« La faim n’est pas un manque de nourriture, c’est un excès de pouvoir entre les mains de quelques personnes. »
« Qui contrôle le blé contrôle la paix. Qui contrôle la faim contrôle le monde. »
L’alimentation est la ressource stratégique la plus ancienne de l’humanité et la plus cruciale pour son avenir. Aucune société ne survit sans pain, riz, maïs ou eau. Pourtant, au XXIe siècle, alors que la science et la technologie permettent de produire suffisamment de nourriture pour la population mondiale entière, des millions de personnes continuent de mourir de faim ou de survivre dans l’insécurité alimentaire. Le paradoxe est brutal : jamais on n’a produit autant, jamais on n’a gaspillé autant, et jamais autant de personnes n’ont souffert de la faim.
La faim n’est pas le résultat d’une pénurie, mais d’une concentration et d’un contrôle. La planète produit plus de céréales qu’elle n’en a besoin, mais leur distribution est détournée par les entreprises et les gouvernements qui font de la nourriture une arme politique et économique. Sur les marchés mondiaux, les céréales ne sont pas seulement de la nourriture : elles représentent un pouvoir. Entre de bonnes mains, elles nourrissent ; entre de mauvaises, elles affament.
Les grandes puissances le savent. Le blé, le maïs, le soja et le riz deviennent des outils de pression dans les guerres, les sanctions et les négociations commerciales. Un blocus portuaire, une sécheresse spéculée en bourse, un contrat d’exportation suspendu : des millions de personnes sont à la merci de forces qui les échappent.
L’histoire récente le confirme.
- En Ukraine, la guerre a transformé le blé en otage mondial.
- En Afrique, la dépendance aux importations est un frein qui se resserre à chaque hausse des prix internationaux.
- Et à Gaza, les blocus sur la nourriture et l’eau sont devenus une arme qui punit collectivement une population civile coincée entre les murs et les bombardements.
- Là-bas, la faim n’est pas une conséquence de la guerre, elle fait partie de sa conception.
La nourriture n’est plus seulement de la nourriture. C’est une monnaie, un chantage, une arme. Le blé vaut plus que des balles, car il peut tuer silencieusement.
- La carte mondiale de la production agricole
La planète produit suffisamment de céréales pour nourrir tous ses habitants, et il existe encore des excédents. Selon la FAO, la production mondiale de céréales a atteint 2,819 milliards de tonnes en 2023, un chiffre record qui inclut le blé, le maïs, le riz et l’orge. Derrière ces tonnes se cache la concentration du pouvoir de quelques pays qui contrôlent l’approvisionnement alimentaire mondial.
Les États-Unis, le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie sont les géants du secteur agricole. À eux cinq, ils représentent plus de la moitié de la production céréalière mondiale.
- Les États-Unis sont en tête pour le maïs et le soja,
- Le Brésil suit de près et s’est imposé comme le plus grand exportateur agricole de la planète.
- La Chine et l’Inde produisent à grande échelle, mais consomment presque tout sur leur territoire pour nourrir leur population.
- La Russie est devenue un acteur clé dans le secteur du blé, en concurrence pour les approvisionnements en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient.
L’Amérique latine apparaît comme le grenier du monde.
- Le Brésil et l’Argentine dominent le soja et le maïs,
- Le Paraguay et l’Uruguay suivent cette ligne
- Le Mexique dépend des importations de maïs américain, bien qu’il soit le berceau de cette céréale.
- Le Chili et le Pérou exportent des fruits et des légumes, alors que de larges pans de leur population sont confrontés à l’insécurité alimentaire.
- L’Afrique, en revanche, est un bénéficiaire net. Plus de 50 % de sa consommation céréalière provient des importations.
- Des pays comme l’Égypte et le Nigeria dépendent fortement du blé russe et ukrainien, ce qui les expose aux blocus et aux sanctions.
