Depuis dix ans, la France fait face à une crise sanitaire silencieuse : manque de médecins, services hospitaliers saturés, déserts médicaux qui s’étendent. Dans cette bataille quotidienne, un acteur essentiel soutient l’édifice : les médecins étrangers. Ils sont désormais plus de 19 000 praticiens diplômés hors Union européenne (PADHUE) à exercer légalement en France, soit 8 % du corps médical, et leur nombre ne cesse de progresser.

Derrière cette réalité statistique se cache une mécanique complexe, parfois brutale : celle d’un pays qui, tout en affirmant défendre son système de santé “à la française”, dépend de plus en plus de médecins venus d’ailleurs pour compenser ses propres choix politiques passés.

Face à une pression croissante sur son système de santé, la France intensifie ses efforts pour attirer les médecins diplômés à l’étranger. Le gouvernement et les agences de santé justifient cette stratégie par des urgences démographiques : le vieillissement des praticiens, les déserts médicaux, et une demande de soins croissante. Mais cette politique soulève aussi des questions, tant sur l’intégration de ces médecins que sur leurs conditions de travail.

Des chiffres qui montrent la montée en puissance des médecins formés à l’étranger

  • Au 1ᵉʳ janvier 2025, la DREES (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) recense 237 200 médecins en activité en France.
  • Parmi eux, 19 154 médecins ont un diplôme hors Union européenne (on les appelle “PADHUE”: Praticiens à Diplôme Hors Union Européenne).
  • Ces PADHUE représentaient 8 % du corps médical en “activité régulière” début 2025.
  • Leur nombre a fortement augmenté : +141 % depuis 2010 (ils étaient 7 963 en 2010 selon le Sénat)
  • Parmi ces médecins diplômés hors UE, beaucoup exercent dans des spécialités très demandées : par exemple, le Conseil national de l’Ordre des médecins indique qu’au 1er janvier 2024, il y avait 3 430 médecins généraux PADHUE, 1 528 psychiatres, 1 413 anesthésistes-réanimateurs.
  • Beaucoup de ces médecins viennent de quelques pays en particulier : selon l’Ordre, 36,8 % des PADHUE ont obtenu leur diplôme en Algérie, 12,4 % en Tunisie, et 9 % en Syrie.

Pourquoi la France a de plus en plus “besoin” de médecins étrangers

Plusieurs facteurs expliquent cette politique d’attraction :

Pénurie dans certaines spécialités et certaines zones

  • Certains hôpitaux sont en tension, voire “à bout”, faute de praticiens, notamment dans des services hospitaliers. Dans plusieurs spécialités (psychiatrie, anesthésie, certaines chirurgies), les médecins étrangers jouent un rôle central.
  • Les médecins PADHUE s’installent plus fréquemment dans les zones sous-dotées : selon des études, ils sont plus présents dans les “déserts médicaux” que leurs homologues français.
  • Cette présence est cruciale pour maintenir l’offre de soins dans des territoires où il est autrement difficile de recruter localement.

Vieillissement du corps médical

  • Le corps médical français vieillit : les générations de médecins partent à la retraite, et le renouvellement ne suffit pas toujours à compenser les départs.
  • En parallèle, la croissance de la demande de santé (personnes âgées, maladies chroniques, besoins hospitaliers) continue d’augmenter, ce qui crée un écart entre l’offre de médecins et les besoins.

Simplification des procédures d’autorisation

  • Récemment, le décret du 28 mai 2025 a fait évoluer la procédure d’autorisation d’exercice des médecins hors UE.
  • L’objectif : “simplifier la procédure” pour le concours des Epreuves de Vérification des Connaissances (EVC) et augmenter le nombre de praticiens pouvant obtenir un droit d’exercice.
  • Le concours EVC (épreuves de vérification des connaissances) est géré par les Agences Régionales de Santé (ARS) : après validation du dossier, les candidats passent des examens pour obtenir l’autorisation d’exercice.
  • En juin 2025, un arrêté a fixé un nombre d’équivalences hospitalières (concours sur titres) pour les praticiens certifiés : cela donne une voie plus stable pour certains médecins formés à l’étranger.

