“L’hydrogène vert : ni miracle, ni solution magique. Juste une promesse surévaluée qui cache des coûts et des limites”.

L’hydrogène vert a été élevé au rang de miracle énergétique. Il est présenté comme la formule qui sauvera la planète, le carburant propre qui remplacera le pétrole et le charbon, le moteur d’une nouvelle ère sans fumée ni pétrole. Gouvernements, entreprises et cabinets de conseil répètent le scénario avec une fidélité digne d’un catéchisme. Ils promettent abondance à bas prix et pureté absolue, comme si la physique obéissait aux communiqués de presse.

La réalité est plus sombre. Produire de l’hydrogène vert coûte entre quatre et six dollars le kilo. Son transport et son stockage sont coûteux et complexes. Plus de mille projets annoncés, mais moins de 5 % sont opérationnels. Le mirage est gonflé par le marketing et les projections chiffrées jusqu’en 2050, tandis que les infrastructures progressent à pas de tortue.

Le récit se répète comme une prière. On dit que c’est bon marché, propre et utile à tout. Trois promesses, trois mythes. L’écart entre la propagande et la réalité technique est l’écart qu’aucun plan d’entreprise ne veut révéler.

Le mirage vert n’éteint pas les incendies. Il les retarde grâce à un battage marketing.

Le mythe de l’abondance infinie

Le premier mythe de l’hydrogène vert est la promesse d’une abondance à bas prix. On prétend que d’ici quelques années, il sera produit à des prix compétitifs et en quantités suffisantes pour remplacer les combustibles fossiles. Le message est simple et convaincant : une énergie illimitée à faible coût.

La réalité est tout autre. Aujourd’hui, produire un kilo d’hydrogène vert coûte entre quatre et six dollars, selon l’Agence internationale de l’énergie. Ce prix est quatre fois plus élevé que celui du gaz naturel liquéfié et jusqu’à cinq fois plus élevé que celui du charbon dans les pays exportateurs. Les plans les plus optimistes prévoient une réduction du prix à un dollar le kilo d’ici 2050, mais cet objectif dépend de subventions massives, d’avancées technologiques incertaines et d’une expansion des énergies renouvelables qui ne s’est pas encore concrétisée.

Les chiffres illustrent l’écart. Le prix du pétrole oscille entre 70 et 80 dollars le baril, soit moins de 1,50 dollar par kilogramme d’équivalent énergie. Le gaz naturel a fluctué entre 2 et 4 dollars par million de BTU ces dernières années, ce qui le maintient compétitif par rapport aux projections à court terme pour l’hydrogène vert.

Ce mirage est entretenu par les projections, alors que l’économie réelle montre le contraire. L’hydrogène vert n’est pas encore abondant ni bon marché. C’est un carburant coûteux qui nécessite d’importantes subventions publiques pour éviter un effondrement à ses débuts.

Le mythe de la propreté totale

Le deuxième mythe concernant l’hydrogène vert est sa prétendue pureté absolue. Il est présenté comme un carburant neutre en carbone, une ressource si propre qu’elle éliminerait d’un seul coup les émissions des transports et de l’industrie. Le discours des entreprises est convaincant : l’hydrogène vert est 100 % non polluant (0 % d’émissions de CO2).

La vérité est plus dérangeante. L’hydrogène n’est vert que s’il est produit à partir d’électricité issue de sources renouvelables. S’il est obtenu à partir de gaz naturel avec capture partielle des émissions, il est dit bleu. S’il est produit directement à partir de charbon ou de gaz sans capture des émissions, il est dit gris. Le vert est minoritaire ; le bleu et le gris sont majoritaires dans la production mondiale.

Les chiffres révèlent le piège. Un kilogramme d’hydrogène gris émet environ 10 kilogrammes d’équivalent CO₂. L’hydrogène bleu divise ce chiffre par deux, à condition que les systèmes de captage fonctionnent à pleine capacité, ce qui est rarement le cas en pratique. Seul l’hydrogène vert peut approcher zéro, mais même dans ce cas, il a des impacts environnementaux : consommation intensive d’eau, construction d’usines de dessalement et déploiement massif de panneaux et de turbines.