Le paradoxe est inadmissible. La superficie agricole mondiale dépasse 4,8 milliards d’hectares, soit plus d’un tiers des terres de la planète, et pourtant, la FAO estime que 735 millions de personnes souffrent de faim chronique. Le problème n’est pas la production, mais le contrôle. Et celui qui contrôle les céréales contrôle le sort de millions de personnes.
- Le pouvoir des entreprises
La faim ne s’explique pas seulement par les gouvernements ; elle s’explique avant tout par les entreprises qui gèrent l’alimentation comme un marché mondial. Au cœur de ce réseau se trouvent les « ABCD » : Archer Daniels Midland (ADM), Bunge, Cargill et Louis Dreyfus. Ces quatre multinationales contrôlent plus de 70 % du commerce mondial des céréales, une domination qui leur permet d’influencer les prix, les itinéraires et la disponibilité. Elles ne plantent pas pour nourrir, mais pour spéculer.
- Cargill, le géant américain, a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 177 milliards de dollars en 2023, soit plus que le PIB de pays entiers.
- ADM, également américaine, a réalisé un chiffre d’affaires de près de 101 milliards de dollars la même année. Bunge, fondée aux Pays-Bas mais dont le siège social est désormais aux États-Unis, a fusionné avec Viterra en 2023, consolidant ainsi sa position de premier exportateur agricole mondial.
- Louis Dreyfus, basé à Genève, en Suisse, complète la gamme avec une activité qui va bien au-delà du grain.
Car les ABCD ne se limitent plus aux entreprises céréalières. Leur pouvoir s’étend aux semences génétiquement modifiées, aux engrais, au transport maritime, aux assurances et même au financement. Ils possèdent des silos, des navires, des ports et des banques. Ils peuvent influencer les prix mondiaux par une décision d’exportation ou un pari sur le marché à terme de Chicago.
Le contraste est saisissant. Alors que des millions d’agriculteurs ne parviennent pas à vendre leurs récoltes à un prix équitable, les pays en développement et en transition (ABCD) consolident des profits records, même en période de crise. En 2022, lors de la flambée des prix du blé et du maïs due à la guerre en Ukraine, ces quatre pays ont vu leurs profits se multiplier. La faim en Afrique et au Moyen-Orient a pesé sur leurs bilans écologiques.
Il en résulte un monopole silencieux. Quatre entreprises décident de ce que les gens mangent, où et à quel prix. Le contrôle de l’alimentation est entre les mains de quelques-uns, et ce contrôle est plus meurtrier que n’importe quelle arme.
- Les États-Unis et le grenier armé du monde
Les États-Unis ne sont pas seulement la première puissance militaire mondiale, ils sont aussi la première puissance agricole mondiale. Avec plus de 400 millions de tonnes de céréales produites en 2023, ils sont leaders mondiaux pour le maïs et le soja et comptent parmi les plus grands exportateurs de blé. Leurs champs sont aussi stratégiques que leurs porte-avions. Chaque tonne de céréales qui quitte l’Iowa ou le Kansas renforce leur influence sur les marchés internationaux, où des millions de personnes dépendent de ce flux pour leur survie.
La puissance agricole américaine n’est pas neutre. Elle est soutenue par un système de subventions massives, s’élevant à plus de 30 milliards de dollars par an, qui permet d’inonder les marchés de produits moins chers que les produits locaux. Des pays entiers d’Amérique latine et d’Afrique ont vu leur agriculture de subsistance ruinée par l’afflux de maïs et de blé subventionnés en provenance du Nord. La prétendue aide alimentaire fonctionne souvent comme un dumping déguisé, les céréales américaines étant livrées à bas prix, ce qui détruit la production locale.
De plus, les États-Unis contrôlent la diplomatie de la faim. Grâce au Programme alimentaire mondial et aux accords commerciaux, ils utilisent leurs excédents pour ouvrir des marchés et gagner des alliés. Le maïs et le soja voyagent avec leurs conditions politiques. Quiconque reçoit des céréales subit également des pressions.
Le paradoxe est évident. Les États-Unis produisent des céréales pour nourrir la planète, mais les utilisent comme un outil de pouvoir. Leurs champs ne produisent pas seulement de la nourriture, ils engendrent une dépendance. Et cette dépendance devient une arme aussi puissante que n’importe quel arsenal militaire.
