David Sámano

Dans cet article, nous entendons par peuple, les « différentes formes de communautés historiques (tribu, nation, etc.) (Silo, 2002:587) qui émergent pour des « motivations traditionalistes » (Poirier, 1992:8). »


En janvier 1994 se sont tenues au Mexique les « Journées culturelles humanistes », un événement international organisé par des membres du Mouvement humaniste, un groupe mondial ayant des adeptes dans différents pays. En tant que membre de cette organisation, j’ai participé à plusieurs tables de discussion et j’ai eu l’occasion de collaborer à la planification de certains colloques où le thème de l’humanisme était abordé sous différents angles.

Aujourd’hui, 11 ans après la tenue de la convention, il me semble très probable que l’événement dans son ensemble aurait fait référence à un dialogue entre l’humanisme occidental classique et différents aspects de la culture, de la philosophie et de la science, également issus du monde occidental. Ce ne fut toutefois pas le cas, en raison d’une série de facteurs qui ont fait irruption dans le développement de l’événement pour le pousser, étonnamment, au-delà de ce monologue culturel indésirable. D’une part, comme nous le savons, à la même date a eu lieu le soulèvement des indigènes zapatistes dans l’État du Chiapas, un événement qui, en plus d’être un signal d’alarme sur la marginalisation de la plupart des groupes ethniques du pays, a attiré notre attention sur ce Mexique profond dont l’anthropologue Guillermo Bonfil Batalla a tant et si bien parlé. Ainsi, dans le contexte internationaliste de la conférence, la présence indigène méso-américaine a fait irruption, nous invitant à écouter sa propre version de l’humanisme. D’autre part, parmi les participants se trouvaient des camarades du Mouvement humaniste qui avaient développé une importante expérience avec les exilés de l’ex-Yougoslavie en Italie, dans ce qui était appelé des « parlements interethniques », organisations ad hoc, mises en œuvre pour offrir un espace de dialogue face aux assauts des discriminations, vestiges de l’ethnocide. Ce qui a commencé spontanément a inspiré dans une large mesure l’idée des « Centres de cultures du Mouvement humaniste », qui, à ce jour, ont réussi à se développer dans plusieurs pays.

L’atmosphère des Journées Humanistes de 1994 était alors propice à l’émergence de l’intuition de ce que nous appelons aujourd’hui : L’humanisme universaliste, dont l’humanisme classique de la Renaissance n’est d’ailleurs qu’une des nombreuses expressions possibles.

L’irruption de cet « autre humanisme », que nous pourrions qualifier de tribal, si nous dépouillons ce terme de sa connotation primitive, a accentué sa définition avec la participation de membres d’une communauté indigène mazahua, une ethnie vivant dans l’État de Mexico. De manière tout aussi inattendue, ils étaient présents dans la cour du Claustro de Sor Juana – où se déroulait l’événement – pour accomplir un rituel connu sous le nom de cérémonie de la générosité. Après l’interprétation de musique traditionnelle par un groupe de musiciens de l’ethnie susmentionnée, le représentant le plus âgé du groupe a attaché une miche de pain, en guise de médaille, à chacune des personnes rassemblées autour de lui. Puis il a dit, dans sa propre langue et plus tard en espagnol :

« …On a dit que nous, les indigènes, ne savons rien faire, mais nous sommes des gens honnêtes et respectueux ; de la même manière que nous respectons les autres cultures, nous voulons aussi que notre culture soit respectée, qu’elle ne soit plus piétinée par des gens qui ne pensent pas. Nous voulons travailler, nous ne voulons pas de paternalisme, parce que nos parents nous ont appris à travailler la terre mère ; nous demandons aux gens qui ne nous comprennent pas de nous comprendre comme une façon de penser. Nous n’en pouvons plus, car il n’y a plus d’animaux ou d’oiseaux sur nos terres et dans nos forêts. »

De même, dans une autre partie de son discours, il a fait référence à un penseur latino-américain, source d’inspiration de l’événement auquel il assistait, en disant ce qui suit :

« Nous prions (disons-nous) l’homme, celui qui a organisé ces journées, de laisser son cœur vivre pendant longtemps dans le monde entier parce qu’il est l’homme qui pense pour le monde entier; je ne le connais pas, mais si je peux le rencontrer en ce moment, je vais le remercier au nom de ces enfants et de ces personnes âgées qui existent sur toute la planète Terre, pas seulement au Mexique mais sur toute la planète Terre, parce que nous voulons la paix et la tranquillité. Merci. »

C’est précisément Mario Rodríguez – auquel le chef mazahua avait fait référence – qui a un jour envisagé le Mouvement humaniste comme une culture de frontière, née aux confins de la civilisation occidentale et, par conséquent, très sensible aux apports d’autres peuples, plus ou moins étrangers au contexte occidental. La fable du « cou de la tortue » et la légende du « vieux pêcheur » sont des histoires originaires du Moyen-Orient, que Mario Rodriguez a utilisées pour illustrer deux de ses « Principes d’action valable ».

