La surpopulation carcérale est un problème persistant en France, tout comme dans de nombreux autres pays européens. Elle se concentre principalement dans les maisons d’arrêt, où les détenus en attente de jugement et ceux purgeant de courtes peines de moins de deux ans sont incarcérés. Actuellement, la France compte 79 maisons d’arrêt (conformément à l’article D. 211-4 du Code pénitentiaire), avec un taux d’occupation atteignant 144,6 %. Au 1er juin 2023, le nombre de détenus s’élevait à 73 699, pour seulement 60 652 places disponibles, ce qui équivaut à une densité carcérale globale de 121,7 %. Les prisons françaises sont en état de saturation, et la majorité des détenus sont des jeunes hommes confrontés à des problèmes sociaux, psychologiques et médicaux, souvent en situation de récidive avec de multiples condamnations.

Les raisons de ce fléau :

  • La conséquence de politiques pénales qui privilégient l’enferment avant toute alternative, comme la probation et le travail d’intérêt général ;
  • Une réponse pénale toujours plus dure envers les actes délinquants ;
  • La détention provisoire prolongée ;
  • Une extension des délais de prescription ;
  • Le délai d’audience qui accroit à cause du manque de moyen ;
  • La comparution à délai différé depuis la création en 2019 qui autorise le procureur à incarcérer le détenu jusqu’à son jugement, pour une durée qui peut atteindre deux mois si les actes d’enquêtes tardent à produire les résultats.

Les aménagements de peine tels que la libération conditionnelle, la semi-liberté, le placement sous surveillance électronique ou le placement à l’extérieur ne sont pas pleinement mis en œuvre. Il est nécessaire que ces mesures soient davantage utilisées et, par conséquent, renforcées.

Les conséquences de la surpopulation carcérale sont profondément négatives à tous les niveaux. Sur le plan de l’intimité des détenus qui doivent faire face à des violences fréquentes, à des tensions permanentes, à des conditions insalubres, à des problèmes d’hygiène, à la promiscuité et au manque de dignité, notamment lorsqu’ils sont contraints de dormir sur des matelas au sol. Cette situation entraîne un déclin de la santé mentale et physique, un manque de suivi médical et social, des formations et des activités limitées, des visites familiales difficiles à organiser, et un manque de biens de première nécessité tels que des oreillers, des serviettes de bain et des matelas. La mission de réinsertion est également compliquée, limitant les chances de réadaptation des détenus et augmentant les taux de récidive. Les professionnels du système carcéral subissent également les conséquences de cette surpopulation.

L’Observatoire International des Prisons (OIP) qualifie ce problème de « mal chronique des prisons françaises »[1]. En 1990, le taux de surpopulation atteignait déjà 124 %. Cependant, les plans de construction de nouvelles prisons mis en place depuis les années 1990 n’ont pas résolu le problème, car « on ne traite alors que les conséquences de la surpopulation, et non par les mécanismes ou les facteurs qui en sont à l’origine »[2], comme l’explique la criminologue belge Sonja Snacken, experte auprès du Conseil de l’Europe. Les personnes commettant des délits routiers, des violences familiales ou des violences envers les forces de l’ordre auront plus de difficulté à obtenir des aménagements de peines, entrainant une répression accrue.

Face à cette situation, les responsables politiques ont opté pour la construction de nouvelles prisons, mais cela a entraîné davantage d’incarcérations et n’a pas résolu le problème de la surpopulation. Par exemple, entre 2017 et 2027, Emmanuel Macron prévoyait la création de 15 000 places supplémentaires, pour un coût de 4,5 milliards d’euros. De plus, bon nombre de ces établissements sont situés en dehors des zones urbaines et sont difficiles d’accès en transports en commun, ce qui réduit les visites des proches des détenus.

Les solutions réelles à la surpopulation carcérale en France nécessitent une réforme pénitentiaire mettant l’accent sur la réhabilitation plutôt que sur la punition, une réduction des peines pour les délits non violents, une révision des politiques pénales et punitives, et un investissement dans des alternatives à la détention, telles que la probation, les travaux d’intérêt général, le bracelet électronique et les programmes de réinsertion sociale. Il est également important de noter que l’incarcération touche de manière disproportionnée les personnes défavorisées, aggravant leur situation précaire.

Malgré de nombreuses propositions d’associations, de lois et de rapports officiels, le problème persiste. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour les conditions de vie des détenus et l’absence de recours efficaces. De récentes initiatives, telles que le rapport des députées Caroline Abadie et Elsa Faucillon en 2023[3], ont été présentées pour réduire la surpopulation carcérale en privilégiant des alternatives à la détention. Le 5 octobre 2023 la Cour des Comptes publie un rapport sur la surpopulation carcérale française, sans donner de vraies pistes de solutions.[4]

En conclusion, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence la possibilité de réduire la surpopulation carcérale grâce à des libérations temporaires, sans que cela n’entraîne une augmentation des infractions. Pour remédier à cette situation, la France doit mettre en place des mécanismes de régulation carcérale, cesser de privilégier l’incarcération comme unique référence en matière de peine, et favoriser le développement d’alternatives à la détention.

Il est important de reconnaître que la prison est davantage un instrument de contrôle social inscrit dans un système disciplinaire qu’un moyen de réhabiliter les détenus. La surpopulation carcérale est une preuve manifeste de l’échec de ce système, puisqu’il ne favorise pas la réintégration des individus, mais plutôt l’accumulation de frustrations et l’acceptation de conditions de vie inhumaines. En outre, ce système renforce le concept de « société disciplinaire » tel qu’évoqué par Michel Foucault dans son ouvrage « Surveiller et punir » de 1975. Pour citer à nouveau Foucault, la surpopulation carcérale met en lumière le fait que les systèmes pénitentiaires modernes n’ont pas pour vocation de corriger les individus, mais de les maintenir dans une logique punitive qui ne fait qu’aggraver le cycle de la délinquance.

Nous risquons, voire sommes déjà en train de vivre, la prison comme un mécanisme de punition et de contrôle, dépourvu d’un véritable objectif de réhabilitation, conformément à la vision de Foucault. Il avait introduit le concept intrigant du « biopouvoir », désignant le pouvoir exercé sur les corps et les vies des individus à l’échelle de la société. L’État exerce un contrôle total sur la vie des détenus, ce qui a un impact durable sur leur existence, depuis leur incarcération jusqu’à leur libération. Il est impératif de réformer le système pénitentiaire, en plaçant les besoins des détenus au cœur de cette réflexion. La question demeure : combien de temps continuerons-nous à aborder cette problématique.

[1] Open Society Foundations. (2022). Surpopulation Carcérale. Récupéré depuis https://oip.org/decrypter/thematiques/surpopulation-carcerale/#:~:text=Il%20est%20de%20118%25%20avec,(au%201er%20septembre%202022)

[2] Open Society Foundations. (2022). Surpopulation Carcérale. Récupéré depuis https://oip.org/decrypter/thematiques/surpopulation-carcerale/#:~:text=Il%20est%20de%20118%25%20avec,(au%201er%20septembre%202022)

[3] 19 juillet 2023, Rapport d’Information enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale, en conclusion des travaux d’une mission d’information (1) sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale. Présenté par MMES Caroline Abadie et Elsa Faucillon, Députées.

[4] Cour des Comptes. (2023). Entités et politiques publiques : Une surpopulation carcérale persistante, une politique d’exécution des peines en question. Rapport public thématique, Octobre 2023.