- La faim comme arme de pouvoir
La faim n’est pas un accident ; c’est un outil. Les gouvernements et les entreprises savent que contrôler l’accès à la nourriture équivaut à contrôler des populations entières. Tout au long de l’histoire, des sièges médiévaux aux blocus modernes, la nourriture a été utilisée comme l’arme la plus silencieuse. Aujourd’hui, dans un monde interconnecté, le mécanisme est plus sophistiqué, mais tout aussi mortel.
- La guerre en Ukraine l’a démontré de manière flagrante.
- Le blocage des ports de la mer Noire a fait grimper le prix du blé de plus de 40 % en 2022, affectant particulièrement les pays d’Afrique et du Moyen-Orient qui dépendent des céréales ukrainiennes et russes.
- L’Égypte, premier importateur mondial de blé, a vu la sécurité alimentaire de plus de 100 millions de personnes menacée par une guerre qui n’était pas la sienne.
- La même chose s’est produite dans la Corne de l’Afrique, où la sécheresse et la hausse des prix des denrées alimentaires ont laissé plus de 40 millions de personnes confrontées à une grave insécurité alimentaire, selon le Programme alimentaire mondial.
- Gaza est aujourd’hui la preuve la plus brutale de cette logique . Les blocus systématiques de nourriture et d’eau sont devenus une méthode de guerre qui punit toute une population civile. Des familles entières survivent avec des rations minimales, les enfants souffrent de malnutrition et les hôpitaux manquent de fournitures de base tandis que les livraisons d’aide sont bloquées ou bombardées. Il ne s’agit pas d’une crise humanitaire spontanée ; il s’agit d’une faim délibérée, conçue comme une arme de contrôle et de punition collective.
La faim est également alimentée par les sanctions économiques. Les blocus sur les exportations d’engrais en provenance de Russie et de Biélorussie ont rendu la production agricole plus coûteuse dans les pays pauvres, les obligeant à réduire leurs plantations. En Amérique latine, les accords de libre-échange imposent des conditions qui subordonnent l’agriculture locale à l’importation de céréales subventionnées, affaiblissant ainsi la souveraineté alimentaire.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La FAO estime que plus de 735 millions de personnes dans le monde souffraient de faim chronique en 2023, malgré une production céréalière mondiale atteignant un niveau historique. La faim n’est pas un manque de pain ; c’est un excès de pouvoir. Qui contrôle les céréales contrôle la vie et la mort.
- La géopolitique des céréales
Les terres arables sont devenues le nouvel enjeu stratégique. La Chine, avec 1,4 milliard d’habitants et à peine 7 % des terres arables mondiales, cherche à garantir sa sécurité alimentaire au-delà de ses frontières. Les entreprises chinoises ont acheté ou loué plus de 6 millions d’hectares de terres agricoles en Afrique et en Amérique latine, notamment en Zambie, au Mozambique, au Brésil et en Argentine. Il ne s’agit pas d’investissements innocents : il s’agit de contrats à long terme qui garantissent l’approvisionnement direct de soja, de maïs et de riz à Pékin, protégeant ainsi ses réserves contre toute crise.
La Chine n’est pas la seule à s’engager dans cette voie. Des fonds d’investissement comme BlackRock et Vanguard sont devenus propriétaires silencieux de millions d’hectares. Le phénomène d’accaparement des terres est mondial : plus de 30 millions d’hectares de terres agricoles ont changé de mains au cours des deux dernières décennies, déplaçant souvent les communautés locales. Ce qui était autrefois des terres paysannes est désormais un portefeuille financier.
L’autre facette de cette géopolitique concerne les engrais. Sans eux, pas de production intensive.
- La Russie est l’un des plus grands fournisseurs d’azote et de potassium
- alors que le Maroc contrôle plus de 70 pour cent des réserves mondiales de phosphate.
