Le 31 janvier 2023, j’avais posé la question suivante : « L’humanité a-t-elle encore une chance ? » et, à la fin de mon article, j’avais attiré l’attention sur le livre « Pluriversum – Ein Lexikon des Guten Lebens für alle » (Pluriversum – Un lexique d’une vie meilleure pour tous). Fin septembre, il paraît en allemand aux éditions AG SPAK.

Avec leur livre, les éditeurs/éditrices Ashish Kothari (Pune), Ariel Salleh (Sydney), Arturo Escobar (Caroline du Nord), Federico Demaria (Barcelone) et Alberto Acosta (Quito) souhaitent inviter les lecteurs/lectrices à « s’engager dans un processus profond de décolonisation intellectuelle, émotionnelle, éthique et spirituelle ». Wolfgang Sachs, chercheur renommé en développement durable, écrit en introduction que l’heure est désormais à la « survie plutôt qu’au progrès » et que « la surchauffe de la planète et la dégradation de la biodiversité n’ont pas été les moindres à saper la croyance selon laquelle les nations développées sont à la pointe de l’évolution sociale ».

Alternatives au « progrès » et au « développement »

Les éditeurs/éditrices souhaitent opposer au développementalisme dominant – cette insistance idéologique sur le « développement » en tant qu’accélération de la technologie et de la finance – des visions et des pratiques variées d’une vie meilleure pour tous. Ils complètent leur analyse marxiste « par des perspectives telles que le féminisme et l’écologie, ainsi que par des conceptions issues du Sud global, y compris les idéaux de Gandhi ». Un pluriversum d’un « monde dans lequel plusieurs mondes ont leur place » – tout à fait dans l’esprit des visions du monde zapatistes. Les zapatistes sont des activistes indigènes du Chiapas, au sud du Mexique, qui construisent depuis les années 1980 des structures sociales auto-organisées. Avec leur slogan « En avant, en se questionnant » ils expriment leur attitude critique et féministe face au monde. Durant l’été 2021, ils ont effectué un « voyage pour la vie » en Europe afin de rassembler des mouvements « de gauche et d’en bas » dans le monde entier. Plusieurs articles du livre Pluriversum font référence à eux.

La préoccupation des zapatistes : « Il s’agit de nous mettre en réseau et d’unir nos luttes » et : « Nous ne chercherons pas les différences, mais ce qui nous unit ». (vidéo de mobilisation pour le voyage). Dans l’espace germanophone, il n’est pas facile de rassembler les différentes luttes et projets pour un autre monde de manière à ce que nous puissions, en unissant nos forces, faire quelque chose contre ce qui est mauvais. Trop souvent, les pseudo-alternatives se répandent, le greenwashing, le socialwashing et la diversité deviennent des éléments de modèles commerciaux rentables. Ceux-ci misent sur des ‘solutions’ techniques et, au sein de la société également, un sentiment de plus en plus orienté vers la science et la technique, voire parfois carrément hostile à la nature, semble se répandre. Les autres approches alternatives sont marginalisées, voire diffamées. Les programmes de promotion du social business entretiennent ce qui a peut-être commencé un jour de manière rebelle.

Mais il y a aussi de l’espoir, par exemple des militants irréductibles de la justice climatique qui occupent des biotopes menacés de destruction pour les protéger ; des projets de sauvetage en mer qui dénoncent les meurtres systématiques aux frontières extérieures de l’Europe et soutiennent solidairement les personnes en fuite ; des projets collectifs d’habitat, de travail et de culture les plus divers qui tentent dès aujourd’hui de concevoir des formes de germes du futur. Tout cela est multiple – pluriversel ! -, jamais parfait, mais réel, agissant au niveau local et relié à l’échelle mondiale.

