« On nous a appris à croire que les richesses naturelles sont la voie de la liberté, alors qu’en réalité, elles ont été la porte de la soumission. » — Jorge Enrique Adoum
L’Équateur est un pays en proie à une plaie incurable. Ses peuples autochtones, qui représentent environ 7 % de la population totale, ont toujours été marginalisés des décisions politiques et du développement économique. Aujourd’hui, au XXIe siècle, cette exclusion se conjugue à une répression systématique qui ignore les gouvernements et les discours. Les ressources naturelles, qui devraient garantir la souveraineté et le bien-être, deviennent une source de persécution. Le pétrole, les mines, l’eau et les forêts sont convoités par les entreprises et les élites politiques qui gouvernent au détriment des communautés.
La protestation autochtone n’est pas un caprice ; c’est un appel à la survie. Les chiffres le démontrent clairement. Plus de 60 % des ménages autochtones vivent dans une pauvreté multidimensionnelle, l’accès à l’eau potable est limité en Amazonie et la malnutrition infantile touche des communautés entières. Parallèlement, les gouvernements (de droite et des grandes entreprises) ont réagi par l’état d’urgence, la militarisation et la criminalisation des manifestations.
Dans ce contexte, la présidence de Daniel Noboa consolide un modèle répressif qui reproduit les pratiques de ses prédécesseurs. Le scénario est clair. L’Équateur est tiraillé entre la dignité de ses peuples autochtones et la peur imposée par un État qui protège le capital avant son peuple.
Racines historiques des peuples autochtones
Les peuples Kichwa, Shuar, Achuar, Cofán, Sápara, Secoya et Waorani constituent le cœur ancestral de l’Équateur. Chacun possédant sa propre langue, sa vision du monde et son propre mode d’organisation communautaire, ils ont survécu à cinq siècles de conquête, de répression et de dépossession. La mémoire historique rappelle que, durant la période coloniale, ils étaient contraints au travail forcé dans les haciendas et les mines. Leur résistance n’a jamais été éteinte, des soulèvements kichwa du XVIIIe siècle aux marches indigènes du XXIe siècle.
Aujourd’hui, la population autochtone d’Équateur compte près de 1,1 million de personnes, soit 7 % du total national selon le recensement de 2022. La Confédération des nationalités autochtones d’Équateur (CONAIE), fondée en 1986, regroupe plus de 18 nationalités et 14 peuples. Elle a réalisé des progrès significatifs dans la reconnaissance des terres ancestrales, et près de 5 millions d’hectares ont été attribués à des communautés amazoniennes et andines.
Cependant, ces avancées ont été inversées au cours de la dernière décennie. L’État a accordé des concessions minières et pétrolières sur des territoires ancestraux sans consultation préalable, ce qui est contraire à l’article 57 de la Constitution de 2008.
Alors que les communautés maintiennent des systèmes de gouvernance fondés sur l’assemblée et la réciprocité, le modèle extractiviste concentre les bénéfices entre les mains des élites politiques et des entreprises étrangères. Dans les provinces amazoniennes, par exemple, plus de 70 % du territoire des peuples Shuar et Achuar subit la pression des concessions pétrolières ou minières. Le résultat est double : perte d’autonomie et conflit persistant.
Des chiffres concrets
- Population autochtone : 1,1 million (7 % du total national).
- Terres reconnues : 5 millions d’hectares.
- Concessions extractives dans les territoires autochtones : plus de 70 % dans certaines provinces amazoniennes.
L’État et l’exclusion structurelle
La République équatorienne a été fondée en 1830 par un pacte entre les élites créoles excluant les peuples autochtones de toute participation politique et économique. Dès lors, l’État a fonctionné comme un projet oligarchique utilisant les peuples autochtones comme main-d’œuvre bon marché dans les haciendas de montagne et comme gardiens forcés des frontières amazoniennes. Ils n’ont jamais été associés aux décisions ; ils ont toujours été considérés comme des citoyens de seconde zone.
Cette exclusion structurelle se traduit aujourd’hui par des chiffres qui témoignent d’un pays divisé en deux. La pauvreté multidimensionnelle parmi les peuples autochtones dépasse 60 %, alors que la moyenne nationale est de 27 % selon l’INEC 2023. La malnutrition infantile chronique atteint 38 % dans les communautés autochtones, soit dix points de plus que la moyenne nationale. En matière d’accès aux services de base, l’écart est flagrant : seulement la moitié des ménages autochtones disposent d’eau potable et à peine un tiers d’un réseau d’assainissement formel. En matière de santé, la mortalité maternelle chez les peuples autochtones est deux fois plus élevée que chez les métisses.