Le mirage de la propreté absolue cache une vérité simple. L’hydrogène vert est plus propre que le charbon et le pétrole, mais il n’est ni neutre ni gratuit. En faire une solution miracle contre le changement climatique revient à vendre un miracle qui n’existe pas.

Transport et stockage : le grand piège

L’hydrogène vert n’est pas produit là où il est consommé. Il est généré dans les déserts, sur les côtes ou dans des régions où le vent et le soleil sont abondants, puis doit parcourir des milliers de kilomètres jusqu’aux centres industriels. Cette distance fait du transport et du stockage le principal écueil de ce secteur.

L’hydrogène est un gaz léger, volatil et difficile à manipuler. Sa compression et son transport à l’état liquide nécessitent des températures de -253 °C, ce qui consomme plus d’énergie que ce que de nombreux pays sont prêts à payer. L’alternative consiste à le transformer en dérivés comme l’ammoniac ou le méthanol, plus faciles à transporter, mais ce procédé entraîne des pertes d’énergie supplémentaires et des coûts élevés.

Les chiffres sont accablants. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’entre la production, la conversion, le transport et la réutilisation, le système perd entre 30 et 40 % de son énergie initiale. Autrement dit, sur 10 unités produites, seulement 6 à 7 atteignent leur destination finale. À cela s’ajoutent les coûts d’infrastructure : nouveaux terminaux portuaires, navires adaptés, pipelines spécialisés.

Le mirage de l’hydrogène mondial se heurte à la réalité de la logistique. Il ne s’agit pas seulement de le produire, mais de le transporter à travers le monde sans perdre près de la moitié de son énergie en cours de route. Jusqu’à présent, les chiffres ne concordent pas.

Utilisations réelles versus propagande

La propagande promet de l’hydrogène vert pour tout : des voitures particulières à pile à combustible, des maisons chauffées à l’hydrogène plutôt qu’au gaz naturel, des avions commerciaux équipés de réservoirs d’hydrogène liquide. Le message est simple : un carburant universel, propre et miraculeux.

La réalité est bien plus limitée. Dans le domaine des transports légers, l’électricité a déjà gagné la course. Les voitures électriques à batterie sont plus efficaces et moins chères que n’importe quel prototype de pile à combustible à hydrogène. Pour le chauffage domestique, les pompes à chaleur surpassent largement l’hydrogène en termes de performances et de coût. L’hydrogène vert a toutefois un intérêt dans les secteurs difficiles à électrifier : l’acier, l’aviation longue distance et le transport maritime. Dans ces secteurs, les batteries sont insuffisantes et des carburants à plus forte densité énergétique sont nécessaires.

Les chiffres le montrent. Selon l’Agence internationale de l’énergie, 60 % de la demande potentielle d’hydrogène vert d’ici 2050 sera concentrée dans l’industrie lourde et 30 % dans les transports maritime et aérien. Les voitures, les bus et le chauffage représentent moins de 10 % de la demande estimée. En Europe, des projets pilotes d’hydrogène vert sont déjà en cours en Suède et en Allemagne. Dans le transport maritime, des géants du transport maritime comme Maersk investissent dans des navires fonctionnant à l’ammoniac ou au méthanol produit à partir d’hydrogène vert.

Le mirage de l’hydrogène comme carburant universel occulte son véritable rôle. Ce ne sera pas un carburant universel. Ce sera une ressource stratégique dans des niches spécifiques, coûteuse et difficile à remplacer.

Le mirage politique

L’hydrogène vert n’est pas seulement mis en avant par le marketing des entreprises, mais aussi par la propagande politique. Les gouvernements du monde entier le présentent comme la clé de la transition énergétique, même si la plupart de ces annonces restent des promesses de campagne et des communiqués de presse. Il en résulte un paysage mondial où la politique affirme plus que la technologie ne peut en offrir.

