Le vingtième siècle est marqué par plusieurs entreprises génocidaires. En 1899-1902, les États-Unis ont été étroitement associés au génocide de 3 millions de personnes aux Philippines[1]. En 1907, le roi Léopold de Belgique a été à la tête d’une armée qui va tuer plus de 10 millions de personnes dans le Congo[2]. En 1915, la Turquie procède au génocide d’un million d’Arméniens[3]. Dans la période s’étalant de 1941 à 1944, l’Allemagne va s’engager dans le génocide de 6 millions de juifs[4] et de plusieurs milliers de Roms[5], sans oublier la logique génocidaire au cœur de l’entreprise du lebensraum aux dépens des Slaves. Plusieurs rappellent aussi le Rwanda[6].

La définition de l’ONU de 1948 (« Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ») est très claire et connue depuis longtemps. Elle fut adoptée il y a 75 ans. L’article II précise: « le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) meurtre de membres du groupe; b) atteinte à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »[7]

Les faits

L’opération du 7 octobre aura donné lieu à des violences de la part de certains combattants faisant partie de la branche armée du Hamas. Le Hamas est tout d’abord un parti politique élu en 2006. Sa branche armée mène un combat légitime contre la puissance occupante, mais cela n’empêche pas la possibilité que certains éléments au sein de ce groupe aient pu commettre des crimes de guerre. Encore que les témoignages d’Israéliens interviewés après les événements révèlent que l’armée israélienne, tirant en état de panique sur les assaillants, aurait elle-même tué un nombre à date inconnu d’Israéliens[8].

En représailles, tout indique que l’on assiste à des crimes de guerre. Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne, dans le Guardian du 10 octobre 2023 affirme que celle-ci privilégie les dommages et non sur la précision, ce qui s’observe facilement et revient à admettre que les bombardements sont aveugles, sans discrimination[9].

L’attaque israélienne est en outre disproportionnée. 10 000 personnes civiles ont été tuées et plus d’un million de personnes ont été déplacées. Des hôpitaux, des ambulances et des écoles ont été visés.

Il s’agit en outre de châtiments collectifs, commis au grand jour, voire même claironnés, et les châtiments collectifs sont des crimes de guerre. On est loin de la notion de victimes collatérales. C’est plutôt l’inverse. On vise la population entière dans l’espoir que des victimes collatérales soient celles du Hamas.

Ce sont des crimes et des atrocités, liés au processus de colonisation de la Palestine et l’aggravant. Mais peut-on aller plus loin et parler de génocide? La réponse semble devoir être affirmative. À la lumière des critères de l’ONU, il faut bien admettre qu’il y a bel et bien eu meurtre d’une partie importante des membres d’un groupe ethnique. Il y a aussi atteinte à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe et soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle.

Les intentions

Tout indique donc que les éléments a), b) et c) de la Convention de l’ONU ont été présents. Toutefois, selon William Schabas, il faut aussi démontrer que les actes ont été commis avec l’intention de s’en prendre au groupe[10]. Comme pour tout crime qui aurait été commis, la poursuite doit démontrer que les gestes ont bel et bien été posés avec l’intention de s’en prendre à l’intégrité physique du groupe.

Or, les dires des dirigeants israéliens manifestent une intention génocidaire. Ariel Kallner, député du Likud déclara le jour même de l’insurrection du 7 octobre : « Pour l’instant, un seul objectif : la Nakba ! Une Nakba qui fera de l’ombre à la Nakba de 1948 ».[11]

Le 9 octobre, le ministre de la Défense Yoav Gallant affirma qu’il faut un « siège complet » de la bande de Gaza; « pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé », a-t-il déclaré : « Nous combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence »[12].

