Alors que le verdict imminent de son extradition vers le pays de la bannière étoilée tient en haleine les militants du monde entier, un homme calme et posé se montre confiant quant à l’avenir de Julian Assange. Il s’appelle John Shipton, et parmi les merveilles que la vie a pu lui offrir, la plus extraordinaire a peut-être été le cadeau – et le cadeau qu’il nous a fait – du journaliste australien. Avec une détermination et un dévouement inébranlables, le père de Julian Assange a toujours été en première ligne pour défendre la cause de son fils. Cependant, il reste encore trop de questions sans réponse que la justice n’a pas pu résoudre. Nous avons donc pris contact par téléphone avec John Shipton qui, depuis l’Australie, nous a donné un point de vue de l’intérieur sur la situation actuelle de Julian, sur l’avancement de la bataille juridique et sur le soutien mondial dont bénéficie l’affaire. À l’heure où la transparence est de plus en plus mise en cause, sa voix nous rappelle que la recherche de la vérité est notre responsabilité à tous.

Par Riccardo Ongaro pour lindipendente.online

Comment va Julian ?

Julian entre maintenant dans sa quinzième année d’incarcération sous une forme ou une autre. Ce n’est donc pas très bon. Et il semble qu’il soit sur le point d’être extradé vers les États-Unis, ce qui ne fait qu’empirer les choses.

Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

En octobre dernier. J’irai donc à nouveau en octobre pour lui dire bonjour. Cependant, je pense qu’il est préférable que Stella y aille et rende visite aux enfants.

Pour préparer cet entretien, nous avons échangé quelques courriels en utilisant un service qui les crypte. Est-ce quelque chose que Julian vous a recommandé d’utiliser ?

Oui. Julian l’a fait. Julian crypte toutes ses communications. Il est préférable de procéder ainsi car, pour une raison ou une autre, il y a 10 ou 15 ans, la transparence nous permettait de voir ce que faisaient les gouvernements et les entreprises. Aujourd’hui, la transparence a été renversée et maintenant les gouvernements veulent voir tout ce que nous faisons. Ce n’est pas bien, vous savez ?

Comment voyez-vous Julian en tant que fils ? Qui est la personne derrière lui ?

Vous savez, ce ne sont pas des questions auxquelles je peux répondre, parce que tout d’abord, c’est privé, et ensuite, il vaut mieux ne pas rendre publiques des choses privées. Et comme je viens de le dire, de nos jours, la vie privée s’est dégradée. Les gouvernements aiment donc la vie privée et le secret, et nous sommes censés ne pas en avoir. Mais le peu qu’il nous reste, nos sentiments les uns envers les autres, sont basés sur le fait que nous les gardons privés.

Je vous vois dans les interviews et dans votre documentaire Ithaka, toujours souriant et avec une attitude positive. Mais comment pouvez-vous toujours faire face à la situation avec une énergie positive ?

Je crois que dans chaque cœur humain, il y a une faim de justice et un dégoût de l’injustice. C’est très encourageant et cela s’est avéré vrai, car le soutien à mon fils s’est développé dans le monde entier d’une manière extraordinaire. Aujourd’hui, un tiers du parlement grec et 45 % du parlement australien soutiennent Julian en tant que président. Tous les présidents des principaux pays d’Amérique latine et tous les parlements européens, l’Italie en particulier, ont un « groupe Assange ». Des millions de personnes dans le monde. J’ai donc bien l’impression que les gens ont soif de justice. Oui, et cela remonte le moral et le maintient à un niveau élevé.

Que vouliez-vous dire lorsque vous avez déclaré dans le documentaire que « l’Italie a une grande variété de points de vue et se préoccupe vraiment de l’affaire », est-ce à dire que nous avons de nombreux groupes actifs ?

En Italie, il existe de nombreux groupes actifs, de la frontière suisse à Palerme. On pourrait dire que les sénateurs italiens ont été les premiers à porter la situation de la persécution de Julian Assange devant le Conseil de l’Europe. Et suite aux activités des sénateurs italiens, le Conseil de l’Europe a émis une déclaration (enfin, deux déclarations) en faveur de mon fils. C’est réellement important. Cela a commencé il y a trois ans et ils ont réitéré cette déclaration de soutien il y a deux ans.

Qu’en est-il du Parlement australien et de la communauté australienne ? Je viens de voir que Kennedy a parlé de la situation de Julian dans le Sydney Morning Herald. Quel est l’état d’esprit en Australie ?

Ici, 88 % de la population réclame le retour de Julian à la maison. Au Parlement, cinquante députés font partie du « groupe Assange » et cent membres du Parlement ont demandé la libération de Julian. Une délégation de parlementaires et de sénateurs se rendra aux États-Unis le 20 septembre pour demander aux autorités américaines de permettre à Julian de rentrer en Australie. Tant le Premier ministre que le chef de l’opposition font des déclarations en faveur de Julian. On peut dire que l’ensemble de la politique australienne – la population, les parlementaires et les institutions – souhaite le retour de Julian en Australie et la fin de la persécution.

Que va-t-il se passer prochainement ? C’est la dernière chance pour Julian auprès de la Cour britannique… Quel est le plan, vont-ils demander l’aide de la CEDH (Cour européenne des droits humains) ?