Une stratégie pour les territoires en tension

  • Le gouvernement coordonne avec les ARS l’affectation des nouveaux PADHUE afin de “renforcer l’accès aux soins dans les territoires” les plus fragiles.
  • En clair : les médecins étrangers ne sont pas seulement “utiles”, ils sont stratégiques pour des zones où l’attractivité médicale est faible, et leur recrutement est pensé comme un renfort ciblé.

Les “avantages” ou incitations proposées (ou revendiquées)

La France met en place plusieurs leviers pour rendre l’installation des médecins étrangers plus attractive :

Régularisation et simplification administrative

◦ Le décret de mai 2025 vise à alléger le parcours d’autorisation, notamment pour ceux déjà présents en France.

◦ Il pourrait y avoir une “voie interne simplifiée” aux EVC pour les médecins à diplôme étranger déjà en poste dans des établissements français.

Reconnaissance partielle via des équivalences

◦ Grâce à des concours “sur titres” ou des équivalences hospitalières, certains médecins peuvent éviter de repasser tout le cursus classique et obtenir directement un poste hospitalier reconnu.

◦ Cela donne une stabilité professionnelle (prise en charge, statut hospitalier) qui peut séduire ceux qui sont déjà installés ou veulent s’installer en France durablement.

Affectation dans des zones prioritaires

◦ En lien avec les ARS, les nouveaux médecins diplômés à l’étranger peuvent être orientés vers des “zones en tension” (rurales ou périurbaines) où leur présence est particulièrement utile.

◦ Cette affectation peut s’accompagner de conditions plus favorables : soutien local, missions valorisées, opportunités d’emploi hospitalier stables.

Mobilisation politique et communication

◦ Le ministère de la Santé donne une visibilité croissante à ces questions : l’accueil des PADHUE est présenté comme une “solution stratégique” à la crise démographique médicale.

◦ Cette communication vise aussi à rassurer sur leur rôle : pas seulement des “bouche-trous”, mais des praticiens à part entière, avec formation, autorisation et légitimité.

Les limites, les critiques et les défis

Mais tout n’est pas simple :

  • Plusieurs médecins diplômés hors UE dénoncent leur précarité : malgré les procédures, certains estiment être mal payés, soumis à des quotas, voire obligés de repasser des examens.
  • Il existe des “goulots d’étranglement” : même quand 4 000 postes sont ouverts aux EVC, tous les candidats ne sont pas retenus, ce qui provoque frustration dans certains collectifs.
  • Certains craignent que ces médecins restent concentrés dans des fonctions hospitalières ou des zones spécifiques et que cela ne suffise pas à résoudre les disparités territoriales à long terme.
  • Par ailleurs, il faut garantir que l’intégration professionnelle ne se fasse pas au prix d’un “dumping social” : assurer que les conditions salariales, les statuts, et la reconnaissance soient équitables.

Un pari stratégique

La France mise de plus en plus sur les médecins diplômés à l’étranger comme solution structurelle à ses problématiques de démographie médicale. En simplifiant les procédures, en proposant des équivalences et en orientant les praticiens vers les zones de forte tension, elle tente de concilier besoin urgent de renfort et équité territoriale.

Mais pour que ce pari soit réussi à long terme, il faudra aller au-delà de l’attraction : assurer une intégration durable, des conditions de travail acceptables pour ces médecins, et s’assurer que leur présence contribue à un équilibre réel de l’offre de soins, sans devenir une réponse de court terme uniquement.

Selon moi « Les médecins étrangers ne sont pas l’avenir de la médecine française. Ils sont son présent. Et sans eux, ce présent serait déjà un chaos. »