Pour le major Giora Eiland, ancien chef du Conseil de sécurité nationale d’Israël, le fait de « créer une grave crise humanitaire à Gaza est un moyen nécessaire pour réaliser notre objectif. Gaza deviendra un lieu où aucun humain ne peut exister. »[13] (12 octobre 2023)

Le président d’Israël, Isaac Herzog, trancha pour sa part le 14 octobre 2023, que « C’est toute une nation qui est responsable. Cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas au courant, ne sont pas impliqués, n’est absolument pas vraie. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu se battre contre ce régime diabolique »[14].

Le major Ghassan Alian, coordinateur gouvernemental des territoires occupés, énonça clairement les intentions militaires israéliennes. « Les animaux humains, dit-il, doivent être traités comme tels. Il n’y aura ni électricité ni eau à Gaza, il n’y aura que la destruction. »[15]

Le premier ministre Benjamin Netanyahou donna une coloration religieuse à l’entreprise génocidaire lorsqu’il déclara, le 26 octobre 2023, que le peuple palestinien était le peuple des ténèbres : « Nous sommes le peuple de la lumière, eux sont le peuple des ténèbres – et la lumière triomphera des ténèbres. » … « Nous allons réaliser la prophétie d’Isaïe : il n’y aura plus de vol à vos frontières et votre portail sera celui de la gloire »[16].

Le ministre de la Sécurité nationale, Ben Gvir, coordonnait le 29 octobre la distribution d’armes aux colons de Cisjordanie[17]. Il s’est opposé à laisser passer l’aide humanitaire (« Israël ne traite pas des affaires humanitaires ») et a même affirmé que les femmes et les enfants devraient être envoyés en Écosse[18].

La ministre du Renseignement, Gila Gamliel, a recommandé de transférer toute la population de Gaza au Sinaï et considéré que cela était une solution stratégique[19].

Les idées avancées par les autorités israéliennes semblent avoir un effet auprès de certaines élites influentes. L’éditeur du Jewish Chronicle, Jake Wallis Simons a affirmé dans un article qu’il a par la suite retiré : « une grande partie de la culture musulmane est en proie à un culte de la mort qui sacralise l’effusion de sang »[20]. Le journaliste animateur radio David Mizrahy Verthaim aurait, quant à lui, proféré : « Il nous faut une réponse disproportionnée… Si tous les captifs ne sont pas rendus immédiatement, transformez la bande en abattoir. Si un cheveu tombe de leur tête, exécutez les prisonniers de sécurité. Violer n’importe quelle norme, sur le chemin de la victoire »[21]. Le chanteur Eyal Golan aurait, pour sa part, lancé : « Nous devons raser Gaza et ne laisser aucun survivant là-bas »[22].

Dans le Guardian, le journaliste Chris McGreal estime que le langage utilisé pour décrire les Palestiniens a un caractère génocidaire[23]. Le journaliste Raz Segal considère même qu’il s’agit d’un cas d’école de génocide[24].

L’envoyée spéciale de l’ONU, Riyad Mansour, a accusé Israël de mener une campagne génocidaire contre Gaza[25].

Plusieurs experts mandatés par l’ONU pensent qu’Israël court le risque de se faire accuser de génocide:

« Sept rapporteurs spéciaux des Nations unies, des experts indépendants nommés par l’ONU, ont publié jeudi un communiqué dans lequel ils s’inquiètent d’un risque de génocide à Gaza et demandent à Israël et ses alliés d’accepter un cessez-le-feu immédiat. »[26]

Un haut responsable du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, Craig Mokhiber, a démissionné en protestant contre “l’échec” des Nations unies à empêcher ce qu’il a qualifié de “génocide” des civils palestiniens. »[27]

Conclusion

Une collectivité humaine est visée. Les Gazaouis sont une composante du peuple palestinien, les autres composantes étant les Palestiniens de la Cisjordanie, ceux à l’intérieur d’Israël et la diaspora (réfugiés, exilés) dispersée dans le monde depuis la Nakba de 1948.