- La guerre en Ukraine et les sanctions ont fait grimper les prix : l’indice mondial des engrais a augmenté de plus de 150 % en 2022, augmentant les coûts agricoles et frappant durement les pays les plus pauvres.
Le volume du commerce agricole mondial dépasse désormais les 2 000 milliards de dollars par an, mais il n’est pas réparti équitablement. Les céréales et les terres sont concentrées entre les mains des puissances et des fonds, tandis que des centaines de millions de personnes dépendent d’importations qui peuvent être interrompues en cas de crise. La nourriture n’est pas seulement produite, elle est géopolitisée. Et quiconque contrôle les semences, les terres et les engrais contrôle le monde.
- Amérique latine : grenier et laboratoire
L’Amérique latine produit de la nourriture pour le monde, mais ne parvient pas à nourrir tous ses habitants.
- Le Brésil et l’Argentine sont le cœur de l’agro-industrie mondiale.
- En 2023, le Brésil a exporté plus de 154 millions de tonnes de soja et 50 millions de tonnes de maïs, consolidant sa position de premier fournisseur agricole mondial.
- Malgré la crise économique, l’Argentine maintient son rôle clé dans la production de soja, de maïs et de blé, avec plus de 40 milliards de dollars d’exportations agro-industrielles.
- Les deux pays sont les greniers à blé de la planète, mais des millions de leurs citoyens sont confrontés à l’insécurité alimentaire.
Le Mexique connaît un paradoxe particulier. Berceau du maïs, il dépend pourtant des importations en provenance des États-Unis. L’ALENA, puis l’AEUMC, ont consolidé une dépendance structurelle. De plus, plus de 40 % du maïs consommé par le Mexique est importé, la plupart subventionné par Washington.
Le résultat a été la faillite de milliers de petits agriculteurs mexicains et une subordination croissante à la nourriture.
Le Chili et le Pérou sont présentés comme des modèles d’exportation agricole de fruits et légumes.
- Leurs raisins, myrtilles, avocats et asperges arrivent dans les supermarchés d’Europe et d’Asie.
- Cependant, le boom des exportations coexiste avec de dures réalités, car au Chili, plus de 2,2 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire modérée ou sévère selon la FAO,
- Et au Pérou, ce chiffre dépasse les 15 millions.
- L’eau et les terres sont détournées vers les cultures d’exportation tandis que les populations locales pauvres sont confrontées à la hausse des prix du pain, du riz et du lait.
L’Amérique latine est à la fois un laboratoire et un grenier : elle exporte l’abondance et importe la faim. Ses champs alimentent des marchés lointains, mais sa population continue de dépendre de politiques erratiques, de subventions insuffisantes et du pouvoir des entreprises qui décident ce qui est semé et pour qui.
- Afrique : dépendance et vulnérabilité
L’Afrique est le continent le plus vulnérable sur la carte alimentaire mondiale. Sa production est insuffisante pour nourrir sa population et elle est structurellement dépendante des importations. Plus de 50 % des céréales qu’elle consomme proviennent de l’étranger, ce qui rend ses pays otages des prix internationaux et des voies commerciales qu’ils ne contrôlent pas.
- L’exemple le plus clair est celui de l’Égypte, le plus grand importateur de blé de la planète.
- Chaque année, elle achète entre 10 et 12 millions de tonnes, principalement en Russie et en Ukraine.
- La guerre de la mer Noire a fait grimper en flèche le prix du pain et a forcé le gouvernement à dépenser des milliards en subventions pour empêcher un soulèvement social.
- Le Nigéria, bien qu’étant la plus grande économie du continent, importe également plus de la moitié du blé qu’il consomme.
- Le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, dépend des importations de riz et de blé, dont les prix sont gonflés par les intermédiaires et les tarifs douaniers.
La vulnérabilité se mesure en nombres humains. Selon la FAO et le PAM, plus de 280 millions d’Africains vivent dans une grave insécurité alimentaire, soit près d’un quart de la population du continent. Dans des pays comme le Soudan du Sud, la Somalie et la République centrafricaine, la faim se conjugue aux conflits armés, générant des crises chroniques.