Des chiffres concrets
- PIB national par habitant : environ 4 600 $ (Banque mondiale 2023) — PIB autochtone par habitant : < 2 000 $
- Accès à l’eau potable nationale : 80 % — Accès des autochtones : 50 %
- Malnutrition infantile nationale : 28 % — Malnutrition infantile autochtone : 38 %
L’éducation continue de souffrir d’une fracture. Moins de 10 % des jeunes autochtones fréquentent l’université, et beaucoup abandonnent leurs études avant la fin du secondaire faute de ressources. Le PIB par habitant estimé de la population autochtone reste inférieur à 2 000 dollars par an, soit moins de la moitié de la moyenne nationale. L’État républicain qui avait promis l’égalité a consolidé sa position de garant des inégalités.
La protestation comme héritage historique
Les mobilisations autochtones en Équateur ne sont pas un phénomène récent. Elles s’inscrivent dans la continuité de siècles de résistance contre un État qui a nié leur véritable citoyenneté. Des rébellions coloniales des peuples kichwas aux soulèvements de la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur (CONAIE) dans les années 1990, la protestation est devenue le seul moyen efficace de faire entendre leur voix.
En 1990, plus de 200 000 autochtones ont paralysé les routes et occupé les places publiques lors de ce qui est devenu le « premier soulèvement national autochtone », forçant le gouvernement de Rodrigo Borja à ouvrir des négociations et à reconnaître les droits territoriaux. En 2000, une alliance entre l’armée et les mouvements autochtones a renversé le président Jamil Mahuad en pleine crise financière. En 2019, la mobilisation contre le complot de Lenín Moreno a fait descendre plus de 50 000 autochtones et paysans dans la rue, faisant 11 morts, 1 300 blessés et plus de 1 200 arrestations.
Des chiffres concrets
- Soulèvement indigène de 1990 : +200 000 participants — Résultat : première reconnaissance territoriale
- Crise de 2000 : Chute du président Mahuad — Participation autochtone clé
- Manifestations de 2019 : 50 000 personnes mobilisées, 11 morts, 1 300 blessées, 1 200 arrestations
Le coût de la protestation se mesure en sang. Chaque cycle de mobilisation laisse des morts, des blessés et des communautés marquées par la répression policière et militaire. Cependant, il produit aussi des avancées concrètes : la reconnaissance des terres, des sièges à l’Assemblée et le renforcement de l’identité autochtone comme acteur politique national. La protestation n’est pas le chaos ; c’est la mémoire vivante d’un peuple qui a appris qu’en Équateur, rien n’est concédé sans lutte.
Les peuples autochtones sous le feu des critiques
Depuis 2019, plusieurs gouvernements ont maintenu la même logique répressive à l’encontre des peuples autochtones. Lenín Moreno (2017-2021, ancien progressiste converti au néolibéralisme), Guillermo Lasso (2021-2023, banquier libéral de droite) et Daniel Noboa (2023-, homme d’affaires de droite et allié du trumpisme régional) ont tous convenu de criminaliser la contestation autochtone. Durant cette période, plus de 200 procédures judiciaires ont été ouvertes contre des dirigeants de la CONAIE et des communautés amazoniennes, accusés de « paralysie des services publics » ou de « terrorisme ». La stratégie était claire : affaiblir les organisations autochtones par des procès, du harcèlement et une répression sélective.
Les témoignages recueillis par Human Rights Watch font état d’un recours excessif à la force, de détentions arbitraires et de torture psychologique. Les Nations Unies (Rapport 2024) ont dénoncé la « répression systématique des peuples autochtones en Équateur ».
Les chiffres de la répression
- En 2019, sous le gouvernement de Lenín Moreno, la répression des manifestations indigènes a fait 11 morts, plus de 1 300 blessés et environ 1 200 détenus.
- En 2022, sous le gouvernement de Guillermo Lasso, il y a eu huit morts, plus de 500 blessés et plus de 200 arrestations lors de la grève nationale.
- En 2023, avec Daniel Noboa au pouvoir, la répression avait déjà fait deux morts, plus de 300 blessés et près de 300 arrestations lors d’affrontements avec les communautés amazoniennes et paysannes.
