« Le partage est comme la clé qui permettra de résoudre nos multiples problèmes. Le partage sera aussi la solution pour la sécurité du monde. Le partage permettra sécurité, bonheur et paix. » Pascal Brachet, initiateur de la table ronde du samedi 22 novembre 2025.
Coopération et paix vont-ils nécessairement ensemble ? Hier soir, j’étais invitée à participer au débat virtuel sur ce thème à la fois porteur de sens et varié dans son expression. En tant que femme humaniste, j’ai souhaité partager une expérience, une conviction, un futur. Voici le texte de mon intervention.
- La coopération au cœur de l’engagement éducatif
Je travaille depuis longtemps dans le domaine de l’éducation.
Il y a plus de quinze ans, j’ai cofondé Educ’Art – “lorsque l’éducation devient un art”.
Notre idée est simple, mais elle change tout : intégrer les pratiques artistiques dans une dynamique collaborative entre enseignants, artistes et thérapeutes.
Concrètement, nous créons :
- des projets multidisciplinaires en classe,
- des consultations individuelles avec les familles,
- des formations destinées aux enseignants et aux thérapeutes.
Mon domaine de prédilection, c’est l’écriture — à travers la psychopédagogie, la graphothérapie, et la graphologie comme outil de compréhension.
Cette démarche s’inscrit pleinement dans une lignée pédagogique qui m’inspire beaucoup.
Récemment, j’écoutais une présentation de thèse consacrée aux écoles Freinet, de leur création à aujourd’hui. Célestin Freinet, syndicaliste engagé, puis communiste, a construit avec son épouse Élise un véritable projet éducatif rural, social et profondément collectif.
Son école reposait sur des valeurs citoyennes, d’égalité, d’expression libre et… bien sûr, de coopération.
Les grandes réformes de l’éducation nouvelle, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, défendaient déjà une pédagogie du travail fondée sur l’expérience, la créativité, et la collaboration.
Ces valeurs résonnent très fort avec notre démarche à Educ’Art : travail, créativité, expression, coopération. Ces quatre dimensions ne s’ajoutent pas les unes aux autres : elles se soutiennent, elles se nourrissent.
- Pourquoi la coopération est devenue pour moi une nécessité personnelle
Pour comprendre d’où vient cette conviction, je dois revenir à mon histoire.
Je suis née en 1955 à Bruxelles, d’un père tchèque et d’une mère belge.
Mon père, réfugié en Belgique pendant la guerre, a vécu le suicide de son propre père au moment où la Tchécoslovaquie passait dans le système communiste.
A dix-huit ans, ma mère a rencontré ce bel étranger au cours d’un bal de province. Elle est tombée amoureuse, ils se sont mariés très vite, et, comme cela arrivait souvent, les enfants — quatre en quelques années — sont arrivés encore plus vite.
Mon père, animé par une combativité à la hauteur de ses blessures, s’est battu pour réussir, pour assurer une ascension financière rapide — une forme de revanche sur un passé douloureux.
Mais dans cette quête, il n’y avait plus de temps :
ni pour la famille,
ni pour le couple,
ni pour interroger la cohérence entre son mode de vie et des valeurs humaines plus profondes.
Ce qui dominait, c’était un discours brutal, issu de sa propre vision du monde :
« Si tu veux réussir, tu dois écraser l’autre. »
« Dans la vie, il y a des gagnants et des perdants. Pas d’autre option. »
Cette logique de domination structurait tout : à la maison, à l’école. Les bulletins scolaires étaient des champs de bataille. Mon frère ramenait un mauvais résultat, et c’étaient les cris, les pleurs, parfois les coups. Toute la maison vivait dans la terreur de l’échec.
Heureusement, j’étudiais facilement. Mais très tôt, une quête de sens s’est imposée.
J’ai voyagé. J’ai rencontré la culture africaine, puis la culture sud-américaine. Je me suis mariée avec un Argentin. Et j’ai rejoint un mouvement humaniste universel dont la méthodologie est la non-violence active.