Les subventions de l’État suffisent à peine à contenir la tempête.
- L’Égypte dépense plus de 5 milliards de dollars chaque année pour subventionner le pain.
- Le Nigeria dépense des milliards en importations de blé alors que son agriculture locale dépérit.
- Le résultat est un continent piégé
- Sans souveraineté alimentaire, dépendants des céréales étrangères, des millions de personnes sont exposées à un blocus ou à une sécheresse qui pourrait déclencher la famine en quelques semaines.
- D’ici 2050 : 9,7 milliards de bouches
La planète se dirige vers un scénario difficile : 9,7 milliards d’habitants d’ici 2050, selon l’ONU. Cela représente près de 2 milliards de personnes de plus qu’aujourd’hui, principalement en Afrique et en Asie. La demande alimentaire augmentera d’environ 50 %, ce qui nécessitera de doubler l’efficacité agricole ou d’étendre les terres arables au détriment des forêts et des jungles. Le défi n’est pas seulement de produire davantage, mais de le faire sur une planète ravagée par le changement climatique.
Les conséquences se font déjà sentir : sécheresses prolongées au Sahel, inondations dévastatrices au Pakistan, vagues de chaleur en Europe et en Amérique du Nord qui ravagent les récoltes. Le GIEC prévient que chaque degré d’augmentation de la température mondiale réduit jusqu’à 10 % le rendement des cultures de base comme le blé, le maïs et le riz. La perte de sols fertiles due à la désertification s’accentue : plus de 24 milliards de tonnes de terres arables sont perdues chaque année.
La superficie des terres agricoles par habitant diminue constamment. En 1960, on comptait 0,5 hectare disponible par personne ; aujourd’hui, elle est inférieure à 0,2 hectare, et d’ici 2050, elle tombera à 0,15. La pression foncière sera insupportable. À cela s’ajoute la lutte pour l’eau : 70 % de la consommation humaine est consacrée à l’agriculture, et la pénurie d’eau pourrait déplacer des centaines de millions de personnes dans les décennies à venir.
L’avenir n’est pas une question de pénurie technologique, mais de souveraineté et de justice. La production sera possible, mais qui décidera ce qui sera planté, pour qui et à quel prix ? Avec près de dix milliards de bouches, la faim peut être la grande arme de contrôle ou l’occasion d’un nouveau pacte mondial.
9. Chiffres précis sur la faim dans le monde et production projetée jusqu’en 2050
En 2050, le monde est confronté à une crise alimentaire : il faudra nourrir près de 9,8 milliards de personnes tandis que les terres fertiles se réduisent et que l’eau est privatisée. Les chiffres ne sont pas des métaphores, ils sont un pouls. Selon la FAO, en 2024, 735 millions de personnes souffraient déjà de faim chronique. La Banque mondiale estime qu’entre 2025 et 2050, la demande alimentaire augmentera de 50 %, mais que la production ne pourra augmenter que de 25 %, sauf révolutions technologiques. L’Asie est en tête de la production, mais l’Afrique espère devenir le grenier du monde, malgré les déficits d’infrastructures et le changement climatique.
Les projections continentales suggèrent que d’ici 2050 :
- L’Afrique ne couvrira que 60% de sa demande intérieure, important le reste.
- L’Asie conservera des excédents nets en riz, blé et légumes.
- L’Amérique latine conservera son leadership dans le domaine du soja, de la viande et du sucre, mais devra faire face à une pression sur ses forêts tropicales.
- L’Océanie et l’Océanie-Pacifique seront des exportateurs marginaux par rapport à l’Asie-Pacifique.
- L’Europe va réduire sa production nette de céréales de base et souffrir des coûts de l’énergie et des politiques climatiques.