Dans les provinces amazoniennes comme Pastaza et Morona Santiago, des dirigeants Shuar et Kichwa ont été contraints à l’exil suite à des menaces directes. Dans le nord de la Sierra, des communautés entières vivent sous surveillance militaire lorsqu’elles s’opposent à des projets pétroliers ou miniers. Les témoignages sont poignants : des agriculteurs battus dans leurs fermes, des femmes menacées devant leurs enfants, des jeunes accusés de terrorisme simplement parce qu’ils ont brandi un drapeau. La violence d’État transforme la protestation en crime et la dignité en danger .
Le double visage de l’État
En 2024, le gouvernement de Daniel Noboa a déclaré quatre états d’urgence, déployant plus de 10 000 soldats dans les rues, les autoroutes et les territoires autochtones. Sous couvert de garantir l’ordre et la sécurité, la répression est devenue une politique d’État. Les hélicoptères survolant les communautés, les postes de contrôle militaires sur les routes ancestrales et les villes assiégées par les forces de sécurité sont autant de scènes qui rappellent les dictatures, même si elles se déroulent sous un régime formellement démocratique.
Parallèlement, plus de 300 blocs miniers et pétroliers ont été concédés sur des territoires ancestraux, affectant directement les peuples Kichwa, Shuar, Cofán et Zápara. Dans des provinces comme Zamora Chinchipe et Morona Santiago, des hélicoptères militaires escortent l’entrée des machines d’extraction et garantissent l’activité des entreprises étrangères. Le discours officiel parle de développement et d’emploi, mais la réalité est celle des expulsions, de la répression et de la destruction de l’environnement.
Des chiffres concrets
- États d’exception entre 2000 et 2024 → 20 décrets
- États d’exception en 2024 sous Noboa → 4 décrets
- Personnel militaire déployé en 2024 → 10 000 soldats
- Concessions extractives accordées → plus de 300 blocs miniers et pétroliers
La contradiction est brutale. À Quito, les ministres parlent de dialogue et de tables rondes techniques, tandis qu’en Amazonie, paysans et dirigeants autochtones sont confrontés à des expulsions violentes et à la militarisation de leurs territoires. Ce que les dirigeants présentent comme la démocratie est vécu comme une guerre silencieuse par les communautés.
Noboa et le pouvoir conservateur
Daniel Noboa a accédé à la présidence en novembre 2023 avec une vision de modernisation et d’efficacité, mais ses pratiques de gouvernance reposent sur une mainmise autoritaire et une concentration du pouvoir. Fils d’une des familles d’affaires les plus riches d’Équateur, son profil est lié aux grands groupes économiques de la côte qui ont historiquement dominé la politique nationale.
Le président se présente comme un jeune technocrate, mais gouverne sous l’égide des intérêts les plus conservateurs.
En 2024, Noboa a renforcé ses liens internationaux avec les secteurs conservateurs des États-Unis, notamment les réseaux politiques proches de Donald Trump, ce qui lui a conféré une légitimité dans les milieux d’affaires de Floride et de Washington. Cet alignement externe se traduit par un modèle économique privilégiant les investissements étrangers dans les secteurs minier et pétrolier, notamment dans les territoires autochtones en résistance.
Ces chiffres reflètent l’orientation de son gouvernement. Les dépenses consacrées à la sécurité ont augmenté de plus de 1,2 milliard de dollars en 2024, soit une hausse de 40 % par rapport à 2023. Ces fonds ont principalement été alloués aux armes, aux véhicules blindés et aux contrats de sécurité privée. En revanche, le budget alloué aux programmes destinés aux peuples autochtones a diminué de 150 millions de dollars (-15 % par rapport à l’année précédente), une baisse qui a affaibli les politiques d’éducation bilingue, de santé interculturelle et de protection du territoire.
Des chiffres concrets
- Dépenses de sécurité 2024 → 1,2 milliard USD (+ 40 % par rapport à 2023)
- Budget des peuples autochtones 2024 → 850 millions USD (–15 % par rapport à 2023)
- Date de début du trimestre → Novembre 2023
L’alliance de Noboa avec les chefs militaires et économiques renforce un modèle qui concentre le pouvoir et la richesse entre quelques mains, tout en creusant les inégalités sociales et territoriales.
Carte extractive et résistance locale
L’Équateur est un petit pays d’à peine 283 560 km², mais il concentre une pression extractive qui dépasse ses capacités environnementales et sociales. Sous le gouvernement de Daniel Noboa, plus de 300 concessions minières et pétrolières ont été accordées en Amazonie et dans la Sierra, souvent sur des terres autochtones reconnues. Les provinces de Zamora Chinchipe, Morona Santiago et Napo sont devenues l’épicentre de conflits entre communautés et multinationales.