Cou de la tortue

La légende du vieux pêcheur

Cette sensibilité s’est manifestée en 1994, lorsque les membres du Mouvement humaniste réunis au Claustro de Sor Juana ont organisé la première manifestation internationale de soutien et en solidarité avec les indigènes du Chiapas, face à la probable réaction violente du gouvernement mexicain. Mais il convient de noter que Mario Rodríguez, dans son rôle d’idéologue du Mouvement humaniste depuis les années 1970, a montré un profond intérêt pour l’inclusion des contributions de toutes les cultures dans ses écrits.

D’un point de vue purement académique, le point culminant de cet universalisme, à mon avis, se situe également en 1994, avec la publication du recueil intitulé : El humanismo en las distintas culturas (L’humanisme dans les différentes cultures). Cette compilation comprend un texte de Mario Rodríguez lui-même : Que entendemos hoy por humanismo universalista (Ce que nous comprenons aujourd’hui par humanisme universaliste). Cet ouvrage jette les bases conceptuelles et méthodologiques de la recherche d’une conception de l’humanisme qui dépasse l’héritage de la civilisation occidentale. Dans ce recueil, un certain nombre de contributions de chercheurs russes analysent les aspects humanistes de différentes civilisations. Par la suite, le recueil de 1996 a été publié dans la même veine.

Aujourd’hui, après avoir passé en revue les précieuses contributions de nos collègues russes, je constate que la plupart de leurs travaux ont eu la chance de disposer d’un dossier de sources écrites, car leurs explorations ont porté sur les anciennes civilisations d’Eurasie, d’Afrique et d’Amérique, qui sont généralement traitées par des historiens, ou plus encore, par des spécialistes tels que les sinologues et les orientalistes. Il s’agit de sociétés qui, selon Sergey Semenov, après avoir surmonté les croyances tribales, ont entrevu des morales universelles qui se sont manifestées dans des religions mondiales telles que l’hindouisme, le bouddhisme, le christianisme et l’islam et dans des systèmes éthiques tels que celui de Confucius et le mode de vie Toltecayotl, attribué à Quetzalcoatl (Semenov, 1994:12).

Pour ma part, j’ai essayé d’explorer, en cherchant des formes d’expression de l’attitude humaniste chez des peuples qui, à la différence de ceux analysés par mes collègues russes, ont été étudiés, de préférence par l’anthropologie et l’ethnologie, comme étant à un stade culturel non régi par l’existence de l’État, ou pour le dire dans les termes de Redfield (1976), des sociétés folkloriques.

Cependant, je crois que l’inspiration qui m’a animé est la même que celle qui a poussé les auteurs susmentionnés : contribuer à la proposition d' »équilibrer l’humanisme occidental avec d’autres formes d’humanisme, tout aussi riches, que l’on trouve dans les cultures les plus diverses » (Silo, 1996), afin d’élaborer finalement une Encyclopédie du Nouvel Humanisme. Et nous acceptons la suggestion d’équilibre, car plutôt que de relativiser le concept d’humanisme, nous essayons de l’élargir et de l’enrichir, afin de construire progressivement l’image d’un humanisme universaliste, partagé par toutes les cultures, et pas seulement par celles qui, aujourd’hui ou dans le passé, ont occupé la place centrale.

 

Traduit de l’espagnol par Evelyn Tischer

 


David Sámano est professeur de recherche à plein temps à l’Universidad Autónoma de la Ciudad de México (UACM) et mène des recherches sur des sujets liés à l’épistémologie, la philosophie des sciences et l’anthropologie des sciences.


Document présenté par le Dr David Sámano au « Congreso de etnología y humanismo » de l’ENAH (École nationale d’anthropologie et d’histoire), 19-22 avril 2005, Mexico.

Article tiré du livre Interpretando al Nuevo Humanismo (interprétation du nouvel humanisme). Ethnologie, épistémologie et spiritualité.


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