Tableau : Chiffres concrets sur la production et la demande alimentaires mondiales d’ici 2050 (FAO, Banque mondiale, OCDE 2024-2025)
- AFRIQUE Demande alimentaire projetée ≈ 1,2 milliard de t Production ≈ 720 millions de t Déficit ≈ 480 millions de t Offre ≈ 60 %
- Nigéria → Demande 150 Mt Production 85 Mt Déficit 65 Mt Offre 57 %
- Éthiopie → Demande 90 Mt Production 55 Mt Déficit 35 Mt Offre 61 %
- ASIE Demande ≈ 3 500 Mt Production ≈ 3 950 Mt Excédent ≈ 450 Mt Offre 113 %
- Inde → Demande 700 Mt Production 780 Mt Excédent 80 Mt Offre 112 %
- Chine → Demande 1 100 Mt Production 1 250 Mt Excédent 150 Mt Offre 114 %
- AMÉRIQUE LATINE Demande ≈ 1 000 Mt Production ≈ 1 100 Mt Excédent ≈ 100 Mt Offre 110 %
- Brésil → Demande 250 Mt Production 300 Mt Excédent 50 Mt Offre 120 %
- Argentine → Demande 80 Mt Production 100 Mt Excédent 20 Mt Offre 125 %
- EUROPE Demande ≈ 600 Mt Production ≈ 550 Mt Déficit ≈ 50 Mt Offre 92 %
- Russie → Demande 120 Mt Production 140 Mt Excédent 20 Mt Offre 117 %
- OCÉANIE + PACIFIQUE Demande ≈ 150 Mt Production ≈ 160 Mt Excédent ≈ 10 Mt Offre 107 %
- Australie → Demande 40 Mt Production 45 Mt Excédent 5 Mt Offre 112 %
- PLANÈTE TOTALE . Demande ≈ 6,45 milliards de tonnes Production ≈ 6,58 milliards de tonnes Excédent ≈ 130 millions de tonnes Couverture mondiale ≈ 102 %
- Le tableau de la faim et du pouvoir
Les chiffres de la planète ne mentent pas, mais ils les trahissent. L’humanité approche de 2050 avec une demande alimentaire dépassant les 12 000 milliards de dollars par an, sur un marché mondial qui en représente déjà 6 800 milliards (2024). Ce n’est pas seulement la faim, c’est une question de business. La crise alimentaire n’est pas née de la sécheresse, mais du profit : les céréales sont vendues à Chicago, et non dans les champs du Sahel.
- L’Afrique sera l’épicentre du déficit mondial. Sa production agricole totale (évaluée à 1 000 milliards de dollars d’ici 2050) ne couvrira que 60 % de sa demande intérieure, estimée à 1 700 milliards de dollars. Chaque année, elle importera plus de 300 milliards de dollars de denrées alimentaires, tandis que sa population dépassera les 2 milliards d’habitants. Le Sahel perdra jusqu’à 20 % de ses terres arables à cause de la désertification, et des pays comme le Nigéria dépenseront 45 milliards de dollars par an en importations de produits de base. Le continent qui a nourri les empires coloniaux dépendra de ces mêmes empires pour son alimentation.
- L’Asie, en revanche, dominera l’offre mondiale. Sa production agricole dépassera 4 500 milliards de dollars, la Chine et l’Inde générant 60 % de ce total. Le commerce alimentaire anti-asiatique atteindra 1 000 milliards de dollars, et les excédents de riz, de blé et de légumes consolideront la place de grenier numérique de la planète.
Les investissements dans l’agriculture de précision et les biotechnologies dépasseront 250 milliards de dollars par an. D’ici 2050, Pékin et New Delhi auront plus de poids sur le prix du pain que n’importe quelle capitale occidentale.
- L’Amérique latine conservera son rôle d’exportateur stratégique. La valeur agricole combinée de son secteur passera de 800 milliards de dollars (2024) à plus de 1 500 milliards de dollars en 2050, tirée par le soja, la viande, le sucre et les biocarburants. Le Brésil représentera 450 milliards de dollars, l’Argentine 180 milliards de dollars et le Mexique 200 milliards de dollars. Cependant, 70 % du commerce régional restera contrôlé par les quatre géants de l’agroalimentaire (Cargill, ADM, Bunge et Louis Dreyfus), dont le volume combiné dépassera 600 milliards de dollars par an. L’Amérique latine produit de la nourriture pour 1,2 milliard de personnes, mais un Latino-Américain sur quatre ne mange pas trois fois par jour.
