« Le Nigeria produit à la fois du pétrole et la famine » — Proverbe populaire recueilli à Lagos

Le Nigéria est un géant africain qui devrait compter plus de 220 millions d’habitants en 2025 et l’une des plus grandes économies du continent, affichant un PIB de 472 milliards de dollars américains selon la Banque mondiale. Pourtant, plus de 133 millions de Nigérians vivent dans une pauvreté multidimensionnelle, privés d’un accès stable à l’eau potable, à l’électricité et à une éducation de qualité. Le pays incarne le paradoxe de l’abondance : pétrole, gaz, or, uranium et coltan alimentent les marchés mondiaux tandis que la population est aux prises avec l’inflation, la violence et le chômage des jeunes. La transition énergétique et la géopolitique mondiale font du Nigéria un territoire clé. Sa richesse naturelle ne se traduit pas par le bien-être, mais plutôt par des conflits sociaux et une concentration oligarchique du pouvoir.

Le pétrole, à la fois bénédiction et malédiction

Le Nigéria est le premier producteur de pétrole d’Afrique, avec une production journalière moyenne de 1,4 million de barils en 2024. Les recettes pétrolières représentent 65 % des recettes fiscales et 90 % des exportations. Cependant, cette richesse est concentrée entre les mains des élites politiques et économiques. Le Fonds monétaire international estime que plus de 400 milliards de dollars ont été perdus à cause de la corruption depuis 1960. Le delta du Niger, région riche en pétrole brut, souffre d’une pollution massive : plus de 13 millions de barils s’y sont déversés en six décennies, selon Amnesty International.

Le gaz naturel et le marché européen

Le Nigeria possède des réserves de gaz prouvées de 200 billions de pieds cubes, soit plus de 30 % des réserves africaines. Le projet Nigeria LNG exporte chaque année plus de 16 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié, générant 8 milliards de dollars de recettes. La guerre en Ukraine a stimulé la demande européenne et a positionné le Nigeria comme un fournisseur alternatif à la Russie. Cependant, 70 % des ménages nigérians utilisent encore le bois ou le charbon de bois pour cuisiner, faute d’accès au gaz naturel par canalisation.

Les minéraux stratégiques de l’avenir

Outre le pétrole et le gaz, le Nigéria possède des réserves d’or, d’uranium, de lithium, de coltan et d’étain. Le lithium découvert dans des États comme Nasarawa et Kaduna pourrait faire du pays un acteur majeur de l’industrie des batteries électriques. Le gouvernement estime que l’exploitation du lithium pourrait générer des revenus annuels de 3 milliards de dollars américains d’ici 2030.

L’or, dont les exportations illégales avoisinent 1,5 milliard de dollars américains par an, finance les réseaux criminels et les conflits. Plus de 500 000 mineurs artisanaux travaillent sans aucune sécurité ni protection de l’environnement.

Démographie et inégalités sociales

Le Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique avec 220 millions d’habitants, et ce nombre devrait atteindre 400 millions d’ici 2050, ce qui en ferait le troisième pays le plus peuplé au monde. L’extrême pauvreté y est une réalité : 133 millions de personnes vivent dans une pauvreté multidimensionnelle et 40 % survivent avec moins de 2 dollars américains par jour. Le chômage des jeunes dépasse les 42 %. Malgré son statut de puissance énergétique, plus de 90 millions de Nigérians n’ont pas accès à une électricité fiable. Les inégalités alimentent les manifestations, les migrations massives et les troubles sociaux.

Conflits et violence armée

L’exploitation des ressources naturelles alimente les conflits internes. Dans le delta du Niger, des groupes armés attaquent les oléoducs et enlèvent des travailleurs du secteur pétrolier. Dans le nord-est du pays, Boko Haram et des factions liées à l’État islamique ont tué plus de 35 000 personnes depuis 2009. Le trafic illégal de pétrole représente un détournement quotidien de 200 000 à 400 000 barils, soit l’équivalent de 3 milliards de dollars américains par an. La violence n’est pas un phénomène accidentel, mais bien une composante inhérente à l’économie extractive.

Environnement dévasté

Les marées noires dans le delta du Niger recouvrent plus de 70 000 km² de zones humides contaminées. Le nettoyage de cette zone nécessiterait environ 30 milliards de dollars américains et 30 ans de travaux. Lagos, qui compte plus de 20 millions d’habitants, est sujette aux inondations en raison du changement climatique et d’une urbanisation anarchique. Le Nigéria est le septième pays le plus vulnérable au changement climatique selon l’ONU, bien qu’il contribue à moins de 1 % des émissions mondiales.

La carte géopolitique

La Chine est le principal acheteur de pétrole brut nigérian, représentant plus de 25 % des importations totales en 2024. Les États-Unis maintiennent une présence militaire et font appel à des sociétés de sécurité privées pour protéger les installations énergétiques. L’Europe cherche à s’approvisionner en gaz nigérian comme alternative à la Russie. Cette concurrence transforme le Nigeria en un champ de bataille où la souveraineté nationale est mise à mal par des intérêts extérieurs.

Le Nigeria est le reflet des contradictions du monde.

Ses richesses alimentent l’industrie mondiale tandis que sa population lutte pour survivre dans la pauvreté. Le pétrole qui enrichit les multinationales pollue ses rivières. Le gaz qui atténue la crise européenne n’atteint jamais ses foyers. Le lithium, qui promet des batteries pour voitures électriques, finance les mafias locales. Le Nigeria symbolise le dilemme de l’Afrique : l’abondance transformée en malédiction par des gouvernements corrompus et un système international qui privilégie l’extraction minière à la justice.

Le XXIe siècle peut répéter cette histoire ou la rompre si le peuple affirme sa souveraineté et sa dignité face au pillage.

Pixabay

Tableau des chiffres durs

• Population : 220 millions (2025) 

• PIB : 472 milliards de dollars américains

• PIB par habitant : 2 145 USD

• Pétrole : 1,4 million de barils par jour

• Pertes dues à la corruption depuis 1960 : 400 milliards de dollars américains

• Pauvreté multidimensionnelle : 133 millions de personnes

• Réserves de gaz : 200 billions de pieds cubes

• Chômage des jeunes : 42 %

• Nombre de morts causées par Boko Haram depuis 2009 : 35 000

• Personnes sans accès fiable à l’électricité : 90 millions

 

Références

Achebe, Chinua. There Was a Country: A Personal History of Biafra. Penguin Press, 2012.
Falola, Toyin. The History of Nigeria. Greenwood Press, 2009.
Lewis, Peter. Growing Apart: Oil, Politics, and Economic Change in Indonesia and Nigeria. University of Michigan Press, 2007.
Watts, Michael. Curse of the Black Gold: 50 Years of Oil in the Niger Delta. PowerHouse Books, 2008.
Boko Haram Crisis. ICG Repo N° 273, 2019.

 

Voir tous les articles de la Série L’Afrique en chiffres, blessures et cicatrices