L’ONU est morte. Ni dans une attaque, ni sous les décombres de Gaza, ni au milieu des cris de guerre ou des missions de paix avortées. Elle est morte en silence, dans des couloirs tapissés de moquette, dans des communiqués tièdes, dans l’indifférence des puissants. Elle est morte d’inutilité. De bureaucratie. De lâcheté. Et personne n’est venu à ses funérailles, car personne n’avait besoin d’elle vivante.
Nous l’avons vue agoniser en Syrie lorsque le Conseil de sécurité s’est transformé en un cercle de vetos et de cynisme. Nous l’avons vue perdre sa crédibilité en Afghanistan lorsqu’elle n’a même pas protégé ses propres responsables. Nous l’avons vue se vider de son sang en Ukraine, devenant le spectateur d’une guerre qu’elle ne pouvait arrêter. Et nous l’avons finalement enterrée à Gaza lorsque des milliers d’enfants sont morts et que l’ONU n’a réussi qu’à rédiger des rapports. Des rapports que personne ne lit. Des rapports qui n’arrêtent pas les drones.
L’ONU n’est plus garante de rien. Ni de paix, ni de justice, ni de souveraineté. C’est un club de puissances disposant d’un droit de veto et une galerie de pays pauvres qui acquiescent. Un système où les crimes les plus graves peuvent rester impunis s’ils sont commis par un allié. Où un massacre peut être diplomatiquement « complexe » et une invasion peut être rebaptisée « opération préventive ». Où Israël peut bombarder des écoles sans sanction et la Russie peut opposer son veto à toute sanction. Où les morts pèsent moins que les intérêts.
Le Conseil de sécurité est aujourd’hui le conseil de la paralysie. Et l’Assemblée générale, une assemblée de discours impuissants. Il n’y a plus de leadership moral. Il n’y a plus de Kofi Annan. Il n’y a plus de Mandela. Seul Guterres demeure, récitant des avertissements qui rebondissent comme des gouttes de pluie dans le désert. Il n’y a plus de sanctions, plus de punitions, plus de protection. Il n’y a que des déclarations d’inquiétude. Des condamnations verbales. Des missions qui échouent. Et un cimetière d’espoir.
Les Casques bleus sont un souvenir d’une autre époque. Aujourd’hui, l’ONU ne peut plus protéger les siens. Pas même les enfants palestiniens qui dorment dans leurs écoles. Pas même les réfugiés au Soudan. Pas même les femmes violées au Congo. L’ONU est devenue témoin de sa propre impuissance. Et, dans certains cas, complice par omission.
Mais tout n’est pas qu’incompétence. Il y a aussi calcul. Car l’ONU n’est pas morte seulement par manque de pouvoir ; elle est morte par excès d’hypocrisie. Car ses résolutions ne valent que par pays ciblé. Car si vous êtes l’Iran, elles vous sanctionnent. Si vous êtes l’Arabie saoudite, elles vous invitent au Conseil des droits humains. Si vous êtes le Venezuela, elles vous surveillent. Si vous êtes Israël, elles vous protègent. Si vous êtes les États-Unis, elles vous craignent. Car le multilatéralisme est mort le jour où le pouvoir est devenu sélectif.
Et alors se pose la question gênante : à quoi sert l’ONU ? À prononcer des discours ? À signer des accords qui ne sont pas respectés ? À créer des bureaux que personne ne finance ? À légitimer des interventions déguisées en aide humanitaire ? À installer des panneaux solaires en pleine guerre ?
Le monde n’attend plus rien de l’ONU. Les peuples non plus. Elle n’a pas pu empêcher l’invasion de l’Irak, la destruction de la Libye ou l’occupation de la Palestine. Elle n’a pas pu empêcher le génocide au Rwanda, ni le nettoyage ethnique en Bosnie, ni la guerre éternelle au Yémen. À quoi bon une institution qui arrive après les fosses communes ?
Le plus tragique n’est pas sa mort. C’est qu’elle n’a pas de remplaçant. Car tandis que l’ONU s’éteint, il n’existe aucun autre organisme doté d’une légitimité mondiale. Et dans ce vide, guerres, alliances armées et blocs fermés se multiplient. L’OTAN se développe comme bras armé de l’Occident. Les BRICS se développent comme contrepoids économique. Les sommets sans règles, les accords bilatéraux et les boucliers nucléaires se multiplient. Mais la paix ne se développe pas.
Et sans paix, tout est fumée. Car peu importe le nombre de traités signés s’il n’y a pas d’institutions pour les faire respecter. Peu importe le nombre de conférences organisées si les bombes continuent de pleuvoir sur les hôpitaux. Peu importe le nombre de prix Nobel décernés si l’ONU ne peut plus respecter sa charte fondatrice.
L’avenir ne se joue plus à New York, mais à Pékin, Moscou, Téhéran, Bruxelles et Washington. L’ONU n’est plus le forum principal. C’est désormais un bâtiment symbolique, entouré de drapeaux et surveillé par des caméras. Un musée de ce qui fut autrefois le rêve du multilatéralisme. L’ONU ne vit que dans ses discours. Mais elle est morte sur le terrain.
Et pourtant, personne n’ose l’enterrer. Car son cadavre est encore utile. Il sert à justifier l’inaction, à donner l’apparence du dialogue, à maintenir une bureaucratie qui survit même si le monde s’effondre. Aujourd’hui, l’ONU est un refuge pour les diplomates sans guerre, et non un bouclier pour les peuples sans paix.
Si elle devait disparaître demain, peu de gens s’en apercevraient. Les puissants négocient déjà en dehors d’elle. Les faibles n’attendent plus rien d’elle. Les peuples ne l’invoquent plus. Seul subsiste le rituel : les drapeaux, les traducteurs, les communiqués auxquels personne ne répond.
L’ONU est morte. Et personne n’est allé à ses funérailles.
Parce que tout le monde était trop occupé à préparer la prochaine guerre…









