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Lumumba : le cri qui résonne encore

Cet article est aussi disponible en: Espagnol

(Crédit image: Wikipedia)

« Ni la cruauté, ni la violence, ni la torture ne me feront implorer la miséricorde, car je préfère mourir la tête haute, avec une foi inébranlable… » ​​Patrice Émery Lumumba

Cette chronique sur Lumumba n’est pas seulement des mots, c’est un acte de justice.

L’Afrique venait à peine de naître, et le monde la dévastait déjà. C’étaient les années 1960, et la décolonisation avançait comme un fleuve de feu. Le continent le plus pillé de la planète commençait à crier son nom, et de ses profondeurs surgit un homme qui l’incarnait : Patrice Lumumba. Jeune, autodidacte, passionné, radical dans sa lucidité, impossible à apprivoiser. Ce n’était ni un militaire, ni un technocrate, ni une marionnette d’ambassade. C’était un Africain qui parlait comme si l’avenir brûlait derrière chaque mot. Et cela, bien sûr, était impardonnable.

Congo belge, 1960. À peine libéré du joug colonial après des décennies d’exploitation par le roi Léopold II et les entreprises belges qui traitaient les Africains comme des bêtes de somme. Des millions de personnes périrent dans le pillage du caoutchouc, de l’or, du cuivre et du coltan de l’époque. Des millions. Et à l’indépendance, le pays était en ruines : plus d’universités, plus de personnel technique, plus d’État. Juste un bout de papier signé et une armée entraînée à obéir à des puissances étrangères.

Patrice Lumumba est né là, dans ce Congo mutilé. Issu d’une famille modeste, il a travaillé comme ouvrier, puis comme facteur, a étudié seul, s’est formé au droit et à la littérature, et a fondé le Mouvement national congolais, un parti qui ne demandait pas la charité, mais la dignité. Il ne voulait pas d’un pays indépendant sur le papier ; il voulait un pays véritablement souverain. Avec ses ressources entre les mains du peuple, ses richesses minières au service du développement de l’Afrique. Avec des écoles, des hôpitaux, des routes, de l’eau potable, des industries. Pas pour la Belgique. Pour les Congolais.

Et puis il a gagné. Lors de véritables élections libres, convoquées sous la pression internationale, Patrice Lumumba est devenu le premier Premier ministre légitime du Congo indépendant. Il avait 35 ans. Trente-cinq. À peine avait-il commencé à s’exprimer à la tribune présidentielle que le monde a commencé à s’agiter pour le réduire au silence. Parce qu’il n’a pas parlé comme les dirigeants africains auraient dû le faire. Il n’a pas remercié la couronne belge, il n’a pas présenté d’excuses pour sa colère, il ne s’est pas agenouillé devant les Nations Unies. Il a dénoncé la colonisation, le massacre, l’humiliation. Au milieu de la cérémonie d’indépendance, devant le roi des Belges, il a dit ce qu’aucun chef d’État n’avait jamais dit auparavant : « Notre indépendance n’est pas un cadeau de la Belgique. C’est le fruit de notre lutte. »

Cette sentence fut son arrêt de mort. En quelques semaines, des coups d’État en douceur commencèrent, accompagnés de pressions internationales et de divisions armées financées par des sociétés étrangères qui ne voulaient pas perdre le contrôle du cuivre, de l’uranium et de l’or congolais. La CIA, le MI6 britannique et les services secrets belges conspirèrent. Le Congo possédait 80 fois plus d’uranium que la Belgique, et une seule entreprise, l’Union Minière, contrôlait presque 100 % des exportations. Lumumba voulait nationaliser. Il voulait alphabétiser. Il voulait unifier le pays. Et il voulait expulser les mercenaires blancs de l’armée. C’en était trop.

Il fut secrètement renversé, kidnappé, torturé et finalement assassiné le 17 janvier 1961. Il avait 36 ​​ans. Ils l’ont battu à mort. Ils l’ont enterré. Puis ils ont déterré son corps. Ils l’ont dissous dans de l’acide, pour qu’il n’en reste aucune trace. Mais il y a des choses que même l’acide ne peut effacer. Sa voix, par exemple.

