Comment pourrait-il en être autrement quand « l’état d’urgence nucléaire reste encore aujourd’hui en vigueur au Japon » ?

L’effroyable catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi qui a secoué un pays industrialisé et à la pointe de la technologie comme l’est le Japon le 11 mars 2011, a prouvé que la seule chose de sûre avec l’énergie atomique, c’était le risque, pour reprendre un slogan de ausgestrahlt.de, une organisation non gouvernementale allemande qui se bat depuis des décennies contre l’énergie nucléaire. Les ondes de choc de cet accident extrêmement grave n’ont pas fini de se répercuter sur le pays au niveau humain, environnemental, sanitaire et social. La population nippone, qui a déjà subi deux bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki à la fin de la Seconde Guerre mondiale, est bien placée pour le savoir. Ce qui n’empêche pas le gouvernement de continuer à jouer avec le feu, livrant les habitants de la zone dangereuse aux stratégies du profit qu’imposent les industriels de l’énergie atomique en cheville avec les autorités. Quant au lobby français de l’énergie atomique, selon la CRIIRAD, il aurait aidé Tepco à jongler avec les chiffres et la désinformation après l’accident.

Akiko Morimatsu de Koriyama, une ville de la préfecture de Fukushima, se souvient : « Nous n’avons reçu aucune information précise après l’accident et bien que l’air, l’eau et le sol aient été contaminés, nous avons bu l’eau du robinet, il n’y avait rien d’autre. Le lait maternel était contaminé et mon bébé de trois ans en a bu. Nous avons été contaminés de l’extérieur et de l’intérieur. »

Le déni total sur un archipel volcanique

Peu chatouilleux sur les mesures de sécurité qu’ils sont incapables de garantir, comme leurs comparses ailleurs dans le monde, les grands groupes de l’énergie atomique font des pieds et des mains pour la reverdir : néanmoins, s’ils devaient s’assurer à la hauteur des risques qu’ils peuvent occasionner, aucune compagnie d’assurances n’en voudrait pour clients. Alors qu’en juillet 2022, quatre anciens dirigeants de Tepco ont enfin été condamnés à verser 97 milliards d’euros aux victimes de la catastrophe – après avoir été acquittés en 2019, le début de la procédure ayant eu lieu en 2012 –, car le juge a estimé que « le sens de la sûreté faisait défaut », le gouvernement ne sort pas non plus du cercle vicieux. Avec le Parlement, il a décidé de relancer la filière nucléaire, coûte que coûte. Supprimant les aides aux habitants forcés de quitter en toute hâte leurs logements il y a douze ans, et forcés dorénavant d’y revenir, il tient à repeupler les zones dévastées.

« Je ne veux plus y retourner. Là-bas, la vie a été effacée », explique une grand-mère japonaise qui a fui la zone contaminée.

Décontamination insuffisante… ou contamination permanente ?

Ils ont été environ 200 000 à devoir quitter les alentours de la centrale, maintenant ils vont devoir y retourner, alors que seul 1/7 de la région a été décontaminé. Quant à la nature, il est totalement impossible de la décontaminer, elle est laissée à elle-même et ne sera plus pour les humains une source de relaxation, mais de menace, car les zones déjà nettoyées pourront ainsi être derechef polluées par le vent et la poussière (3). Les couches du sol qui ont été enlevées sont provisoirement stockées à 1000 endroits (!!) environ. Les enfants et les adolescents sont 20 fois plus sujets à des cancers de la thyroïde, ce que le gouvernement refuse de reconnaître. Des études systématiques sur les adultes ne sont pas effectuées.

De qui se moque-t-on ?

L’eau radioactive en provenance de la centrale s’écoule inlassablement dans le Pacifique. En dépit des protestations des pêcheurs de Fukushima, Tepco et le gouvernement japonais ne vont pas hésiter dans les prochains mois à déverser en mer, par un tunnel sous-marin, 1,37 millions de tonnes d’eau de refroidissement des réacteurs polluée au tritium, comme si le Pacifique était leur poubelle atomique personnelle. Alors que nous venons de prendre des mesures de conservation des océans, qui sont notre berceau à toutes et à tous, en signant un traité pour protéger 30 % des océans d’ici 2030, cette décision de rejet semble rendre tout effort de préservation dérisoire. Comment vont réagir faune et flores marines ? Bien sûr, il y aura un effet de dilution, mais les nucléides ne se résorbent pas comme par enchantement. Le long terme révèlera les effets néfastes et comme dans d’autres domaines, il sera trop tard pour y remédier. L’eau plusieurs fois filtrée sera rejetée dès cette année et ce processus durera au moins une trentaine d’années, selon rfi. Donc 2011 a marqué le début d’un cauchemar sans fin. Parce que même si la centrale de Fukushima Daiichi se trouve au Japon, les conséquences et les effets catastrophiques de l’accident survenu le 11 mars 2011 nous ferons prendre conscience une fois de plus de manière tragique, que nous sommes tous dans le même bateau.

La seule conséquence positive de Fukushima

Plus encore que Tchernobyl, parce que la catastrophe s’était produite dans un pays occidentalisé et que l’on croyait technologiquement avancé, Fukushima a sorti de leur torpeur de nombreux citoyens et citoyennes qui n’ont pas cessé de manifester pour réclamer l’abandon de cette énergie extrêmement dangereuse. En Allemagne, la pression de la rue après Fukushima promettait d’amorcer un abandon, en partie réalisé, mais remis en question depuis la guerre en Ukraine. Les bombardements autour de Tchernobyl et sur la centrale de Zaporijjia ont fait remonter le spectre d’une menace plus que réelle, sans parler des armes nucléaires… de quoi envoyer définitivement la planète ad patres, et nous avec. C’est pourquoi la seule issue hors de ce terrain de jeux mortifère est l’abandon de cette source d’énergie imprévisible et totalement incontrôlable. La guerre en Ukraine ne devrait pas nous le faire oublier.

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