Des voix fortes du monde entier

Le livre Pluriversum présente plus de 100 voix fortes du monde entier, qui célèbrent la diversité tout en se rassemblant autour d’idées fondamentales fédératrices. Elles se démarquent des fausses solutions qui sonnent bien. Il s’agit tout d’abord d’expériences globales de cette évolution et de ses crises. Vient ensuite un regard critique sur les solutions réformistes d’universalisation de la terre. La plus grande partie est consacrée aux initiatives de transformation – un pluriversum de concepts économiques, sociopolitiques, culturels et écologiques, de visions du monde et de pratiques du monde entier se déploie devant les lecteurs/lectrices. Cette diversité est une valeur en soi.

Dans le monde entier, le livre a suscité l’enthousiasme après sa publication en anglais en 2019 sous le titre Pluriverse – A Post-Development Dictionary en Inde. Quelques exemples :

« Ce dictionnaire d’une vie meilleure pour tous remet en question l’illusion économique du libre marché. (Mogobe Ramose, Afrique du Sud).

« En ces temps critiques, ce livre important nous montre un éventail incroyable d’alternatives et nous aide à repenser la valeur de nos sociétés et le sens de la condition humaine ». (Jingzhong Ye, Chine).

« Ce livre est une bouffée d’air frais. Il ouvre de nombreuses portes conceptuelles sur un plurivers de visions du monde et de pratiques du monde entier et dépasse l’illusion de la pensée conventionnelle du développement comme voie vers une planète écologiquement durable ». (Lourdes Benería, Espagne).

« En ouvrant ce livre, mon cœur a cessé de battre. Il existe enfin une possibilité de comprendre l’avenir alternatif qui se dessine dans le monde entier. … Pluriversum incarne au mieux les principes et la diversité qu’il défend. Un livre indispensable pour tous ceux qui aspirent au meilleur des mondes. (Juliet Schor, États-Unis).

« C’est un livre d’une ampleur stupéfiante et d’une érudition provocante et convaincante ». (Sylvia Marcos, Mexique).

Programme multimédia de Grupo Sal

Grupo Sal joue de la musique latino-américaine qui sert de cadre à une « série de conversations en direct avec des intellectuels, des chercheurs, des activistes et des politiciens/politiciennes de tous les continents, engagés dans d’importantes luttes sociales et environnementales ». Pour les six musiciens, Pluriversum est « la connaissance, la reconnaissance et la diffusion d’une diversité de perspectives émancipatrices non reconnues ou réprimées ».

En collaboration avec la journaliste Sandra Weiss, Alberto Acosta anime les manifestations. L’ancien ministre de l’Énergie et des mines de l’Équateur est l’un des initiateurs/initiatrices du référendum contre la poursuite de la déforestation du parc national Yasuní, qui a été remporté le 20 août 2023 avec 60% des suffrages exprimés. Il a rendu compte de cet événement historique dans un entretien avec Sandra Weiss paru dans le taz (NdT: le taz, abréviation de Tageszeitung est un journal allemand) du 21 août 2023.

Lors de la tournée d’automne en septembre et octobre 2023, tous deux présenteront également le livre Pluriversum. Ils seront accompagnés de projections vidéo de l’artiste Johannes Keitel, qui permettront de condenser visuellement les thèmes abordés.

Un livre pour tous

Entre-temps, le livre Pluriversum a été traduit dans de nombreuses langues. La traduction de l’édition allemande à partir de l’anglais a été assurée bénévolement par un groupe de personnes engagées. Les auteurs/auteures avaient également rédigé leurs textes bénévolement.

Le livre contient de nombreux termes qui ne seront peut-être pas immédiatement compréhensibles pour tous les lecteurs. Les traducteurs/traductrices ont expliqué certains d’entre eux dans leurs propres notes et les ont signalés en conséquence. Les termes qui reviennent souvent sont indiqués par une flèche et se trouvent dans un glossaire qui n’existe pas dans l’édition anglaise et qui a été établi par l’éditeur.

