Il n’y a pas de meilleure date pour évoquer Hypatie d’Alexandrie que le 8 mars, Journée internationale des droits de la femme. Elle a vécu entre 370-417 de cette ère, et restera l’une des personnes les plus éminentes de l’humanité. Elle a enseigné à la bibliothèque d’Alexandrie, où était concentrée l’essence de toutes les expressions de la pensée, de l’art et de la science de son époque ; c’est-à-dire tout ce qui était incompatible avec l’obscurantisme chrétien, qui laissait déjà entrevoir le massacre de vies et de pensées dissidentes qu’il déclencherait plus tard.

Par Osvaldo Durán-Castro*

Son intelligence universelle et sa formation de philosophe néoplatonicienne, de mathématicienne, d’astronome et de chercheuse ont dépassé tous les paramètres de son temps et de son espace. Et tout cela en une dissidence absolue, parce qu’elle était une femme et qu’elle ne se soumettait pas au christianisme. Le fait de ne pas renoncer à la recherche du savoir a provoqué une haine démesurée à son égard.

Selon Carl Sagan, lorsque Hypatie marchait dans Alexandrie, c’était une époque où « …l’esclavage, ce cancer du monde antique, avait privé la civilisation classique de sa vitalité ». L’autre fléau qui s’installe déjà est l’amalgame entre le pouvoir romain et le christianisme, dont l’ampleur apparaîtra clairement après le Concile de Nicée en 324. Mais Hypatie les défia tous.

Les récits et les écrits attestent que l’évêque d’Alexandrie, Cyril ou Cyrille, qui a assumé cette fonction en 412, méprisait Hypatie en tant qu’intellectuelle païenne/athée et simplement parce qu’elle était une femme et ne se conformait pas à la « parole de Dieu » quant à ce qu’une femme devait faire et être. Cyril a invoqué la Bible pour la déclarer hors de la loi de Dieu et a provoqué son assassinat, qui a été perpétré par une foule de chrétiens en colère. Elle fut lapidée, battue et écorchée vive. Elle fut ensuite démembrée et brûlée. Dans le film « Agora » d’Alejandro Amenábar, celui qui la tue en l’étranglant est un esclave amoureux d’elle, mais même cette version « adoucie » de la mort est d’une violence inouïe. Dès sa mort, Cyrille a été déclaré « saint et docteur » de l’Église.

Il faudra attendre plus de 1200 ans pour que Johannes Kepler, en ajoutant les expériences de Tycho Brahe à ses théories, confirme l’orbite elliptique des « planètes errantes » qu’Hypatie avait entrevues. Cette lenteur réaffirme que l’humanité peut vivre sous le règne de l’erreur pendant plus d’un millier d’années. Mais en réalité, nous pouvons dire qu’à bien des égards, cette léthargie persiste encore aujourd’hui, en grande partie à cause du poids écrasant des nombreuses dérives du christianisme. Dans son célèbre ouvrage « Sur les épaules des géants », Stephen Hawking (2004) retrace les contributions d’éminents scientifiques tels que Galilée, Kepler, Copernic, Newton, Einstein, mais ne mentionne même pas Hypatie, bien que ses expériences visant à découvrir les orbites elliptiques aient contribué à ouvrir une nouvelle ère en astronomie, dans laquelle les mouvements des planètes pouvaient être prédits.

Les expériences sur la gravité réalisées par Galilée dans la Tour de Pise avaient déjà été conçues et partiellement réalisées par Hypatie. Son héritage est aussi directement lié au dépassement de l’univers géocentrique de Ptolémée qui a prévalu jusqu’à la renaissance européenne. En d’autres termes, l’histoire de la science , et de l’humanité en général, continue jusqu’à nos jours à être écrite d’un point de vue patriarcal. Bien que Carl Sagan ne mentionne pas Hypatie lorsqu’il parle de l’orbite elliptique de Kepler, il consacre beaucoup de temps à expliquer ses abondantes contributions dans de nombreux domaines de la connaissance et traite de sa vie de manière globale.

L’assassinat d’Hypatie et la disparition de la bibliothèque d’Alexandrie ne sont que les premières scènes d’une tragédie inédite et délirante qui a installé et multiplié l’ignorance avec l’Inquisition de l’Église catholique, tant en Europe qu’en Amérique. La « chasse aux sorcières » catholique a abouti à l’anéantissement de toutes ses victimes féminines par la torture et le bûcher. Tous ces crimes, comme celui d’Hypatie, furent des féminicides.

La même Église qui avait assassiné Hypatie interdira également les découvertes de Kepler et de Copernic en l’an 1620. Et bien sûr, c’est elle aussi qui, le 19 février de l’an 1600, a fait périr sur le bûcher Giordano Bruno, après que l’apostat, ancien dominicain (qui jamais ne se rétracta, comme le fit à regret Galileo Galilei devant ses inquisiteurs), l’a défiée jusqu’à la dernière minute en lui disant : « La sentence que vous prononcez vous fait peut-être plus peur qu’à moi-même », selon ce que relate James Reston Jr. Dans sa biographie de Galilée (1996 p.90). La « bête triomphante » comme Giordano Bruno nomma le pape Paul V, la plus haute autorité de la « Compagnie de la miséricorde et de la pitié », qui l’a torturé et a allumé le bûcher .

Après la mort d’Hypatie, la bibliothèque d’Alexandrie a été complètement détruite après avoir été transformée en étable pour toutes sortes de bêtes, grâce aux concessions faites par l’Empire romain aux chrétiens. Carl Sagan a déclaré que « …les derniers vestiges de la bibliothèque ont été détruits dans l’année qui a suivi la mort d’Hypatie. C’est comme si une civilisation entière avait subi une sorte de chirurgie totale du cerveau, de sorte que la plupart de ses souvenirs, de ses découvertes, de ses idées et de ses passions ont été définitivement effacés ». Le pire, c’est que les mêmes versets que Cyrille a récités contre Hypatie sont encore répétés aujourd’hui, alors que des hommes à l’autorité dominante et misogynes, des chrétiens de tout bord, en soutane ou en cravate, et malheureusement aussi des femmes patriarcales, continuent à définir ce que sont les droits des femmes et à décider même de ce qui concerne leur propre corps.

 

* Sociologue ITCR, écologiste FECON

 

Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet

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