Dans cette approche, la transformation personnelle et l’action sociale vont ensemble. Aucune ne peut aller sans l’autre et une certitude : on n’existe pas seul.
- Un monde qui nous pousse à la compétition
Aujourd’hui, nous vivons dans un système néo-libéral où l’argent est devenu la valeur de référence.
Le social, la santé, l’éducation sont de plus en plus transformés en marchés, avec leurs indicateurs de rentabilité, leurs règles de non-concurrence, leurs logiques de performance. La justice sociale glisse progressivement en dehors du champ de responsabilité de l’État.
Tout le monde dit vouloir la paix, et pourtant…
Comme le rappelle Sophie Bessis : “La paix n’est que la période entre deux guerres.”
Nous vivons un moment où les tensions géopolitiques, les investissements militaires, et les intérêts économiques rendent la situation mondiale toujours plus dangereuse.
Pendant que les budgets de l’armement explosent, les populations, elles, subissent chômage, précarité, manque de soins.
Face à cette réalité, trois chemins s’offrent à nous :
- Déprimer et sombrer dans le nihilisme : penser que rien ne vaut la peine, que tout est perdu.
- Soit réagir avec la violence pcq persuadés que c’est la seule solution (racisme, extrème-droite…)
- Ou réveiller son intention humaine, et avancer.
Mais attention : l’intention humaine, la coopération, la non-violence, ce n’est pas inné.
C’est un choix. C’est une direction.
Alors la vraie question est : dans quel monde voulons-nous vivre ?
- La coopération : une intention, une pratique, un horizon
Coopérer, ce n’est pas seulement “faire ensemble”.
C’est tenir compte de l’intention de l’autre.
C’est reconnaître son histoire, sa culture, ses blessures.
C’est chercher un futur commun plutôt qu’un succès individuel.
Et cela nécessite des outils.
Des outils pour développer son intériorité, renforcer sa confiance, nourrir sa foi en l’humain.
Car seul, face à un écran, cela ne fonctionne jamais.
C’est dans la rencontre que commence la transformation.
Concrètement, cela passe par :
- Clarifier ses propres valeurs et les partager.
- Apprendre à écouter sans juger.
- S’appuyer sur ses qualités personnelles et les faire vivre autour de soi.
- Observer son quotidien : combien de temps je passe avec d’autres ? Dans quelle attitude ?
Suis-je préoccupée par la performance ?
Ou par l’être humain en face de moi ?
La coopération, ce sont souvent de petites intentions, presque invisibles.
Mais elles créent une sensation très claire : celle de la cohérence… ou de l’incohérence.
Il nous appartient d’apprendre à écouter ces sensations, et de les laisser orienter notre vie.
- Coopération ou compétition : deux logiques opposées
Pour terminer, j’aimerais souligner quelques contrastes simples, mais essentiels :
- La coopération s’oppose à la compétition.
- Le “ensemble” s’oppose au “tout seul”.
- Le plaisir de travailler avec d’autres s’oppose au stress tyrannique de devoir réussir seul.
- Les outils de coopération font partie de la méthodologie de l’action non-violente, car ils misent sur le potentiel de chaque être humain.
- La compétition appartient à un système violent, fondé sur la domination et la rivalité.
- La coopération voit la diversité comme une richesse.
- La compétition voit la différence comme une menace.
- Une phrase pour ouvrir l’avenir
Terminons ici avec une pensée de Silo, penseur de l’humanisme universel :
« Humaniser la Terre, c’est apprendre sans limites,
c’est aimer la réalité que tu construis,
c’est dépasser la douleur et la souffrance. »
La coopération est l’un des chemins qui nous permet d’humaniser la Terre.
Elle est un choix, une intention, une construction quotidienne.
Et elle commence toujours par une rencontre.
Merci pour votre écoute.
Pour aller plus loin :
Sophie Bessis : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sophie_Bessis
Site du parc d’étude et de réflexions de la Belle Idée (humanisme universel) : https://www.parclabelleidee.fr/
Site Pascal Brachet : https://www.cooperationetpartage.org/









