3 juillet 2023, El Espectador

Sur les rives du fleuve Magdalena, à trois heures de Medellín et à zéro minute de lui-même, se trouve Puerto Berrío ;  une température de 34º, des bateaux à vapeur et des festivals du retour [fêtes organisées lorsque des personnes reviennent dans leur région ; NdT], de l’écologie et du cerf-volant ; des couleurs et des couchers de soleil chargés d’histoire, des locomotives, quatre communes et le Pont Monumental. Dans le Magdalena Medio Antioqueño, dans cette commune de 42 000 habitants et d’une superficie de 1 184 kilomètres carrés, la musique et la magie, les atarrayas (éperviers) et les échos de la douleur se croisent… à partir de tant de tropiques et de tant de violence nous avons dû apprendre à danser et à respirer entre l’euphorie et les tempêtes.

On l’appelait « Remolino Grande » (le grand tourbillon), d’autres le connaissaient comme “El corazón de Colombia” (Le cœur de la Colombie). Le nom est parfait : il reste le cœur d’un pays où l’on peut marcher dans les sillons creusés par la guerre et y planter des guacamayos et des ceibas (sortes d’arbre) jaunes, des pruniers, des anthuriums et des totumos (sortes de plante). Il reste le cœur d’un pays où les promesses de réconciliation se transforment en actes de paix et où l’on comprend que la rancœur est la pire manière de négocier les émotions.

Le jeudi 28 juin, dans le cœur de la Colombie, Pastor Alape, signataire de l’accord de paix, a enregistré sa candidature à la mairie au bureau d’enregistrement municipal. Ancien commandant du bloc Magdalena Medio des anciennes FARC, il s’est consacré, depuis la signature de l’accord du Teatro Colón entre Juan Manuel Santos et la plus ancienne guérilla des Amériques, à la réincorporation de plus de 13 000 anciens combattants ; il a rencontré les victimes, les villages et les familles qui ont souffert de la violence des FARC et, avec eux et sur leur territoire, il leur a demandé pardon. Avec des pelles et des mots, avec des rituels, des larmes et des houes, il a été aux côtés des victimes, tissant des rencontres de paix. J’ai assisté à certaines de ses auditions à la JEP (juridiction spéciale pour la paix) et je l’ai senti sincèrement triste et courageux, le regard et la voix brisés, reconnaissant sa responsabilité dans la tragédie.

Je n’oublierai jamais la première conversation que j’ai eue avec Pastor : son premier petit-fils de la paix venait de naître, et soudain le guerrier que j’avais tant vu dans les journaux télévisés devenait un grand-père d’une infinie tendresse. C’est ainsi que nous avons commencé à nous parler et à nous reconnaître…

J’en ai assez de la guerre, je ne suis pas tombée dans le catastrophisme à la mode, et j’espère qu’un jour nous pourrons reconnaître les erreurs. Combien de Colombiens qui ont ordonné ou commis des actes violents, qui ont manié ou financé des armes, qui ont été complices de tortures et de disparitions, continuent à marcher sur des tapis de sang, de corruption et de tyrannie, et pas une seconde ils n’ont demandé pardon ! Pastor a vécu, souffert et fait la guerre, et depuis 2016, il a exprimé sur tous les tons et par tous les actes que les armes étaient et seront une erreur et une horreur à laquelle il ne reviendra jamais.

Je connais l’engagement de Pastor pour la paix en Colombie, et c’est pourquoi j’ai dit sur Twitter que si je vivais à Puerto Berrío, je voterais pour lui. Les commerçants « impolis », les lâches fantômes du système, sont apparus avec leur amalgame de rage et de peur. Comme il est clair pour moi qu’il serait beaucoup plus offensant d’être incohérente que d’être insultée, je réaffirme ce que j’ai dit, et j’espère que les électeurs soutiendront la bannière de la réconciliation.

Point. Pleine solidarité avec Sergio Jaramillo, Héctor Abad Faciolince, Catalina Gómez, Victoria Amelina, et les milliers de personnes dont les corps et les âmes ont été blessés par la cruauté stupide de l’invasion russe de l’Ukraine. Témoins d’un tyran envahisseur et d’un peuple qui résiste ; une douleur courageuse, pleine de cicatrices.

 

Traduit de l’espagnol par Evelyn Tischer

L’article original est accessible ici