L’exploitation minière à grande échelle est déjà une réalité. Le projet Mirador, propriété de l’entreprise chinoise Ecuacorriente SA, extrait plus de 60 000 tonnes de cuivre par an, générant des revenus dépassant les 800 millions de dollars annuels. Cependant, les communautés Shuar signalent une pollution des rivières et des déplacements forcés. Autre exemple : Fruta del Norte, exploitée par l’entreprise canadienne Lundin Gold, a produit plus de 300 000 onces d’or en 2023, pour une valeur d’exportation de 600 millions de dollars, mais a généré des conflits persistants liés à l’utilisation intensive de l’eau et des produits chimiques dans la province de Zamora-Chinchipe.
Des chiffres concrets
- Blocs miniers et pétroliers accordés → +300
- Production de cuivre (Mirador) → 60 000 tonnes/an = 800 millions USD
- Production d’or (Fruit du Nord) → 300 000 onces/an = 600 millions USD
- Production pétrolière 2024 → 480 000 barils par jour = 11 milliards USD
Le pétrole demeure l’épine dorsale des exportations équatoriennes. En 2024, l’Équateur a produit en moyenne 480 000 barils par jour, générant des revenus dépassant les 11 milliards de dollars, dont plus de 65 % provenaient de l’Amazonie, où les peuples Kichwa, Cofán et Sápara résistent à l’invasion de leurs territoires. La contradiction est flagrante : l’État finance la sécurité et la dette extérieure grâce au pétrole, tout en militarisant des zones où les populations défendent l’eau et la forêt tropicale.
Le coût humain et environnemental
Le fardeau de la répression et de l’extractivisme se mesure en vies humaines et en territoires perdus. Depuis 2019, les manifestations autochtones ont fait au moins 45 morts et plus de 2 500 blessés, selon les données du Bureau du Médiateur et de l’ONU. Chaque mobilisation donne lieu à des centaines d’arrestations arbitraires, à des poursuites judiciaires ouvertes et à des dirigeants contraints à l’exil. Il ne s’agit pas seulement de chiffres, mais de communautés entières marquées par la peur.
En Amazonie, l’expansion pétrolière a contaminé des rivières qui alimentent en eau plus de 250 000 personnes. Des études indépendantes estiment que, dans des provinces comme Sucumbíos et Orellana, 60 % des sources d’eau contiennent des traces d’hydrocarbures.
L’exploitation minière laisse également des traces : la déforestation liée aux projets légaux et illégaux dépasse les 30 000 hectares par an, soit l’équivalent de la perte de plus de 40 000 terrains de football chaque année.
Des chiffres concrets
- Décès lors des manifestations depuis 2019 → 45
- Blessés lors des manifestations → 2 500
- Sources d’eau d’hydrocarbures (Amazonie) → 60 %
- Déforestation due à l’exploitation minière → 30 000 hectares/an
- Pauvreté dans les ménages autochtones d’Amazonie → 70 %
- Revenu moyen indigène → 90 USD/mois/personne
Parallèlement, la pauvreté s’aggrave. En 2024, 70 % des ménages autochtones d’Amazonie vivaient sous le seuil de pauvreté, avec des revenus inférieurs à 90 dollars par personne et par mois. Les migrations internes s’intensifient : des milliers de familles autochtones quittent leurs communautés pour s’installer dans les quartiers périphériques de Quito, Guayaquil ou Cuenca, où elles sont confrontées au chômage, à la discrimination et à la violence urbaine.
Projection future entre résistance et extractivisme
Le chemin de l’Équateur est marqué par un tournant. Si la répression et le modèle extractif continuent de s’intensifier, d’ici 2030, plus de 20 % du territoire amazonien pourrait être sous concession minière ou pétrolière, avec des conséquences irréversibles sur la biodiversité et les peuples autochtones. La Banque mondiale estime que l’expansion minière dans le pays pourrait générer des revenus dépassant les 15 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, mais avec des coûts sociaux et environnementaux incalculables.
