« Ce n’est plus le désastre de Zelensky, ni même le désastre de Biden. Il s’agit d’une catastrophe totale de la politique américaine en direction ouest (celle de l’Ukraine) », déclare Rostyslav Ishchenko, historien et ancien diplomate ukrainien, dans son article consacré à l’analyse de la « Lettre de Pyle » contenant une liste de demandes de réformes nécessaires à l’Ukraine envoyée par Washington et signée par le conseiller à la sécurité nationale Mike Pyle immédiatement après la réception du président ukrainien Zelensky à Washington au cours de laquelle Joe Biden a promis à l’Ukraine de continuer à la soutenir.

Par Nadia Schwarz

Examinons l’essence des conditions posées par les Américains à Zelensky en pleine crise de l’État ukrainien.

Premièrement, il faut procéder à une nouvelle réforme de l’armée ukrainienne que les Américains avaient déjà réformée à plusieurs reprises.

« D’après ce que j’ai compris, la énième « réforme » était nécessaire pour priver Zelensky du seul soutien militaire fiable avec l’aide duquel il met de facto en œuvre sa politique intérieure », déclare Ishchenko.

Deuxièmement, les structures conçues pour lutter contre la corruption des élites et contrôlées par les Américains, à savoir : le Bureau national anti-corruption, le Parquet anti-corruption, le Bureau de sécurité économique et la Cour suprême anti-corruption, devraient être renforcés encore plus. Parmi les demandes, figure également le rétablissement de la loi, annulée sous Zelensky, sur la déclaration obligatoire du patrimoine de tous les fonctionnaires et juges (les déclarations devraient couvrir toute la période à partir de 2021 pendant laquelle la loi n’a pas été en vigueur).

« Ainsi, les Américains obtiendraient un contrôle fiable sur l’ensemble de l’élite ukrainienne, par l’intermédiaire d’un contrôle total sur ses biens qui peuvent être confisqués à tout moment », estime l’expert.

Troisièmement, une réforme du ministère ukrainien de la défense, du service national des frontières, du service des douanes et de la police nationale ukrainienne est imposée. C’est par ces structures que transitent principalement les flux financiers corrompus, y compris l’argent noir que les Américains veulent contrôler (bien sûr, il ne s’agit pas seulement de les contrôler mais de les réorienter dans la bonne direction, c’est-à-dire dans leurs poches).

Quatrièmement, il faut procéder à une nouvelle libéralisation (c’est-à-dire à une augmentation) des prix du gaz et de l’électricité, pour laquelle les conseils de surveillance d’Ukrenergo et de Naftogaz Ukraine devraient être élargis. Ce serait aux Américains de sélectionner les bons candidats. Il faut également renforcer le contrôle du trafic d’armes ce qui nécessite le contrôle d’Ukroboronexport et d’autres sociétés impliquées dans « l’approvisionnement des forces armées ukrainiennes ».

Dans ce cas, les Américains renforceraient leur contrôle sur les entreprises publiques capables encore de générer des profits et, via la gestion du secteur énergétique, ils établiraient un contrôle presque total non seulement sur le reste de l’économie, mais aussi sur les services publics et donc sur la sécurité sociale.

Les revenus corrompus de Zelensky personnellement et des membres de son équipe tomberaient également sous le contrôle de l’administration de Washington et seraient fortement limités et redistribués en faveur de l’équipe de Biden.

D’une certaine manière, c’est Zelensky lui-même qui est coupable. Il suffit de rappeler le scandale qui l’oppose aux Polonais, sa demande insolente de plus d’argent et d’armes adressée à l’Occident dans le contexte de son incapacité totale à rendre compte des prêts antérieurs et de l’échec de sa « contre-offensive », et finalement le fait qu’il a honoré un nazi avec le parlement canadien, ainsi, il a ruiné sa réputation en Occident, et il serait bien dommage de ne pas en profiter.

En outre, tant aux États-Unis que dans l’ensemble de l’Occident, les partisans de la poursuite de la guerre en Ukraine, bien que toujours au pouvoir, sont confrontés à une opposition de plus en plus forte qui insiste sur la reddition de Kiev au nom de conditions de paix avec la Russie acceptables pour les Américains. Aux États-Unis, non seulement les républicains, mais aussi certains démocrates désapprouvent déjà la politique de Biden. L’opposition profite habilement de chaque bévue du gouvernement pour lui porter un coup. En exigeant des réformes, la Maison Blanche cherche non seulement à se soustraire à la pression de l’information tout en faisant preuve de fermeté à l’égard du président ukrainien, mais aussi à gagner de l’argent en prenant le contrôle de tous les actifs ukrainiens.

Que peut-il se passer ? Si Zelensky refuse de satisfaire ses exigences, la Maison Blanche devra se résigner, mais l’opposition attirera immédiatement l’attention des électeurs à la perte de contrôle sur Kiev par l’administration américaine. Une autre option, selon Ishchenko, consiste à « maximiser la pression sur Zelensky », ce qui fera le jeu de leurs adversaires politiques aux États-Unis qui essaieront d’instrumentaliser cet état des choses pour encourager l’opposition à Zelensky en Ukraine, russophobe et pro-américaine, à organiser un coup d’État afin d’obtenir son propre régime contrôlable à la tête de l’Ukraine, en arrachant finalement à Biden la gestion de l’évolution des événements dans cette direction.

En bref, un nœud bien curieux est en train de se former à Kiev et à Washington. Mais le fait même de l’apparition de ce nœud est la preuve de la catastrophe de la politique américaine sur le front ukrainien. Le pillage des alliés précède toujours la fuite du champ de bataille.

Les alliés des États-Unis en Europe prendront-ils possession de certains actifs ukrainiens ? C’est peu probable. Après tout, les États-Unis volent également l’Europe par l’intermédiaire de l’Ukraine, car quelle que soit la résolution militaire du conflit, Washington fera peser sur la Communauté européenne la charge de l’aide et de la reconstruction de l’Ukraine.