Les acteurs du secteur des énergies fossiles cherchent de nouvelles ressources dans l’industrie pétrochimique, notamment dans l’industrie du plastique.

Par Tina Casey

Alors que le secteur privé des transports favorise désormais l’utilisation de batteries, de biocarburants et d’hydrogène vert, les acteurs du secteur des énergies fossiles cherchent de nouvelles sources de revenus dans l’industrie pétrochimique, notamment dans l’industrie du plastique. C’est une mauvaise nouvelle pour un monde déjà submergé par la pollution plastique. Les fabricants de produits et autres acteurs en amont pourraient, s’ils s’associaient avec les responsables politiques, les électeurs et les consommateurs, renverser la tendance pétrochimique. Toutefois, cela ne serait possible que s’ils continuent de promouvoir un réel changement au-delà de l’ordinaire recyclage post-consommateur.

Du plastique et encore du plastique

Certains signes de changement commencent à se faire sentir. La population devient de plus en plus consciente de la crise du plastique et des problèmes que posent les microplastiques. Une étude menée par le WWF en 2020 montre que 86 % des consommateurs américains seraient prêts à se plier à des mesures visant à atténuer la pollution plastique, telles que l’interdiction des sacs plastiques à usage unique et le développement du recyclage. Les efforts du secteur privé pour réduire les emballages plastiques commencent à porter leurs fruits.

Cependant, ces initiatives ne vont pas nécessairement mener à un ralentissement de la production ou de l’utilisation du plastique à l’échelle mondiale, encore moins à une inversion de la tendance. À titre d’exemple, les États-Unis sont à la fois le principal producteur de plastique mondial, mais aussi la plus grande source de déchets plastiques. L’OCDE estime que si l’on continue d’agir ainsi, les déchets plastiques tripleront d’ici 2060. Les producteurs pétrochimiques s’intéressent également aux marchés en expansion d’Asie et d’Afrique.

Même si certains pays abandonnent l’utilisation du plastique, leurs efforts pourraient être facilement ternis par une demande croissante ailleurs dans le monde. Dans un rapport de 2016 intitulé « Pour une nouvelle économie des plastiques », le Forum économique mondial (FEM) a enregistré pour 2014 une production mondiale de 311 millions de tonnes de plastique, contre seulement 15 millions en 1964. Le FEM a aussi prévu que cette production doublerait d’ici 2036 et atteindrait 600 millions de tonnes.

Un facteur clé qui alimente la production plastique est l’accroissement de la disponibilité de gaz naturel bon marché aux États-Unis, le résultat des efforts fructueux de l’administration de George W. Bush pour lever les protections du Clean Water Act sur les opérations de gaz de schiste. Par conséquent et selon Greenpeace USA, les « millions de litres de fluide de fracturation toxique ne sont pas considérés comme des déchets industriels ». En 2018, la ruée sur le gaz de schiste du début des années 2000 a été créditée de la stimulation d’une décennie d’expansion de l’industrie pétrochimique aux États-Unis, avec un total de 333 projets de l’industrie chimique depuis 2010, d’une valeur cumulée de 202,4 milliards de dollars. D’un point de vue général, près de 70 % du financement provenait de sources étrangères directes ou indirectes.

Un autre facteur de la demande est le passage du pétrole brut (essence) au pétrole pour la production plastique, une tendance accueillie en partie par une surabondance d’éthane produite par le boom de la fracturation. La décarbonisation du secteur des transports ne ralentit pas nécessairement la production de pétrole destinée aux raffineries. « Au moment où le secteur des transports profite du déclin des demandes traditionnelles de pétrole au profit de l’électrique, l’industrie du pétrole voit le plastique comme un élément prometteur pouvant compenser les pertes d’autres marchés » confiait en novembre 2021 un article de The Conversation. Par conséquent, les raffineurs deviennent de plus en plus dépendants du marché de la pétrochimie.

Un tremplin vers le changement : le recyclage

Les conséquences de la production plastique et de ses déchets sont déjà nombreuses : destruction des écosystèmes, émissions de gaz à effet de serre causées par le forage et le raffinage du pétrole et du gaz, rejet de plus en plus de plastique dans l’environnement, dont des microparticules que l’on retrouve jusque dans l’air, l’eau, le sol, la nourriture et même le corps humain.

Le plastique menace aussi gravement la faune, en particulier les espèces marines puisque les déchets plastiques finissent souvent dans les océans. À moins que nous ne prenions des mesures concrètes et ne « changions notre façon de produire, d’utiliser et d’éliminer le plastique, la quantité de déchets dans les écosystèmes marins pourrait tripler : d’une moyenne de 12 millions [de tonnes] par an en 2016 à 30 millions en 2040 », selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement.