Les déclarations explicites du gouvernement israélien (Herzog, Netanyahu, Kallner, Eiland, Alian, Gvir et Gamliel) sont des expressions d’intention qui correspondent à des actions génocidaires menées à Gaza. Elles reviennent à dire en termes clairs : « Nous attaquons la population civile palestinienne afin de porter atteinte à son existence. » Elles représentent des pièces à conviction qui entraîneraient la condamnation d’Israël par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Mais Israël se tient en dehors de la juridiction de ce tribunal. L’impunité dont les dirigeants israéliens disposent est ce qui, sans doute, leur permet d’aller plus loin encore dans la démesure. Quoi qu’il en soit, les intentions ouvertement exprimées permettent d’étayer le plaidoyer visant à démontrer qu’Israël est en fait en train de commettre un génocide.

 

Notes

[1] https://britsinthephilippines.top/philippines-genocide-3-million-filipinos-killed/

[2] https://information.tv5monde.com/afrique/il-pleut-des-mains-sur-le-congo-lethnocide-colonial-belge-oublie-23673

[3] https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/the-armenian-genocide-1915-16-in-depth

[4] https://museeholocauste.ca/fr/histoire-holocauste/

[5] https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/genocide-of-european-roma-gypsies-1939-1945

[6] Robin Philpot, Rwanda and the New Scramble for Africa: From Tragedy to Useful Imperial Fiction, Montréal, Baraka Books, 2013.

[7] https://www.ohchr.org/…/Prof…/Pages/CrimeOfGenocide.aspx

[8] https://arretsurinfo.ch/les-temoignages-du-7-octobre-revelent-que-larmee-israelienne-bombarde-les-citoyens-israeliens-avec-des-chars-et-des-missiles/ . Voir aussi https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/massacres-du-7-octobre-des-temoins-251196

[9] https://www.theguardian.com/world/2023/oct/10/right-now-it-is-one-day-at-a-time-life-on-israels-frontline-with-gaza

[10] William Schabas, Genocide in international law, Cambridge University Press, 2009, chapitre 5.

[11] https://twitter.com/search?q=Ariel%20Kallner&src=typed_query

[12] https://www.youtube.com/watch?v=rlgHztaeoO4&ab_channel=MojoStory

[13]  https://www.youtube.com/watch?v=CRHz0dZwF2A&ab_channel=TimesRadio

[14] https://twitter.com/Sprinte…/status/1713064886027063584…

[15] https://www.youtube.com/shorts/5a0EWv-o7mE

[16] https://www.youtube.com/watch?v=wI3RAah0kxk&ab_channel=MojoStory

[17] https://x.com/shizoor/status/1718742345342984376?s=20

[18] https://www.middleeastmonitor.com/20231101-israel-far-right-minister-opposes-humanitarian-aid-for-gaza/?utm_campaign=wp_todays_worldview&utm_medium=email&utm_source=newsletter&wpisrc=nl_todayworld

[19] https://www.972mag.com/intelligence-ministry-gaza-population-transfer/ ; voir aussi
https://www.trtfrancais.com/actualites/un-document-israelien-suggere-lexpulsion-des-palestiniens-de-gaza-vers-le-sinai-egyptien-15625412

[20] https://twitter.com/mehdirhasan/status/1711137690807112057?t=P9J2tqEu9dLkk3YfVV3kmQ&s=19

[21] https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/oct/16/the-language-being-used-to-describe-palestinians-is-genocidal

[22] https://www.youtube.com/watch?v=1yyv6e1Mn20&ab_channel=Europe1

[23] https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/oct/16/the-language-being-used-to-describe-palestinians-is-genocidal

[24] https://jewishcurrents.org/a-textbook-case-of-genocide

[25] https://www.reuters.com/world/middle-east/palestinian-un-envoy-accuses-israel-genocidal-campaign-against-gaza-2023-10-10/

[26] https://unric.org/fr/gaza-israel-risque-grave-de-genocide-rapporteurs-de-lonu/

[27] https://twitter.com/MehdiHasanShow/status/1721343574904582433?utm_campaign=wp_todays_worldview&utm_medium=email&utm_source=newsletter&wpisrc=nl_todayworld