Plus de 40 pays ont déjà publié des stratégies nationales pour l’hydrogène pour 2020-2023, de l’Allemagne au Chili, du Japon à la Namibie. Des objectifs ambitieux sont fixés pour 2030 et 2050, mais sur le terrain, les projets sont limités et les échéances sont retardées. Nombre de ces plans ont été conçus pour faire preuve de leadership lors des sommets sur le climat ou attirer des capitaux étrangers, plutôt que pour garantir la sécurité énergétique nationale.

Les chiffres illustrent l’écart. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le monde aurait besoin de 150 millions de tonnes d’hydrogène vert d’ici 2030 pour respecter ses engagements climatiques. Les projets en cours de construction couvriront à peine 15 % de cet objectif. En Amérique latine, plusieurs gouvernements se réjouissent de l’annonce de milliards d’investissements, mais continuent dans le même temps de subventionner le pétrole, le gaz et le charbon.

Un mirage politique transforme l’hydrogène vert en vitrine. Une ressource utilisée pour les discours aux Nations Unies, les forums d’investissement et les campagnes électorales. Pendant ce temps, les communautés continuent d’attendre une énergie propre et abordable. L’écart entre le discours officiel et la réalité technique est si grand qu’il menace de discréditer non seulement l’hydrogène, mais aussi la transition énergétique dans son ensemble.

Ce qui peut être et ce qui ne peut pas être

L’hydrogène vert n’est pas la solution miracle à la crise climatique. Il n’est qu’une pièce d’un puzzle beaucoup plus vaste qui inclut les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’électrification directe et l’évolution des modes de consommation. Le présenter comme une alternative complète aux combustibles fossiles est une erreur qui crée de faux espoirs et retarde la mise en œuvre de solutions plus immédiates.

Il peut s’agir d’une ressource stratégique dans des secteurs où il n’existe pas d’alternatives viables. L’industrie lourde a besoin de carburants à forte densité énergétique et n’a guère d’autres options que l’hydrogène. L’aviation longue distance et le transport maritime semblent également des destinations logiques. Dans ces secteurs, il peut jouer un rôle clé, à condition que les coûts baissent et que les infrastructures soient disponibles.

Ce qui ne peut pas être un carburant universel, c’est qu’il ne remplacera pas l’essence dans les voitures particulières ni le gaz pour le chauffage domestique. Il ne sera pas non plus abondant et bon marché à court terme. Il dépendra de subventions, de transferts de technologie et de réglementations claires.

Les projections le confirment. L’Agence internationale de l’énergie estime que la demande mondiale d’hydrogène à faibles émissions pourrait atteindre 180 millions de tonnes d’ici 2050, soit près de 10 % de la consommation énergétique mondiale. C’est beaucoup, mais c’est loin de la vision d’une planète entièrement alimentée par l’hydrogène.

Le mirage se dissipe lorsque les chiffres entrent en jeu.

Chiffres clés sur l’hydrogène vert

Coût de production actuel — entre 4 et 6 USD par kilo (AIE 2023).

Objectif 2050 — 1 $ par kilo, encore incertain (BloombergNEF 2023).

Émissions d’hydrogène gris — 10 kg de CO₂ par kg de H₂ (AIE 2022).

Efficacité du transport et du stockage — pertes de 30 à 40 % de l’énergie initiale (AIE 2023).

Demande projetée pour 2050 — 180 Mt de H₂ à faibles émissions, soit environ 10 % de l’énergie mondiale (AIE 2023)

L’hydrogène vert ne se nourrit pas de discours ; il se mesure par des chiffres concrets. Les investissements engagés, les objectifs de production et les subventions révèlent l’ampleur de la course engagée sur la planète. Sans chiffres, tout reste une promesse. Grâce à eux, l’ampleur et les inégalités de cette transition sont mieux comprises.

