est pas de détruire, haïr, guillotiner, fusiller ni d’emprisonner l’adversaire. Depuis plus de deux mille ans, ces méthodes ont laissé dans l’histoire une marque atroce et indélébile. On a appelé ça la « lutte des classes », mais si aucun des deux camps ne parvient à grandir moralement et humainement, si aucun n’aide l’autre à sortir du piège ; alors tous deux resteront prisonniers d’une boucle, oscillant de haut en bas, répétant sans fin le même destin.

Pour certains, cette histoire sonne comme un avertissement. Pour d’autres, c’est le signe qu’il faut trouver une nouvelle façon d’habiter le monde, une manière qui dépasse la vengeance et la haine et qui brise enfin le cycle des erreurs ancestrales.

La véritable transformation ne naît pas du ressentiment, ni de l’envie, ni de l’instinct de tout réduire à néant. Elle naît de la compréhension et du fait de bâtir des ponts, de recréer des chemins capables de porter tout le monde : la communauté, la justice, la dignité, l’espoir, une véritable égalité des chances dès la naissance pour que chaque vie s’épanouisse et un système démocratique réellement partagé. Nous disposons aujourd’hui de quelque chose que les générations précédentes n’avaient pas : la technologie, les ressources et les connaissances pour rapprocher la démocratie du quotidien, de ce qui fait mal et de ce qui doit être décidé. Que la participation ne soit plus un privilège ou un rituel ponctuel, mais un droit et une habitude.

Imaginez une démocratie élargie, portée par des outils numériques éthiques et par une intelligence artificielle pensée pour servir le bien commun, à l’abri des intérêts privés ; une démocratie transparente et guidée par la communauté. Une démocratie où même ceux qui ne savent pas lire peuvent décider de l’essentiel : l’accès à l’eau potable dans leur quartier, des écoles pour leurs enfants, des terres productives, des transports décents. Une démocratie où celles et ceux qui vivent avec les problèmes devraient aussi pouvoir voter les solutions. Les techniciens, les gestionnaires et les politiciens viendront ensuite ; mais le cap sera fixé par la vie en commun, et non par des intérêts accumulés.

Car la violence ne promet qu’une brève catharsis (une libération, l’illusion d’une justice immédiate, qui tient presque de la vengeance) mais qui finit toujours par consolider la même machine qu’elle prétend combattre. Une révolution qui détruit des individus au nom du peuple finit tôt ou tard par se retrouver sans peuple. La tâche la plus difficile, et la plus urgente, est de bâtir une transformation qui élargisse la liberté et la dignité sans sacrifier personne en cours de route.

La Nonviolence, quant à elle, n’a rien de passive : c’est une discipline en mouvement. C’est de l’organisation, de la lucidité, de la persévérance et du courage. C’est aussi la capacité d’ajuster la lutte à ce que l’on rencontre en chemin, pour ne jamais se laisser entraîner vers la violence. C’est la stratégie qui a démontré, à maintes reprises, qu’il est possible de changer le cours de l’histoire sans renoncer à l’humanité que nous cherchons à préserver. Construire, plutôt que ravager. Transformer sans déshumaniser. Voilà la tâche urgente, et plus radicale que jamais.

Mais n’oublions pas le contexte : nous sommes au Royaume-Uni, un archipel qui a toujours vécu de ce qui vient d’ailleurs. Les hommes, les idées, les échanges, le commerce, les savoirs, les cultures mais aussi le capital, ce Golem moderne, un outil puissant que l’ont peut invoquer mais qui reste aveugle, capable de bâtir ou de détruire selon l’intention de celui qui le dirige.

C’est justement à cause de la puissance de ces forces invocables qu’il faut un lien humain, et non un simple réflexe tribal. Assez de totems… assez de mythes fondateurs, de légendes ou de récits manipulés à outrance. Car en ces temps, la tentation des gouvernements autoritaires est évidente. Cela vaut aussi pour ceux qui glissent dangereusement vers cette zone grise sans l’admettre. Ils cherchent à criminaliser l’opposition avant qu’elle ne fleurisse, punir la critique avant qu’elle ne dérange et semer la peur avant que la solidarité ne grandisse.

Rien ne légitime mieux ces mouvements que le récit disciplinaire de la « sécurité nationale », la morale de « l’ordre » et la prétendue défense contre « l’extrémisme ». C’est un vieux scénario, si poli par l’histoire qu’il en brille presque à force d’être utilisé.