Les peuples autochtones avertissent que la poursuite de ce modèle entraînera une augmentation des conflits sociaux. Des études menées par la CEPAL et l’ONU indiquent que, si les tendances actuelles se poursuivent, la pauvreté autochtone en Équateur pourrait dépasser 75 % d’ici 2035, contre une moyenne nationale de 30 %, creusant ainsi l’écart historique. Les migrations internes et internationales devraient s’intensifier, avec plus de 200 000 personnes déplacées en raison de la perte de terres, de la pollution ou de la violence étatique.
Des chiffres concrets
- Territoire amazonien concédé d’ici 2030 → 20%
- Revenus miniers/pétroliers potentiels 2025–2035 → 15 milliards USD
- Projection de la pauvreté autochtone en 2035 → 75 %
- Population déplacée par l’extractivisme 2035 → 200 000 personnes
- Potentiel renouvelable de l’Équateur 2040 → 25 GW (200 % de la demande d’électricité)
- Des emplois verts possibles d’ici 2040 → 300 000
L’autre voie possible est la pleine reconnaissance des droits collectifs et une transition énergétique juste. L’Équateur dispose d’un potentiel d’énergie renouvelable estimé à plus de 25 GW de capacité solaire, éolienne et hydroélectrique, ce qui pourrait couvrir 200 % de sa demande d’électricité d’ici 2040. Une politique alliant cette richesse au respect de l’autodétermination autochtone pourrait générer jusqu’à 300 000 emplois verts et transformer le tissu productif.
L’histoire de l’Équateur est aussi l’histoire de sa dignité collective.
Chaque tentative de museler les peuples autochtones a fini par alimenter une nouvelle résistance. Chaque état d’urgence, chaque concession minière, chaque décret imposé sans consultation est une blessure qui devient un souvenir et qui, tôt ou tard, resurgit sous forme de manifestations de masse. Le gouvernement de Daniel Noboa se trompe s’il croit pouvoir soumettre les peuples autochtones par la répression militaire ou par une rhétorique importée de Washington. La répression peut éteindre des incendies passagers, mais elle ne peut étouffer les racines de la dignité.
L’avenir ne s’écrit pas dans les bureaux de Quito, ni dans ceux de Houston ou de Bruxelles. Il s’écrit dans les communautés de Pastaza, dans les territoires Shuar et Kichwa, dans les assemblées de femmes amazoniennes défendant l’eau. Le pouvoir peut accorder des concessions à plus de 300 blocs miniers et pétroliers, déployer 10 000 soldats sur des territoires ancestraux, mais il ne pourra jamais effacer des siècles de résistance. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le destin d’un pays, mais la possibilité que le XXIe siècle soit marqué par l’assujettissement ou l’émancipation de ses peuples autochtones.
« Les Indiens ont attendu cinq siècles. Ils peuvent attendre encore cinq siècles. Ce qu’ils ne peuvent pas faire, c’est oublier », écrivait Jorge Icaza. Cette phrase résonne avec la même force aujourd’hui dans chaque manifestation, chaque barricade, chaque marche, de Quito à l’Amazonie. L’Équateur est à la croisée des chemins. L’un mène à davantage d’extractivisme, de répression et d’inégalités. L’autre à un pacte de justice et de respect.
La décision est encore ouverte, mais la dignité est déjà en route….
Références
- Nations Unies, Rapport sur les droits de l’homme en Équateur, 2024.
- Human Rights Watch, Criminalisation des manifestations autochtones en Amérique latine, 2023.
- Bureau du Médiateur de l’Équateur, Rapport d’octobre 2019 et juin 2022, Quito.
- INEC, Recensement national de la population et de l’habitat, 2022.
- Banque mondiale, Peuples autochtones et développement en Amérique latine, 2021.
- CEPAL, Peuples autochtones et inégalités structurelles en Amérique latine, Santiago, Chili, 2023.
Tableau récapitulatif
- Peuples autochtones en Équateur | 1,1 million (7 % de la population)
- Ménages autochtones en situation de pauvreté multidimensionnelle | 60 %
- Terres ancestrales reconnues | 12 % de ce qui a été revendiqué
- Poursuites judiciaires contre des dirigeants | +200 (2019–2024)
- Décès lors des manifestations de 2019 | 11
- Blessés lors des manifestations de 2019 | Plus de 1 300
- Blocs miniers et pétroliers sous concession | +300
- Personnel militaire déployé en 2024 (Noboa) | 10 000 soldats
- Augmentation des dépenses de sécurité en 2024 | +40 % (≈ 1,2 milliard USD)
- Réductions des programmes autochtones 2024 | –15 % (≈ 150 millions USD)