Pendant des décennies, le crime est resté caché. On a dit qu’il était mort au combat. Qu’il avait déserté. Qu’il était communiste. Qu’il voulait diviser le Congo. Tout a été dit. Sauf la vérité : il a été assassiné pour avoir voulu libérer l’Afrique du pillage. Qu’il a été éliminé pour avoir déclaré que le coltan devait appartenir aux Congolais. Qu’il a été détruit pour avoir rêvé d’une fédération africaine libérée du FMI, de la Banque mondiale, de la Belgique, de la France, des États-Unis et des couronnes invisibles qui continuent de dicter qui vit et qui meurt sur le continent noir.

Car Lumumba ne parlait pas seulement du Congo. Il parlait du Ghana, de l’Angola, du Mozambique, du Nigeria, de l’Afrique du Sud. Il parlait de toute l’Afrique. En 1960, le continent ne comptait que 27 pays indépendants. Les autres étaient des colonies officielles ou des dictatures imposées. Et les puissances européennes continuaient de contrôler les ports, les banques, les mines. La France régnait par l’intermédiaire de ses « territoires associés », la Belgique finançait des juntes militaires, l’Angleterre semait des partitions ethniques. Et qui s’est levé ? Qui a dit « assez » ? Un jeune Noir venu du cœur de l’Afrique. Patrice Lumumba. C’est pour ça qu’ils l’ont tué.

Ses ennemis étaient nombreux. Mobutu, soldat formé en Occident, devint son bourreau local. La Belgique, qui commandita son assassinat puis présenta ses excuses un demi-siècle plus tard, comme si cela suffisait. Les États-Unis, qui le surveillaient pour déceler tout « danger communiste », bien qu’il n’ait jamais appartenu à aucun parti du bloc soviétique. Et les Nations Unies, censées protéger son gouvernement légitime, ne firent rien. Elles observèrent. Elles restèrent silencieuses. Elles laissèrent faire. Comme si souvent.

Et l’Afrique ? Qu’est-il arrivé à l’Afrique de Lumumba ? Après lui, le continent est entré dans une ère de dictatures soutenues par l’Occident. Mobutu a dirigé le Congo (rebaptisé Zaïre) pendant 32 ans, volant des milliards tandis que le pays sombrait dans la pauvreté. L’Angola a sombré dans une guerre civile financée par les États-Unis et l’URSS. Le Nigeria a été conquis par les compagnies pétrolières. L’Afrique du Sud ne s’est libérée de l’apartheid qu’en 1994. Et le continent tout entier, à ce jour, reste prisonnier d’un néocolonialisme déguisé en aide internationale, en coopération et en contrats « stratégiques ».

Mais son héritage perdure. Chez les jeunes qui relisent ses discours. Dans les mouvements panafricanistes qui se souviennent de sa voix. Chez les peuples qui revendiquent encore la souveraineté sur le cobalt, le lithium, l’or et le pétrole. Lumumba n’était pas seulement un martyr. Il était un avertissement : c’est ainsi qu’un homme meurt lorsqu’il décide que son peuple mérite de vivre.

Aujourd’hui, plus de six décennies plus tard, ses paroles continuent de résonner dans l’histoire. « Ni la cruauté, ni la violence, ni la torture ne me feront implorer la miséricorde, car je préfère mourir la tête haute, avec une foi inébranlable… » ​​Et oui. Il est mort la tête haute. Mais il n’est pas mort seul.

Le monde qui l’a tué est toujours debout. Il négocie toujours avec des dictateurs. Il signe toujours des contrats de pillage. Il envoie toujours des troupes et vend des armes. Mais il continue aussi de trembler lorsqu’un peuple se souvient de ses morts par leur nom. Patrice. Émery. Lumumba.

Épilogue

Nous ne voulons pas de vengeance. Nous voulons la justice. Nous ne voulons pas de sang. Nous voulons la mémoire. Nous ne cherchons pas la domination. Nous voulons juste respirer en paix, sur nos terres, avec nos voix, avec nos rivières.

Nous voulons une Afrique qui n’a pas à cacher ses cadavres pour être acceptée par la diplomatie.

Nous voulons une histoire qui ne commence plus par le meurtre du meilleur d’entre nous.

Nous voulons un monde où l’avenir d’un continent ne se dissout pas dans l’acide.

Nous voulons que le cri de Lumumba ne se perde pas dans les jungles de l’oubli.

Nous voulons que la prochaine fois qu’un Africain élève la voix, il n’ait pas à mourir pour que le monde l’entende.

Le cri est toujours là. Il n’a pas disparu. Et si le monde n’est pas encore prêt à l’entendre, qu’il se prépare.

Parce que l’Afrique est prête.

 

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