Mais surtout : ne répondons pas avec la même peur que l’on cherche à nous transmettre.

La frustration est compréhensible, et l’indignation, légitime. L’incertitude face à la faim, à la perte ou à la chute, même lorsqu’il ne s’agit que de la peur de tomber, est profondément humaine. Et quand cette peur se multiplie et trouve un écho collectif, elle prend forme, de l’élan et trouve une direction.

La tentation est toujours présente :

devenir des investisseurs de la haine et des actionnaires du mépris mutuel, vis-à-vis de l’origine, du statut et de l’identité ; comme si ce gain émotionnel représentait une victoire alors qu’il n’est en réalité qu’un redoutable poison. Mais s’engager dans cette voie revient à trahir ce que l’on prétend défendre.

Ce n’est pas en nourrissant la haine que l’on sauve des peuples, mais en reconnaissant leurs contradictions, qu’elles soient personnelles ou historiques. On ne se libère pas en s’autodétruisant, mais grâce à un chemin guidé par la lucidité, la patience et un minimum d’honnêteté envers soi, tout ça vers une dignité commune.

Il n’y a plus de nouveaux continents où exporter nos échecs, imposer des souffrances, en tiret profit et soutenir des structures défaillantes. L’évasion, qu’elle soit géographique, coloniale ou mentale appartient au passé.  Nous n’avons qu’une seule planète, pour l’humanité comme pour l’espace qu’elle occupe.

Aujourd’hui, la frontière est intérieure. Ce défi touche chacun d’entre nous. Cela touche autant les plus vulnérables que le 1 % le plus privilégié. Car c’est là, dans la prise de conscience et l’engagement individuel, que se brise le déterminisme des cycles. Donc peu importe le lieu de naissance, face à la perspective que l’on choisit d’adopter. C’est là que l’on dépasse la vision de la société comme simple jungle sociale, même si aujourd’hui, même les moins favorisés ont des iPhones et des voitures, sortes d’anciens totems qui promettaient la supériorité mais n’offrent que des distractions. Bien sûr, tout cela se fait à crédit… ce qui favorise le cycle dont nous parlons.

La civilisation ne correspond pas à l’accumulation d’outils, de technologies puissantes qui multiplient notre force et notre portée. L’utilisation de ces outils est risquée si elle ne s’accompagnent pas de la capacité à nous demander ce que nous en faisons, et surtout, ce que nous faisons les uns avec les autres.

En fait, ce n’est pas si compliqué. Au-delà des étiquettes, des drapeaux, des croyances et des votes, nous voulons tous la même chose : que nos enfants aient un meilleur futur. Nous voulons que les générations à venir voient un monde où il vaut la peine de grandir, d’étudier, de travailler, de faire des erreurs, d’aimer, de construire, de rêver.

Cette intention de naîtra pas de la peur. Elle naîtra du bon sens. Il faut se poser cette question : Quel monde est-ce que je veux donner à mon successeur ? Après avoir médité sur la question, et plutôt à plusieurs que seul, il est temps d’agir en conséquence – avec détermination, certes, mais aussi avec calme, imagination, tact et nonviolence.

Défendre la démocratie, ce n’est pas crier plus fort que l’autre. C’est le comprendre plutôt que de le détester.

Le risque de cette idée est que toute distinction entre la violence réelle et la résistance pacifique, entre les appels à la haine et les appels à l’arrêt d’une guerre, entre les dangers pour les citoyens et les voix qui veulent les défendre, s’estompe. Nous l’avons déjà vu dans l’histoire : lorsque la parole est criminalisée, l’existence civique l’est également.

Et dans ce sombre tableau, une menace particulièrement inquiétante émerge : la présence de perturbateurs, d’infiltrés, de spécialistes du contrôle des manifestations et de l’introduction de la violence là où il y avait une organisation pacifique. Il ne s’agit pas d’un fantasme complotiste, mais d’une stratégie documentée dans différents pays et à différentes époques : la violence artificielle est utilisée pour délégitimer les mouvements légitimes, pour justifier les lois d’urgence, pour diviser ceux qui protestent et pour effrayer ceux qui observent.

