Discours de Yurii Sheliazhenko au Sommet international pour la paix en Ukraine
Discours lors de la séance plénière « Mouvement de la société civile et voix de la paix contre la guerre en Russie et en Ukraine »
Chers amis, je vous salue depuis Kiev. Quel honneur et quel plaisir de partager la scène dans la capitale de la neutralité, Vienne, avec des féministes véritablement favorables à la paix comme Karyna Radchenko, des courageux résistants non-violents à la machine de guerre de Poutine comme Oleg Bodrov, de véritables bâtisseurs de la paix, des spécialistes et des militants de la paix que nous avons entendus et que nous entendrons aujourd’hui, et non ces soi-disant manifestants contre la guerre qui, en fait, soutiennent la guerre, comme l’a fait remarquer Oleg. Il a dit la vérité ; voici un endroit où les Ukrainiens et les Russes épris de paix peuvent se réunir et dire la vérité, et la vérité nous unit.
C’est un soulagement de participer à ce sommet international pour la paix en Ukraine et de joindre ma voix aux nombreuses voix de la raison, pour le cessez-le-feu et les pourparlers de paix, pour la paix par des moyens pacifiques, après de nombreuses nuits sans sommeil dans des abris pendant les bombardements russes et après la lecture douloureuse de fils d’actualité transformés en ceintures de munitions par les propagandistes de la guerre.
Il est important qu’il s’agisse d’un sommet des peuples et non d’un sommet des gouvernements. Je vous assure que si demain, par miracle, tous les peuples du monde se réunissaient à Vienne et ailleurs pour dénoncer toutes les guerres, exiger le désarmement, le démantèlement des armées et l’abolition des frontières militarisées des États, tous les gouvernements du monde, qu’ils soient autoritaires ou « démocratiques », s’uniraient pour interdire un tel rassemblement qui menacerait leur soi-disant « sécurité nationale » ou, pour le dire clairement, l’illusion d’un pouvoir absolu par le biais de la violence.
Les gens libres, les civils honnêtes ne veulent jamais la guerre ; seuls les profiteurs de guerre et leurs gouvernements de poche veulent la guerre et empoisonnent l’opinion publique avec toutes sortes de mensonges, faisant croire aux gens que la paix, que les gens veulent et ont le droit d’obtenir, n’est possible qu’après des massacres obscènes – parce que c’est ce que la guerre est par nature : rien d’autre que des massacres.
Le déni de la paix par les riches et puissants bellicistes et leurs clients dans la politique, les médias, les universités et la société civile montre que la guerre est un choix, et non une fatalité. Seul ce choix peut expliquer l’inventivité dans l’expression de l’animosité et le manque d’imagination pour construire des ponts. Et ils font littéralement, intentionnellement, sauter les ponts !
Même la destruction du barrage de Nova Kakhovka et les inondations d’une ampleur biblique n’ont pas convaincu les présidents Poutine et Zelensky d’arrêter la guerre et de coopérer pour sauver les victimes. Apparemment, la lutte militaire pour le pouvoir et le jeu des reproches leur importent plus que les vies humaines. Alors que leurs armées continuent de s’attaquer l’une l’autre, tuant et terrorisant inévitablement des civils, les deux commandants en chef restent des négateurs suprêmes de la paix, recherchent la victoire sur le champ de bataille et refusent d’envisager toute possibilité de réconciliation. Honte à ceux qui refusent la paix !
À cause de cette folie, nous voyons d’horribles photos d’habitations détruites et coulées, de bus incendiés, de cadavres et de sang dans les villes des deux côtés de la ligne de front. Des centaines de milliers de morts, des millions de personnes déplacées. Une guerre d’usure qui va durer longtemps, dit-on. Quelle obstination et quelle cruauté de la part des planificateurs de guerre que d’envisager ce sacrifice sans fin de vies et d’espoirs au nom de leur pouvoir et de leurs profits illimités !
Certains disent qu’il est « immoral » de cesser d’armer l’Ukraine pour qu’elle puisse se défendre, comme si l’autoprotection non-violente et la diplomatie pour répondre aux caprices de quelqu’un étaient exclues, comme Poutine les a honteusement exclues en préférant l’agression militaire. Mais je pense qu’il est immoral d’alimenter la guerre par la fourniture d’armes. Le seul espoir de sortir du cercle vicieux de la violence et de la douleur auto-entretenues, de transformer cet enfer sur Terre en quelque chose qui ressemble à un paradis ou, au moins, à un royaume de la raison, est d’apprendre à résister aux agresseurs et aux tyrans sans violence, sans copier leurs méthodes et leur folie militariste.
La véritable morale ne consiste pas à tuer l’ennemi, mais à refuser de tuer, à rendre futile la violence des tyrans et des militaristes par la désobéissance civile, la résistance non-violente au militarisme et à la guerre, la solidarité et le soutien mutuel des civils de toutes les parties dans la résistance à la guerre, la défense des droits humains et la construction de la paix. Lorsque tous les peuples refuseront de tuer, il n’y aura plus de guerre. C’est la transformation finale dont notre monde a besoin, quoique, dans un premier temps, il est bon d’exiger de Poutine et de Zelensky qu’ils cessent le feu, qu’ils coopèrent pour remédier à la catastrophe humanitaire et qu’ils négocient une paix durable fondée sur une véritable réconciliation, et non sur les stratagèmes et les tentations géopolitiques de ce monde tristement polarisé. Sauver des vies et vivre dans la dignité est une question bien plus importante que de savoir qui dirige la Terre, Washington, Pékin ou qui que ce soit d’autre. Je ne souhaite certainement pas faire de Kiev la capitale d’un empire mondial, l’eurasisme et l’atlantisme me rendent malade, et tout ce que je souhaite, c’est que l’ordre mondial multilatéral soit centré sur la multitude de cœurs et d’esprits civils de tous les milliards d’êtres humains.