- L’Europe sera confrontée à un équilibre précaire : sa production chutera de 8 %, pour atteindre 900 milliards de dollars, tandis que sa demande atteindra environ 950 milliards de dollars. Elle importera du blé de la mer Noire, des fruits du Maroc et de la viande d’Amérique du Sud. Les réglementations environnementales augmenteront le coût des denrées alimentaires de 15 %. Le Vieux Continent maintiendra des subventions agricoles de 60 milliards de dollars par an, un luxe inaccessible pour l’Afrique ou l’Amérique latine.
- L’Océanie et le Pacifique consolideront un rôle d’exportation marginal mais rentable. Leur production agricole, tirée par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, atteindra 250 milliards de dollars, avec des excédents de céréales et de protéines animales de 30 milliards de dollars. La région nourrira l’Asie, et non sa propre population.
Les perspectives mondiales paraissent optimistes : une production totale projetée à 8 000 milliards de dollars, une demande proche de 7 900 milliards de dollars et un excédent technique de 2 %. Mais ce chiffre est un mirage statistique. Les 10 % les plus riches de la population mondiale contrôleront 80 % du commerce agricole. D’ici 2050, la valeur marchande du blé, du maïs et du soja dépassera 1 200 milliards de dollars, tandis que plus de 700 millions de personnes souffriront encore de faim chronique.
La faim ne résulte pas de la pénurie, mais des inégalités. Les guerres futures ne porteront pas sur le pétrole, mais sur l’eau, le blé et les terres fertiles.
- L’Afrique et l’Amérique du Sud seront les régions convoitées,
- L’Asie, centre de la technologie,
- L’Europe, le consommateur régulateur
- Les États-Unis, intermédiaire financier.
La nourriture sera le pouvoir, et celui qui la contrôlera décidera quels pays seront nourris et lesquels seront mis à genoux.
- Tableau supplémentaire – Pouvoirs alimentaires de la planète 2024-2035
Pays Production annuelle (millions de tonnes) Valeur des exportations agricoles (milliards USD) Participation au commerce alimentaire mondial (%) Principaux produits exportés
Chine 1 050 Mt 980 milliards USD 15 % riz blé légumes fruits porc
Inde 780 Mt 540 milliards USD 9 % riz blé sucre produits laitiers légumineuses
États-Unis 720 Mt 1,1 billion USD 16 % maïs soja blé viande produits laitiers
Brésil 610 Mt 520 milliards USD 8 % soja viande sucre maïs café
Indonésie 480 Mt 290 milliards USD 5 % huile de palme riz poisson cacao
Russie 450 Mt 260 milliards USD 4 % blé orge huile viande engrais
Mexique 380 Mt 190 milliards USD 3 % fruits légumes bière viande avocat
Argentine 360 Mt 210 milliards USD 3 % soja maïs viande vin blé
France 340 Mt 230 milliards USD 3% blé vin produits laitiers céréales sucre
Australie 280 Mt 180 milliards USD 2 % blé viande produits laitiers vin laine
Total des 10 plus grands producteurs 5 450 Mt 4 500 milliards USD ≈ 68 % du commerce alimentaire mondial
- Le pain du monde
Le pain mondial n’est plus pétri au four, son prix est affiché sur des écrans. Le blé a un propriétaire, la faim n’en a pas. D’ici 2025, les aliments seront davantage échangés que le pétrole, et les céréales représenteront 30 % du commerce mondial des matières premières. Chaque tonne de blé vaut plus que la vie d’un paysan, et chaque sécheresse est une opportunité pour un fonds d’investissement.
La planète produit suffisamment de nourriture pour dix milliards de personnes, mais près d’un milliard souffrent de la faim. Non pas par manque de terres, mais à cause de profits excessifs. La moitié des pertes dues aux guerres et au gaspillage suffirait à éradiquer la faim d’ici 2050. Les chiffres le confirment, et les consciences le nient.