Investissement mondial projeté

  • 240 milliards de dollars d’hydrogène vert d’ici 2030, selon l’IRENA.
  • Demande estimée.
  • 100 millions de tonnes de H₂V d’ici 2030 selon l’AIE.

Subventions internationales

3 dollars par kilo aux États-Unis en vertu de la loi sur la réduction de l’inflation.

L’Allemagne jusqu’à 5,50 $ par kilo via H2Global.

Europe

Objectif de 10 millions de tonnes de production nationale plus 10 millions de tonnes d’importations d’ici 2030.

Projet NortH2 aux Pays-Bas : 10 GW d’ici 2040 avec une phase initiale de 1 GW en 2027.

USA

7 pôles régionaux d’hydrogène propre avec des investissements dépassant 40 milliards de dollars.

Objectif : couvrir l’acier, les engrais et les transports lourds d’ici 2026.

Chine

Un engagement de 33 milliards de dollars d’ici 2030.

Projet Sinopec à Ulanqab, 2,9 milliards de dollars pour produire 100 000 tonnes par an.

Contrôle 40 % de la capacité mondiale d’électrolyseurs.

Moyen-Orient

Projet NEOM en Arabie saoudite, 8,4 milliards de dollars et 600 tonnes de production par jour à partir de 2026.

l’Amérique latine

Le Chili avec un portefeuille de plus de 70 projets et 100 milliards de dollars projetés d’ici 2030.

Le Brésil a un potentiel d’engagement de 200 milliards de dollars d’ici 2040 dans des ports tels que Pecém et Suape.

La Colombie vise 3 GW d’électrolyse d’ici 2030.

Impact environnemental direct : Un bus à hydrogène permet d’économiser 80 tonnes de CO₂ par an par rapport à un bus diesel.

L’objectif du Chili est de produire 1 million de tonnes d’ici 2030, ce qui permettrait de remplacer une partie importante des émissions provenant des transports et de l’exploitation minière.

Ces chiffres illustrent l’ampleur du défi et, parallèlement, la fragilité de ses fondements. L’industrie de l’hydrogène vert mobilise des sommes colossales et des objectifs ambitieux, mais elle dépend de subventions publiques, de coûts encore élevés et de chaînes de valeur dominées par quelques pays. Ces chiffres fulgurants aujourd’hui pourraient devenir des mirages demain si les promesses ne se traduisent pas en projets concrets, en emplois réels et en réductions d’émissions effectives.

L’hydrogène vert est né

L’hydrogène vert est né comme une promesse et s’est transformé en mirage. Enthousiasmé par les entreprises et les gouvernements, vendu comme un miracle bon marché et propre, présenté comme la solution miracle contre le changement climatique, la réalité l’a remis à sa place. Il n’est ni universel ni immédiat. Il est coûteux, complexe et limité.

Mais ce n’est pas inutile. Dans les secteurs où il n’existe pas d’alternative, il peut faire la différence. Utilisé de manière réaliste, avec souveraineté technologique et en accordant la priorité aux communautés, l’hydrogène vert peut contribuer à la transition. Il ne sauvera pas le monde, mais il peut contribuer à l’empêcher de sombrer plus vite.

L’avenir n’est pas encore écrit. L’hydrogène vert peut être un mirage ou un outil. La décision dépend de qui contrôle la technologie, l’eau et les contrats.

 

Bibliographie :

Agence internationale de l’énergie (AIE). Revue mondiale de l’hydrogène 2023. Paris, 2023.

BloombergNEF. Perspectives du marché de l’hydrogène 2050. Londres, 2023.

Sovacool, Benjamin. Justice énergétique et transitions mondiales. Cambridge University Press, 2021.

Raina, Avni. L’hydrogène et les pays du Sud : risques et opportunités. Oxford Energy Studies, 2023.

 

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