Les parties prenantes des énergies fossiles ont longtemps vanté une solution permettant de réduire la pollution plastique, à savoir le recyclage. L’échec de cette stratégie au fil des générations n’est que trop évident : comme le souligne le programme des Nations unies pour l’Environnement : « des sept milliards de tonnes de déchets plastiques accumulées jusqu’à présent [depuis les années 1950], moins de 10 % ont été recyclées. » Malgré les avancées technologiques récentes en la matière, la quantité de plastique recyclé reste lamentablement faible à travers le monde. Les pays laxistes en termes de régulations environnementales, les pays pauvres pour la plupart, accueillent désormais des montagnes de déchets plastiques, en plus de subir les conséquences de la pollution liée à leur transformation.

Il reste important de recycler, mais la solution à la crise du plastique requiert une action rapide et concrète plusieurs étapes en amont, au niveau de la source et de la demande.

Les tendances d’un changement

Sans volonté politique d’attaquer le problème du plastique à la racine, cette tâche est laissée aux parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement et aux consommateurs.

C’est une tâche immense, mais pas insurmontable. L’évolution rapide de l’industrie des énergies renouvelables illustre comment l’économie mondiale peut se tourner vers de nouveaux modèles lorsque les bénéfices nets, les objectifs politiques et le soutien des électeurs, des consommateurs et des parties prenantes de l’industrie sont en jeu.

Pour ce qui est de réduire la consommation de produits pétrochimiques en amont, l’opinion du consommateur peut influencer les décisions de la chaîne d’approvisionnement, comme le montrent trois tendances émergentes qui peuvent orienter le marché vers des produits et des emballages plus durables.

L’une de ces tendances est la prise de conscience publique grandissante vis-à-vis de la crise du plastique dans les océans. Des images de tortues et d’autres animaux marins pris au piège dans du plastique sont susceptibles d’émouvoir davantage le consommateur que les déchets qu’il peut voir dans la rue et les décharges. Le tourisme, l’hôtellerie et la pêche sont aussi des parties prenantes ayant un intérêt direct à la sensibilisation du public au problème du plastique dans les océans.

Dans le même ordre d’idée, la prise de conscience du public s’est répercutée sur le mouvement des investisseurs militants, qui commence à attirer l’attention sur la chaîne financière qui sous-tend l’industrie pétrochimique. En 2020, l’organisation Portfolio.earth, pour ne citer qu’elle, a lancé une campagne sur le rôle des banques dans le financement d’opérations pétrochimiques.

La deuxième tendance qui prend de l’ampleur concerne les nouvelles technologies de recyclage qui permettent aux fabricants de remplacer les plastiques vierges par des déchets récoltés dans les océans. Cependant, ce modèle économique circulaire doit être implémenté du berceau à la tombe et inversement, afin d’éviter que les déchets ne finissent dans l’océan, peu importe leur contenu.

Dans une démarche similaire, les nouvelles technologies de recyclage du gaz carbonique fournissent aux fabricants de nouvelles opportunités pour fidéliser le client à travers l’action climatique. L’entreprise LanzaTech est un bon exemple dans le domaine du recyclage du carbone. Les micro-organismes brevetés par l’entreprise sont conçus pour digérer les gaz d’échappement industriels ou le biogaz. Le processus permet d’obtenir des composants chimiques de base pour les plastiques et les carburants. D’autres firmes de ce domaine récoltent aussi le carbone ambiant de l’air pour produire, entre autres, du plastique et des tissus synthétiques.

La troisième tendance correspond à l’émergence de nouvelles technologies qui permettent aux fabricants d’incorporer plus de plastique recyclé dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement. Dans le passé, les bouteilles et autres produits fabriqués à partir de plastiques recyclés n’étaient pas assez durables. Aujourd’hui, les fabricants commencent à choisir parmi une nouvelle génération de plastiques recyclés, qui se comportent aussi bien voire mieux que leurs homologues vierges.

Le problème est que toutes ces tendances commencent à peine à émerger en tant que forces de changement significatives. Pendant ce temps, les parties prenantes des énergies fossiles n’ont pas d’intérêt valable à soutenir une transition vers l’abandon de la pétrochimie, et encore moins une transition rapide.

En réalité, pour certaines parties prenantes historiques, le domaine des énergies renouvelables semble n’être qu’un exercice de greenwashing. Shell est un exemple de société énergétique qui vante ses intérêts dans l’éolien et le solaire tout en développant ses activités pétrochimiques. Un exemple d’autant plus flagrant est celui de ExxonMobil, qui continue de faire la promotion de sa longue quête de biocarburant à base d’algues, un domaine encore loin du développement commercial.

Tant que les responsables politiques, les électeurs et les consommateurs ne feront pas pression pour réduire la pollution plastique à la source, l’industrie pétrochimique continuera à alimenter la dépendance mondiale au plastique, quelles que soient les conséquences pour la santé publique et le bien-être de la planète.

Cet article est paru pour la première fois sur Truthout et a été rédigé en partenariat avec Earth | Food | Life, un projet de l’Independent Media Institute.

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Depuis 2009, Tina Casey écrit sur le développement durable, la transition énergétique mondiale et les questions connexes. Elle est une contributrice régulière sur CleanTechnica et TriplePundit, où elle se concentre aussi sur la responsabilité sociale des entreprises et des questions sociales.