Le XXIe siècle est confronté à son dilemme le plus fondamental. Soit l’alimentation devient un droit mondial, soit elle devient la nouvelle forme de contrôle politique. Les entreprises qui dominent actuellement le marché des céréales et des semences valent plus que des pays entiers. Leur pouvoir ne réside pas dans les tracteurs, mais dans les données. D’ici 2050, celui qui contrôlera les satellites agricoles et les algorithmes météorologiques décidera qui mangera et qui migrera.
Le pain mondial ne peut plus rester un commerce. Il doit redevenir un pacte. Si le siècle de l’eau sera la guerre et celui de l’énergie au lithium, celui de l’alimentation sera la justice ou la barbarie. Car le blé n’a pas de drapeau, mais la faim a un visage.
- La nourriture comme arme
L’alimentation est devenue l’arme la plus silencieuse et la plus efficace du pouvoir mondial. Il n’est pas nécessaire d’utiliser un missile pour semer le chaos ; il suffit de fermer un port, de bloquer une cargaison de blé ou d’augmenter le prix du maïs. La faim, administrée depuis les bureaux des entreprises et les administrations publiques, asservit des populations entières sans qu’un seul coup de feu ne soit entendu. Ce qui devrait être un droit fondamental est devenu un champ de bataille invisible où les plus pauvres sont toujours perdants. Gaza en est la preuve éclatante : le blocus de la nourriture et de l’eau est devenu une méthode de guerre qui punit une population civile prise au piège, où la faim n’est pas une conséquence, mais une stratégie délibérée.
Mais l’avenir n’est pas condamné. La souveraineté alimentaire est possible si les peuples décident de reprendre le contrôle de leurs terres, de leurs semences et de leurs marchés.
L’agriculture durable, fondée sur le respect de la nature et du travail paysan, peut nourrir la planète sans la détruire. La coopération régionale peut remplacer la dépendance aux importations par des réseaux de production et de distribution solidaires. L’innovation technologique, utilisée de manière éthique, peut renforcer la sécurité alimentaire au lieu de la concentrer entre quelques mains.
L’arme de la faim ne fonctionnera que tant que la dépendance sera acceptée. Lorsque les gens décideront que la nourriture n’est pas une marchandise, mais la vie, le chantage perdra son pouvoir. L’histoire montre qu’aucun empire n’est éternel, et qu’aucune chaîne n’est indestructible.
L’avenir sera défini par la terre, l’eau et les semences. Celui qui contrôle le pain contrôle l’avenir, mais celui qui défend la terre et les semences contrôle la vie.
Références
- FAO L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2024
- Rapport de la Banque mondiale sur les perspectives agricoles et les systèmes alimentaires 2024
- Perspectives agricoles mondiales OCDE-FAO 2023-2032
- Rapport mondial sur la faim 2024 du WFPG
- Perspectives de l’économie mondiale 2024 du FMI
- Rapport 2023 du PNUE sur les systèmes alimentaires et le changement climatique
- Rapport 2023 du GIPCAR sur le changement climatique et l’utilisation des terres
- SIPRI Sécurité alimentaire et stabilité géopolitique 2024
- Rapport sur le commerce et le développement 2024 de la CNUCED
- Rapport IFPRI sur la politique alimentaire mondiale 2024
- Base de données FAOstatDonnées sur la production et le commerce agricoles 2024
- Données de la Banque mondiale : Prix des matières premières et indice alimentaire 2024
- Rapport d’Oxfam sur la faim et les inégalités 2023
- Tendances de l’emploi et de la pauvreté dans les zones rurales (OIT) 2023
- Atlas de l’alimentation, des terres et de la biodiversité 2024 du WWF
- Commission EAT-Lancet – Mise à jour sur le régime alimentaire pour la santé planétaire 2024
- Rapport d’étape des Nations Unies sur les ODD – Objectif Faim Zéro 2 2024
- Réseau mondial de l’empreinte écologique – Indicateurs d’utilisation des terres agricoles 2024









