« How much longer will this circle of horror endure? » (Combien de temps encore va durer ce cycle d’horreur ?)

S’il est un pays qui illustre de manière récurrente cette phrase de la chanson Chad Gadya, c’est malheureusement Israël. Et la situation explosive dans laquelle se trouve plongée la région sans interruption depuis des décennies fait également les gros titres de manière récurrente. Ce dont ne parlent pas les médias mainstream, ce sont les courageuses initiatives — car il en faut du courage pour faire face à l’intolérance et au fondamentalisme de tout bord ! — qui se refusent à alimenter ce cercle vicieux de la violence et de la haine et à ne propager que les horreurs. Oui, elles existent ! Écrite à l’origine par Angelo Branduardi et transposée en hébreu et en arabe, Chad Gadya, interprétée par le chœur Rana Choir, clôt traditionnellement la cérémonie de commémoration tellement émouvante qui, chaque année, rassemble Israéliens et Palestiniens au sein de l’alliance Combatants for Peace et du Bereaved Families Forum. Elle en est pour ainsi dire devenue l’hymne.

« Combatants for Peace supports a two-state solution within the 1967 lines, or any other solution reached through mutual agreement which would allow Israelis and Palestinians to lead free, safe and democratic lives from a place of dignity in their homeland. »

Cette année, il s’en sera fallu de peu pour que les Palestiniens se voient refuser l’accès à la manifestation car le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, voulait leur interdire. Toutefois, la Cour suprême en a décidé autrement et révoqué l’interdiction. La célébration a donc pu avoir lieu lundi soir. Les évènements actuels ne font qu’envenimer une situation déjà tellement complexe et qui semble inextricable. Il était donc d’autant plus symbolique et important que la commémoration continue à avoir lieu dans les conditions habituelles, surtout après deux ans de pandémie qui ont forcé les organisateurs à se contenter d’un évènement en ligne. À regarder ce public hétérogène, jeunes et vieux, Israéliens et Arabes côte-à-côte, on en vient à s’imaginer que c’est une étincelle de paix et de fraternisation qui devrait pouvoir embraser le monde entier.

La traversée du désert

Il aura fallu une grande force de caractère aux membres de Combatants for Peace pour surmonter le choc et la blessure qu’a occasionné la perte d’un parent, d’un proche, d’un ami et tendre la main au soi-disant ennemi en créant un forum de familles endeuillées. Raconter son histoire personnelle, sa propre traversée du désert, fut le début de ce mouvement qui engendre l’espoir dans un monde de ténèbres. En offrant cet espace d’écoute attentive et de soutien plus que moral, c’était faire un pas résolument hors des sentiers battus et tenter de rompre le « cycle d’horreur ». Admettre que l’on faisait soi-même partie du cercle vicieux de la violence ou parler de la perte d’une personne disparue, c’est exiger de soi-même un grand effort qui semble, au premier abord, insurmontable. Contre toute attente, c’est faisable, comme le démontre quotidiennement Combatants for Peace en s’engageant aux côtés des Palestiniens.

we are Palestinians and Israelis

we have seen the violence

we have taken part in it

we choose to be violent no more

we fight for peace now

Cette union israélo-palestinienne, à l’encontre du climat de terreur ambiant, révèle un immense dépassement de soi-même et le vaste travail intérieur entrepris par chacun et chacune : reconnaître l’autre en soi-même et lui ouvrir son cœur pour y faire résonner sa blessure, pour arriver à ressentir la même douleur, le même chagrin, la même souffrance. Et pour finir par s’apercevoir que la peur et la haine de l’autre font peu à peu place à l’empathie, puis au même dégoût de la violence et au même refus de continuer à l’employer, et constater que cet ancien ennemi n’aspire comme soi-même qu’à une chose : la paix ! Quelle belle leçon d’humanité ! Le tribut à payer de part et d’autre est lourd et donner vie à des enfants qui pourraient être un jour de potentielles victimes, devient au fil des ans de plus en plus insupportable à tous ces hommes et toutes ces femmes qui forcent l’admiration par leur détermination et leur persévérance inébranlables. Ne pas rencontrer l’adhésion unanime ne les empêche pas de persévérer. Et rien que pour cela, ils méritent tout notre soutien.

War is not a decree of fate, but a man’s act. Noga Harpaz

I know that we can only heal this situation if we work together. We can only end this conflict, and heal the sorrow and pain of both our nations, if we work together cooperatively and peacefully. Peace cannot come through war. Freedom will only come when we break out of the chains that bind us: the chains of hatred, of violence and of revenge. Love truly is the strongest force on this earth. A revolution of love is the only thing that can save us. Osama Elewat

Our land does not belong to the Jews or the Palestinians; rather, we both belong to the land. There is no military solution to our conflict: it is imperative that we learn to live together in peaceful coexistence. The only possible solution is a joint, nonviolent struggle for peace, freedom, security, and human rights for all. For the fighting to end, we need to stop fighting. Suleiman Khatib

Ces phrases tirées des biographies de quelques membres frappent par leur portée universelle qui pourrait s’appliquer à n’importe quel conflit.

En regardant la commémoration et celle de la Nakba* (15 mai), on ne peut que s’étonner copieusement de ne pas en entendre parler, tout comme on ne peut qu’éprouver à chaque fois une grande admiration et un profond respect pour cet imperturbable rapprochement, nonobstant les obstacles qu’on place sur leur chemin.

Par-delà la musique, véhicule de rapprochement universel, les mains se rejoignent et les cœurs aussi

Les exemples, plus ou moins célèbres, où la musique joue un grand rôle de rapprochement et de réconciliation ne manquent pas, qu’il s’agisse du West-Eastern Divan Orchestra, né d’une initiative entre le pianiste et chef d’orchestre Daniel Barenboim et l’écrivain Edward Saïd ; de l’ensemble Sarband de Vladimir Ivanoff, qui fait jouer à des musiciens arabes une passion de Bach ou de Yael Deckelbaum avec la Women’s March et la chanson Prayer of the Mothers, pour n’en citer que quelques-uns. Le chœur de femmes juives, musulmanes et chrétiennes, Rana Choir, est dans leur lignée.

Sur YouTube, il existe plusieurs versions de Chad Gadya interprétées par le Rana Choir au fil des ans, en studio, sur scène ou en confinement ; à vous de trouver celle qui vous parle, elle ne pourra vous laisser insensible. Moi,  à chaque fois, elle me prend aux tripes.

https://www.youtube.com/watch?v=CNijR9uRSPw

https://www.youtube.com/watch?v=sPzG62Y3l4M

https://www.youtube.com/watch?v=dsW1JTCByOs

 

*Nakba, en arabe : catastrophe ou désastre, se réfère à l’exode palestinien de 1948.