En traversant un pont sous le périphérique à l’est de Paris, sur le trottoir gauche j’ai aperçu un abri de « fortune » fait de bric et de broc. Cet abri insolite se distribuant dans la longueur, est délimité aux extrémités par deux tentes. Une série d’objets variés et de différentes tailles sont dispatchés tout le long entre elles. La voûte du tunnel lui sert de toit tandis que son mur de soutien auquel il est adossé lui sert d’écran au vent sous un seul des quatre cotés. Enfin le trottoir fait office de plancher. Ceux-ci sont les seuls éléments de construction solides dont cet abri dispose.

En y regardant de plus près, les objets sont dispersés de manière pas tout à fait fortuite. La façon dont ils sont disposés exprime la créativité des personnes que ce lieu abrite, mais surtout témoigne de leur volonté de dire qui ils sont. Qu’ils existent et qu’ils ont une dignité humaine, même s’ils vivent dans la rue. Étant architecte, j’observe que malgré son aspect précaire et transitoire dû au fait qu’il soit dehors, cet abri possède des éléments qui composent d’habitude une habitation privée. Un « chez soi » qui se doit d’être respecté en frappant à sa porte, même si dans ce cas elle est fictive, avant d’être éventuellement invité à y entrer.
De l’extérieur on peut tout à fait apercevoir dans un coin un canapé ainsi qu’une petite table basse, ornée d’une plante verte, un cendrier et d’autres petits objets récupérés, qui suggèrent un coin salon. Propice à la détente. Sur le mur du fond sont juxtaposés quelques tableaux et des images illustrent des figures artistiques en format de carte postale évoquant un goût personnel pour l’art.

Bref il y a un tas d’objets et de couleurs,  de quoi s’ emplir les yeux.

L’ensemble compose un aménagement éclectique dégageant un sentiment de gaité et un  esprit agréablement enfantin. Plus loin, dans un angle,  il y même un nain de jardin qui semble monter la garde. Puis un petit drapeau, pointé dans un angle de la bordure des plantes souffle au vent du courant d’air qui traverse le tunnel. C’est un drapeau français, qui pourrait vouloir leur faire s’exclamer :

« Nous sommes français » !
Ou
« Vive la France, pays d’accueil ! » ?

Mais combien sont les « Sans- abris » en France en 2023 ?

L’institut INSEE souligne dans un rapport que la quantification de cette forme extrême de précarité résidentielle est particulièrement difficile. Car, au sens strict, les sans-abris désigne des personnes qui dorment à l’extérieur (dans la rue, dans un jardin public) ou qui occupent un abri de fortune. Ainsi que celles qui effectuent des va-et-vient entre la rue et les centres d’hébergement. Alors que les sans-domiciles fixes regroupent les personnes qui vont d’un hébergement à un autre, sans jamais faire l’expérience de la rue.

L’Insee prépare une nouvelle grande enquête sur le sans-domicile, qui sera réalisée en 2025 et dont les résultats seront connus seulement en 2026. La dernière enquête remonte à 2012.

La fondation Abbé Pierre, qui est parmi les plus investies sur le terrain depuis plusieurs années, nous donne quelques chiffres et juge « insuffisantes » les actions du gouvernement pour le mal-logement.  Dans son 28e rapport sur l’état du mal-logement en France 2023, elle estime à 330 000 le nombre de personnes sans domicile, qu’elles vivent en hébergement généraliste, en CADA, à l’hôtel, en abri de fortune ou dans la rue. Soit 30 000 SDF supplémentaires en un an.

https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/28e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2023

À Paris ont été dénombré 3 015 sans-abri, dont 105 mineurs, pendant le grand recensement de la nuit de la solidarité, qui a eu lieu au mois de janvier. Cette opération de recensement annuelle des plus démunis est effectuée par des bénévoles et dans plusieurs villes. Par rapport à 2022, la hausse est de 16 %.

Le droit à un logement convenable est inscrit dans l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.  En s’en inspirant et pour réaffirmer les droits fondamentaux résultant de la Constitution, des obligations internationales, la fondation en collaboration avec Housing Right Watch, Feantsa France (Fédération européenne des organisations nationales travaillant avec les sans-abri) a publié en 2020 la présente déclaration :

Source : Fondation Abbé Pierre, Housing Right Watch, Feantsa France

Elle nous rappelle, entre autres, que comme tout être humain, les personnes sans abri sont censées jouir de droits tels que le droit de vote, le droit à la non-discrimination, la protection des données personnelles etc…

Qui et combien de personnes s’abritent dans ce lieu, je ne l’ai pas su car je n’ai vu personne.  Étant passée au petit matin, j’ai pensé qu’ils dormaient encore et n’ai pas osé les réveiller. Bien qu’il n’y ait aucun signe explicite qui suggère une demande d’aumône, j’ai déposé quelques pièces pour exprimer ma solidarité et au passage, signaler ma présence. Je vais y certainement retourner pour essayer de les connaitre davantage. Puis les remercier de m’avoir  fait partager leur joie de vivre malgré tout.