La question du blocage de nouvelles au Québec et au Canada par Meta retient l’attention depuis quelques semaines déjà. Plusieurs y voient un bras de fer entre le géant propriétaire de Facebook et Instagram et le gouvernement canadien. D’autres y voient un affrontement typique de David contre Goliath, avec, dans un coin du ring, les médias traditionnels et l’autre, Mark Zuckerberg et ses potes. Les deux sont vrais, évidemment. Mais, pour rester dans la métaphore, le combat est bien plus grand que ce que démontre la pointe de l’iceberg : c’est une attaque directe à la démocratie et à la vie collective et sociale des Canadiens, des Québécois et dans le cas qui nous occupe, des Mauriciens.

Rappelons d’abord les faits : Meta, compagnie-mère de deux des plus importants réseaux sociaux de la planète, a choisi de restreindre l’accès du public à l’information de qualité, vérifiée et vérifiable, parce qu’elle refuse de verser de compenser les médias pour l’utilisation de leurs contenus. 

Pourtant, le même géant a accepté de s’entendre avec d’autres pays comme l’Australie et a même ratifié une entente avec l’Union européenne.

Pourquoi pas nous? La réponse leur appartient, mais mon flair de journaliste pendant 16 ans me dit que Zuckerberg et compagnie sous-estiment tout simplement le Canada et ses médias. Ils sauront – et devront – répondre ultimement, de façon claire, à cette question. 

Pour l’instant, Meta se targue plutôt d’être l’entreprise qui permet aux médias de profiter de ses plateformes, de la circulation qu’elles génèrent et estiment pratiquement que c’est grâce à elles que les médias survivent. Certes, elles aident, mais c’est bien réducteur envers le travail des médias. Meta oublie une chose importante : il ne produit pas de contenu de nouvelles. Justement, une grande partie de ses utilisateurs profite de ce lieu d’échange pour s’informer, bien plus que pour visionner simplement les vidéos de chat ou participer à un test qui prédit leur avenir. Donc, sur ce point, Meta a raison de dire que ses plateformes permettent à l’information de circuler davantage, mais il oublie de dire que sans ce contenu, moins de « J’aime », moins de partages, moins de commentaires. Meta devrait accorder une valeur au contenu médiatique, pas juste à comment il circule. Et encore plus à une information de qualité, vérifiée. Même si le style de certains médias peut déplaire, il n’en demeure pas moins que Meta perd au change, si jamais il a une conscience sociale, car il permet à de fausses informations d’avoir plus de place. 

Bien sûr, je défends ma patrie et je prêche pour ma paroisse. Sauf que je pense sincèrement que la population n’en sort pas gagnante. 

Revenons au point démocratique. Au-delà de la bataille et de votre opinion sur les médias, je vous pose la question bêtement : dans quelle autre situation laisseriez-vous un géant américain décider de ce que vous devez ou pouvez consommer? 

C’est comme si demain matin, MacDonald’s se chicanait avec le gouvernement Trudeau et vous réduisait à ne manger que des Big Mac jusqu’à temps qu’on s’entende, en vous disant que ce n’est pas grave pour la santé. La comparaison peut paraître loufoque ou exagérée – elle l’est volontairement – mais clairement, vous enverriez promener sur le champ cette autre multinationale du sud. Alors pourquoi serait-ce acceptable pour Facebook et Instagram? 

Meta, actuellement vous empêche de vous renseigner sur  des enjeux sociaux, culturels, économiques et environnementaux, fait fi de votre intérêt pour la culture et le succès de votre artiste préféré de passage ce soir à la salle de spectacle de chez vous. Littéralement, Meta vous dit qu’il n’en a rien à cirer de vous et de vos intérêts, de votre contribution à la vie sociale. Moi, c’est ça qui me fâche le plus. Les médias, quoique vous en pensiez, permettent tout ça.

Bien plus encore que tout le grand combat, les médias donnent aussi la parole aux gens. Ils défendent la veuve et l’orphelin en faisant un contrepoids important aux décideurs. Rappelons-nous ces situations ou des immigrants ont vu leur dossier de visa réglé par la médiatisation du dossier, cette résidence dont la fermeture vient bouleverser la vie des aînés, ces citoyens qui ont de la difficulté à joindre les deux bouts et dont les problématiques ont pu être réglées ou améliorées grâce à un travail journalistique.

Est-ce que les médias doivent réinventer leur modèle d’affaires? Bien sûr. Ils auraient dû le faire avant, même, si vous me posez la question. Mais il n’est pas trop tard et c’est le temps, plus que jamais, de démontrer que vous tenez à eux. Il en va d’une saine démocratie.

Pensez à des médias, comme celui que vous lisez en ce moment, qui ont un impact significatif sur leur milieu, qui mettent en lumière des situations de la sphère publique qui passeraient sous le radar, qui expliquent des éléments de l’actualité pour vous aider à une meilleure compréhension des enjeux et qui donnent une voix à d’autres citoyens qu’aux décideurs. 

C’est tout ça qui est en péril si la situation perdure.

Marc-André Pelletier – Président de la Fédération professionnelle des journalistes de la Mauricie

L’article original est accessible ici