Afin que le plus grand nombre de personnes possible puisse lire le livre Pluriversum, il est disponible gratuitement en ligne. Mais comme il est beaucoup plus agréable de lire sur papier que sur écran, il devait également être disponible à un prix raisonnable, malgré le grand nombre de pages. Au lieu d’une demande de subvention coûteuse, des dons ont été collectés afin de cofinancer les coûts de production et de parvenir à un prix de 15 euros seulement.

Ce qui est nécessaire maintenant.

Face à la peur justifiée de l’avenir, Wolfgang Sachs esquisse trois récits, celui « de la forteresse”, celui du “mondialisme” et celui de la “solidarité ». La pensée de la forteresse se caractérise par un néo-nationalisme avec des dirigeants autoritaires et la xénophobie. En revanche, le mondialisme invoque un commerce mondial aussi dérégulé et libre que possible avec une croissance verte. Dans le récit de la solidarité, la peur de l’avenir « exige la résistance contre les détenteurs du pouvoir qui apparaissent comme les garants de la société du ‘chacun pour soi’ et de la recherche du profit capitaliste. Au lieu de cela, les droits humains et les principes écologiques ont ici la cote, les forces du marché ne sont pas une fin en soi, mais un moyen pour atteindre ces objectifs ».

Mais comment renforcer ce récit de solidarité ? Alberto Acosta écrit dans la préface de l’édition française : « Il ne fait aucun doute qu’il reste encore un long chemin à parcourir, mais de plus en plus de mesures sont prises pour repositionner l’être humain en tant que partie de la nature, voire en tant que nature elle-même, et non plus en tant que son propriétaire et son dominateur. Les efforts pour se reconnecter à la nature émergent de nombreux coins de la planète ».

C’est une diversité de tels efforts – non pas exhaustive, mais une collection impressionnante et diversifiée – qui est présentée dans ce livre. Selon Acosta, il se veut « l’expression d’un processus de résistance et d’émancipation permanentes, de décolonisation de la pensée et de retrouvailles avec les racines culturelles des peuples de la terre et aussi avec les conditions de notre propre humanité en tant que nature (condición humana de Naturaleza). C’est à partir de là qu’il est possible – conformément à la Pachamama (Mère Terre) indigène – d’imaginer et de construire un changement de civilisation orienté vers la survie humaine sur la planète et une vie meilleure pour tous ».

En ce sens, le livre est dédié à tous ceux « qui luttent pour le plurivers en s’opposant à l’injustice et en cherchant des moyens de vivre en harmonie avec la nature ». Malgré un langage parfois assez académique, ce « Dictionnaire d’une bonne vie pour tous » s’adresse à bien plus de sens que ‘seulement’ l’intellect. Ainsi, la diversité des expériences et des pensées peut élargir le regard sur le monde et inspirer une action rebelle personnelle.

Puissent ce que vous avez lu et la connaissance de l’existence de ce livre être transmis et diffusés. Il n’y a pas une seule vérité, mais une multitude de perspectives et de chemins qui cherchent une Bonne Vie pour tous. Rassemblons-nous dans cet esprit pour construire ensemble le plurivers.


 

Livre en allemand:

Ashish Kothari, Ariel Salleh, Arturo Escobar, Federico Demaria, Alberto Acosta (Hg.): Pluriversum – Ein Lexikon des Guten Lebens für alle, Ende September 2023 (Un lexique d’une vie meilleure pour tous, fin septembre 2023), par AG SPAK Bücher, Neu-Ulm, ISBN 978-3-945959-67-1, 326 Seiten, 15,00 Euro, et gratuitement en ligne : http://www.agspak.de/pluriversum

Grupo Sal : www.grupo-sal.de

Remarques sur la transparence : j’ai initié la traduction du livre Pluriversum et j’ai moi-même participé à la traduction (gratuitement, comme tous les autres). Dans cet article, j’ai repris des citations de ma postface à l’édition allemande, sans le signaler séparément.

L’article d’Elisabeth Voss est paru sur le site de la Freitag Community.

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Traduit de l’allemand par Evelyn Tischer