Dans ce contexte, le cas de Sarah Wilkinson n’est peut-être pas un épisode isolé, mais un avertissement précoce. Un signe que ce qui est puni aujourd’hui par dix chefs d’accusation peut demain servir de précédent pour faire taire quiconque remet en question la politique étrangère, les inégalités internes ou le traitement du dissensus démocratique. Il n’y a pas de crime plus grave pour une démocratie que d’identifier sa citoyenneté critique comme une menace.

C’est là le véritable cœur du problème : on ne protège pas le pays en interdisant des voix, on le détruit. La coexistence n’est pas renforcée par la criminalisation de la compassion, bien au contraire. Une société qui commence à emprisonner la bienveillance finit par s’emprisonner elle-même.

Peut-être le temps révélera-t-il que l’affaire Wilkinson n’était pas seulement une grande injustice personnelle amplifiée par « l’époque », mais le moment où le Royaume-Uni a commencé à se remettre en question et à se demander, sérieusement et sans modération : sommes-nous encore une démocratie lorsque la punition de la pensée devient une politique d’État ? Ou encore… étions-nous vraiment une démocratie ou un système féodal suffisamment à jour, comme les actrices qui se font refaire le nez, etc. pour être à un niveau… réactif… mais pas essentiellement évolutif ?

Et peut-être que cette remise en question, à la fois inconfortable et nécessaire, est précisément tenu par elle : une femme non violente, punie non pas pour ce qu’elle a fait, mais pour ce qu’elle a osé dire.

En résumé, le Royaume-Uni est confronté à un problème que nous connaissons également en Espagne : la restriction croissante du droit de manifester et de la liberté d’expression. Au Royaume-Uni, des lois telles que le Public Order Act 2023 ou le Police, Crime, Sentencing and Courts Act 2022 ont augmenté le pouvoir de la police pour intervenir dans les manifestations pacifiques, imposer des ordonnances pour interdire la participation à des manifestations et punir ce qui est défini comme une « violation grave » de l’ordre public (voir libertyhumanrights.org et la douloureuse Wikipedia Public Order Act 2023)

En Espagne, nous ne sommes pas loin derrière. Nous avons la loi organique 4/2015 sur la sécurité des citoyens (connue sous le nom de « loi bâillon »), qui a été adoptée par le Parti populaire, un parti intransigeant, et qui est toujours en vigueur malgré le fait que les forces politiques, actuellement au gouvernement, ont promis de l’abroger ou de la réviser. Un tel délai donne à réfléchir. Espagne : Abolir la « Ley Mordaza », l’outil du Parti Populaire espagnol pour criminaliser la protestation ou la protestation sociale.

Dans les deux cas, on retrouve la même logique : alors que les majorités sociales attendent des améliorations matérielles et démocratiques, les pouvoirs publics misent sur la modération préventive plutôt que sur la résolution structurelle. Ainsi, la protestation, qui devrait être un mécanisme de participation et de changement, devient un risque et est qualifiée de terrorisme et d’autres formes plus douces, afin de contrôler, de réduire au silence et d’emprisonner. Il est évident que lorsque le contrôle et le silence prennent le pas sur l’écoute et la transformation, la démocratie s’appauvrit ou devient comme un autocollant, un tatouage, une aspiration, une envie de monde meilleur.

  • Oxfam International « How the super-rich are perpetuating modern-day colonialism ». Il montre comment, à l’échelle mondiale comme au Royaume-Uni, la richesse des « 1 % » s’accroît alors que les services publics et les plus vulnérables souffrent. Oxfam International
  • Age UK. State of Health & Care of Older People report (2025), indique que l’espérance de vie en bonne santé a diminué pour les personnes âgées de 50 et 65 ans, ce qui témoigne de la détérioration de la situation des personnes âgées en Angleterre. Age UK
  • Institut du gouvernement. « Le système de suivi des performances 2025 : Soins sociaux pour adultes ». Il documente les réductions effectives des dépenses de soins sociaux pour les personnes âgées et les effets d’entraînement sur les services publics associés. Institut du gouvernement
  • The King’s Fund. « The NHS Budget & How it Has Changed ». Il expose les défis de financement pour le NHS England et les signes de tension entre une demande croissante, une population vieillissante et des ressources limitées. The King’s Fund

 

Traduction de l’anglais, Alicia Leto / Emilia Sadaoui / Axelle Rozé / Darina Mayolas