Parallèlement aux demandes opportunes de retrait de l’armée russe d’Ukraine, de retrait des bases militaires américaines d’Europe et de cessation de l’expansion de l’OTAN, nous devons exiger l’abolition de tout le système d’économie militarisée qui nous tue et nous prive de nos meilleurs espoirs d’un avenir pacifique et heureux, cela pour tout un siècle après la Première et la Deuxième Guerre mondiale, si ce n’est plus long. Et nous devons commencer ce grand changement vers une gouvernance et une gestion non-violentes en abandonnant le vieux mensonge popularisé autrefois par Adolf Hitler et, au profit des marchands de mort, répandu dans le discours public actuel, le gros mensonge selon lequel les pacifistes travaillent pour le camp ennemi. Non, ce n’est pas le cas ! Parce que nous transformons nos ennemis en amis, parce que nous sommes les voix de la conscience et du bon sens dans tous les camps, nous sommes la seule raison pour laquelle les gens sont encore des êtres raisonnables et non des monstres assoiffés de sang : c’est le résultat de notre humble mais vital travail en faveur de la paix, un travail miné par un déni de paix absurde et irrationnel.
Si vous n’aimez pas la multitude de plans de paix proposés par les négociateurs ukrainiens et russes à Minsk et Istanbul, par le Vatican, la Chine et de nombreux Pays du Sud Global, vous êtes libre de proposer votre propre plan de paix. Vous pourriez remplacer les soldats de la paix par des bâtisseurs de paix, des journalistes de paix, des éducateurs et des facilitateurs de dialogues publics réconciliateurs en Russie et en Ukraine ; remplacez la neutralité militaire par une solidarité antimilitariste ; si vous le souhaitez, remplacez les référendums par d’autres solutions pacifiques aux conflits territoriaux, comme l’arbitrage ou la souveraineté partagée, ou encore, après tout, un monde sans frontières. Mais si vous n’êtes pas fous, vous ne pouvez pas prétendre que les projets de guerre perpétuelle sont des projets de paix ; et vous ne pourriez pas transformer le discours public en un champ de mines furieux à la moindre allusion à la paix par des moyens pacifiques ou à la moindre allusion au fait que toutes les parties doivent être traitées équitablement et honnêtement; [ainsi qu’à l’allusion] que même le gouvernement agresseur ne doit pas être fabuleusement diabolisé et que même le gouvernement victime ne doit pas être injustement excusé pour avoir fait de son propre peuple la victime de violations des droits humains et de crimes de guerre [qui sont] inévitables lorsque vous menez une guerre, qu’elle soit défensive ou non, puisque la guerre tue, la guerre est criminelle de par sa nature.
Vous ne pouvez pas nier qu’il vaut mieux parler que tuer. Le refus de la paix est stupide et honteux par nature. Mon message à tous les négateurs de la paix : s’il vous plaît, ne soyez pas des négateurs de la paix, ne vous humiliez pas, utilisez vos connaissances et votre imagination pour affirmer la paix.
Vous ne pouvez pas nier que la résolution pacifique des conflits, et non l’effusion de sang, est une norme fondamentale du droit international.
Vous ne pouvez pas nier qu’une résistance efficace et sans violence à la violence est possible et nécessaire, comme l’ont prouvé le Mahatma Gandhi et le Docteur King.
Vous ne pouvez pas nier que le dialogue, et non les armes, mène à la réconciliation.
Vous ne pouvez pas nier que les guerres, et non les pourparlers de paix, sont des précédents historiques dangereux.
Vous ne pouvez pas nier que les personnes entraînées dans le hachoir à viande par la tromperie et la contrainte ne sont pas et ne peuvent pas être indépendantes et qu’elles auront du sang sur les mains, et non l’indépendance, après le massacre.
Et vous ne pouvez pas nier que les personnes manipulées pour croire que tuer est une bonne chose ne sont pas des personnes à considérer comme des autorités en matière de résolution équitable des conflits.
Vous ne pouvez pas nier que pour une paix véritable, il ne faut pas souhaiter la mort des autres, mais vivre avec les autres dans l’harmonie et l’amour, comme des membres bienveillants de la grande famille de l’humanité, égaux dans leur dignité.
En bref, vous ne pouvez pas nier la valeur sacrée de la vie humaine. Il faut affirmer la paix et non la nier. En fin de compte, le refus de la paix conduit à la folie, à la honte et à l’autodestruction, alors que l’affirmation de la paix est le seul espoir d’un avenir meilleur.
Affirmons la paix.
Imaginons, discutons et mettons en œuvre des plans de paix.
Ne perdons aucune occasion d’agir pacifiquement et d’exprimer une solidarité sans frontières et illimitée entre les peuples épris de paix.
Prônons le cessez-le-feu et les pourparlers de paix en Ukraine maintenant, alors que le cessez-le-feu et les pourparlers de paix sont les plus nécessaires.
Défendons la paix.
Traduit de l’anglais par Evelyn Tischer