Aux dernières nouvelles, Julian a déposé une demande auprès de la Haute Cour du Royaume-Uni en vue d’une audience, d’un réexamen de sa situation. Cette décision n’a pas encore été prise. La Haute Cour n’a donc pas annoncé sa décision. Quant à la requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, elle ne peut être engagée tant que toutes les autres voies n’ont pas été résolues. Par conséquent, si la Haute Cour rejette l’audience, Julian peut déposer une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, et je suis sûr qu’il le fera. J’ai lu l’autre jour dans un journal que le Royaume-Uni envisageait, ou que quelqu’un dans les institutions envisageait, de dire que Julian ne devrait pas être autorisé à se rendre à Bruxelles pour faire appel. Je ne sais pas si c’est vrai ou non. Je viens de le lire dans le journal. Ce serait un énorme scandale si le Royaume-Uni empêchait ou tentait d’empêcher Julian de faire appel à la Cour européenne des droits humains. Ce serait donc un autre scandale.

Que diriez-vous à Mme Clinton qui, il y a quelques années, dans l’affaire Assange, a déclaré à un journaliste que quiconque ferait quelque chose devrait en payer les conséquences ?

Hillary Clinton a organisé la destruction de la Libye, a participé à la destruction de l’Irak et à la destruction du Pakistan. En d’autres termes, personne ne prête attention à une femme sanguinaire et meurtrière comme elle : elle n’est plus un personnage important dans le monde et le peuple des États-Unis, lorsqu’elle s’est présentée à la présidence, l’a rejetée.

Comment Julian fait-il face à toutes ces choses ? Comment réagit-il aux nouvelles et à tout ce qui se dit à son propos ?

La diffamation et le harcèlement moral dont Julian a été victime, la malveillance et les scandales sans scrupules, les mensonges, sont très débilitants. Le rapporteur des Nations unies sur la torture et les peines inhabituelles, le professeur Milzer, a décrit ces événements, le dénigrement, le harcèlement, les mensonges, les scandales sans scrupules, la malveillance, l’effondrement de la procédure régulière, la dégradation des droits humains de Julian et la dégradation de ses droits. Il parle de torture, de torture psychologique. Il a également expliqué que toute torture, physique ou mentale, vise à vous faire changer de mentalité. Son but n’est pas de vous faire mal au doigt. L’objectif est d’agir sur votre esprit. Ils veulent que vous révéliez quelque chose ou que vous changiez d’avis. Quand on sait que le traitement de Julian a été qualifié de torture psychologique dans l’analyse finale de son rapport de 26 pages, que Melzer a soumis à l’Assemblée générale de l’ONU et qui a été reçu. Il le décrit comme « un meurtre au ralenti sous nos yeux ». Je ne peux pas dire plus fermement que nous avons été témoins et sommes témoins de la tentative du Royaume-Uni, des États-Unis et, auparavant, de la Suède d’assassiner quelqu’un par le biais d’une procédure, de la dégradation de ses droits humains, de l’abandon d’une procédure régulière et de poursuite malveillante.

Que dites-vous à Gabriel et Max, les fils de Julian, lorsqu’ils demandent des nouvelles de leur père ?

Je leur raconte une bêtise pour détourner leur attention. « Oh regardez, il y a un chaton tout mignon… Qui est le premier à voir un gros chien noir ? Je ne réponds pas, je détourne simplement l’attention de quelque façon que ce soit, vers quelque chose d’agréable. »

Sont-ils conscients de la situation ?

Ils sont petits. C’est donc à cela qu’ils sont habitués. Mais leur père leur manque. C’est bon d’avoir un père.

M. Shipton, que s’est-il passé ce jour-là dans la cuisine lorsque Julian vous a parlé de Wikileaks et de ses activités ?

J’ai juste entendu, vous savez, parce que j’ai eu cette idée fantastique que cela apporterait la sécurité aux personnes qui étaient des sources d’information et le publiait de manière à ce que tout le monde dans le monde puisse avoir accès à ces informations et faire sa propre analyse et, par conséquent, créer la connaissance.

Que diriez-vous à tous ceux qui, après avoir lu cette interview, vont retourner à leur vie, à leurs enfants et aux choses normales ?

C’est une très bonne question. La raison pour laquelle ils censurent ce que nous disons et ce que nous pouvons lire est qu’ils comprennent que la parole est importante. Tout ce que nous avons à faire, c’est de parler entre nous des questions sur lesquelles nous n’avons pas de débat d’idées et, par conséquent, de construire la vérité. C’est tout ce que nous avons à faire. Et de la vérité naîtra l’action. Ce n’est pas difficile.

Je ne veux rien ajouter d’autre. Je vous remercie de votre attention.

Je voudrais juste vous quitter avec ceci… La dernière ligne de L’Enfer de Dante : « Et puis nous émergeons une fois de plus pour voir les étoiles ».

 

Source original : https://www.lindipendente.online/2023/09/22/exclusive-interview-with-john-shipton-father-of-julian-assange/

Source espagnol : Sin Permiso / Resumen latinoamericano

 

Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet

L’article original est accessible ici