Depuis plusieurs années, l’État français a entrepris une dématérialisation massive des démarches administratives pour les étrangers à travers la plateforme ANEF (Administration Numérique pour les Étrangers en France). Présentée comme une simplification et une modernisation des services publics, cette réforme numérique s’est transformée, pour beaucoup d’usagers, en un parcours du combattant.

Des dysfonctionnements techniques à répétition

Dès sa mise en place, la plateforme ANEF a été marquée par des bugs techniques, des pages inaccessibles et des dépôts de dossiers impossibles pendant plusieurs semaines. De nombreux étrangers tentent de déposer leurs demandes de titres de séjour, de renouvellements ou de regroupement familial, mais se heurtent à des messages d’erreur, à des formulaires bloqués ou à des pièces jointes refusées sans explication.

Pour les personnes ne maîtrisant pas bien le français ou n’ayant pas accès à un ordinateur, ces obstacles deviennent insurmontables. Le système, censé simplifier, finit par exclure ceux qui sont déjà les plus fragiles.

Des conséquences humaines graves

Les retards dans le traitement des dossiers ont des effets dramatiques :

  • Perte de droits sociaux et médicaux : Sans récépissé ni carte de séjour valide, impossible de renouveler son numéro de sécurité sociale, d’accéder à la CMU, au RSA ou à d’autres aides. Des travailleurs perdent leur couverture maladie en plein traitement médical.
  • Perte d’emploi : De nombreux salariés voient leurs contrats de travail non renouvelés faute de titre de séjour à jour. Les employeurs, craignant les sanctions, refusent de les maintenir dans l’entreprise. Des travailleurs réguliers deviennent ainsi, du jour au lendemain, sans revenus ni papiers, à cause d’un simple bug informatique.
  • Familles déstabilisées : Les conjoints et enfants à charge subissent directement ces blocages. Certains regroupements familiaux sont impossibles à déposer ; des parents attendent depuis plus d’un an pour obtenir un visa pour leur enfant. Des familles restent séparées, parfois entre deux continents.
  • Logement menacé : Sans titre de séjour valide, il devient impossible de signer un bail, de renouveler un contrat d’électricité ou de défendre ses droits locatifs. Des familles sont menacées d’expulsion ou contraintes de vivre dans des conditions indignes.

De nombreux étrangers se retrouvent dans une zone grise, ni en situation régulière ni irrégulière, simplement à cause d’un système informatique qui dysfonctionne.

Des préfectures débordées et silencieuses

Les associations, comme Solidarités Asie France (SAF), alertent sur le fait que la dématérialisation a aussi coupé le lien humain entre les usagers et les services préfectoraux. Avant, un rendez-vous en préfecture permettait d’expliquer un problème, de corriger un dossier ou d’obtenir une réponse. Aujourd’hui, tout passe par des formulaires en ligne, souvent sans accusé de réception, et les courriels adressés aux préfectures restent sans réponse pendant des mois.

Les files d’attente physiques ont été remplacées par des attentes numériques invisibles, tout aussi longues et parfois plus cruelles, car les gens n’ont plus de contact direct pour défendre leur situation.

Une machine à fabriquer des sans-papiers

Ce dysfonctionnement systémique transforme une politique administrative en machine à fabriquer des sans-papiers. Des personnes présentes en France depuis plusieurs années, travaillant, payant leurs impôts et intégrées dans la société, risquent aujourd’hui de perdre leurs droits à cause d’un simple bug informatique.

Les recours devant les tribunaux administratifs explosent, mais cela ne règle pas l’urgence quotidienne de milliers de familles suspendues à une réponse numérique qui ne vient pas.

Les délais de traitement se sont considérablement allongés. Certaines demandes de renouvellement de titre de séjour restent sans réponse depuis plus d’un an. D’autres reçoivent un récépissé expiré depuis des mois, sans pouvoir en obtenir un nouveau.

Cette attente plonge les usagers dans une angoisse constante : impossible de voyager, de travailler, ou de faire reconnaître leur statut.

Les étudiants étrangers, eux, risquent de perdre leur inscription universitaire s’ils ne peuvent prouver leur régularité.

Pour une humanisation de la dématérialisation

Les associations et défenseurs des droits demandent une réouverture partielle des guichets, un accompagnement humain obligatoire pour toute démarche numérique et la possibilité d’un dépôt papier pour les personnes en difficulté.

Le numérique peut être un outil de progrès, mais à condition qu’il ne devienne pas une barrière administrative.

L’État doit garantir un accès égal au droit, que l’on sache ou non utiliser un ordinateur. Car derrière chaque dossier en ligne, il y a une vie, un emploi, une famille, une dignité.