Rien ne nous avait laissé présager que cette année serait aussi convulsive, aussi propice à la manipulation et aussi manipulée.

Laissons derrière nous 2022 avec la force et le courage d’affronter une nouvelle année qui, espérons-le, sera plus pacifique et plus conciliante et au cours de laquelle nous lutterons pour ce qui compte vraiment et qui, comme presque tout, dépendra de la couleur des lunettes à travers lesquelles nous la regarderons.

par Iñaki Cháves

Mais, alors que l’année se termine, il est temps de faire le bilan. Je me suis toujours demandé pourquoi les médias publient ceci plusieurs jours avant la fin de l’année puis le laissent de côté. Parce que chaque année, et surtout celle-ci, doit se terminer en frappant les esprits.

Deux mille vingt-deux restera dans l’histoire comme l’une des années les plus tendues, les plus bouillonnantes et les plus conflictuelles de l’histoire. En plus de la pandémie provoquée par le covid-19, il faut ajouter l’invasion de l’Ukraine par la Russie, dont les causes seront identifiées d’ici quelques années et dont les effets comprennent, outre le fait qu’une grande partie du monde s’est mise à détester tout ce qui est russe et à louer tout ce qui est ukrainien comme s’il n’y avait rien de bon en Russie et rien de mauvais en Ukraine, le renforcement de la manipulation de l’information, le prix élevé de l’énergie et du panier de la ménagère, les incendies et tout ce qu’ils entraînent en termes de pertes humaines et matérielles ; des conditions climatiques extrêmes et hors saison, malgré la COP27 et tous les esprits lucides qui continuent à nier le changement climatique ; des anniversaires tragiques, du premier tour du monde à la tombe du pharaon Toutankhamon et toutes ses superstitions, en passant par le « Bloody Sunday » et par le cannibalisme du passager de l’avion tombé dans les Andes ; des fusillades aveugles ; la perte de droits et de libertés qui, comme les températures, est en hausse ; les multiples violences, directes et structurelles ; les crimes machistes et les agressions xénophobes et homophobes, ou encore une Coupe du monde de football dans un pays arabe qui discrimine sur la base du genre ou des choix sexuels, en plus d’autres manquements civils. Ouf… en effet, pour 2022, cela fait beaucoup.

Il y a eu aussi des certitudes, peu nombreuses, et des incertitudes et des fragilités, beaucoup, qui ont couvert des pages et des écrans de demi-vérités et de complets mensonges :

L’Ukraine a supplanté tous les autres titres de l’actualité ; ni la pandémie, ni les crises – économiques, sociales ou climatiques – ni les mauvaises ou les bonnes nouvelles – relatives comme toujours – ne lui ont pris de l’espace.

Le communisme, en plus de servir d’arme pour désigner les méchants, continue à faire peur à la population, même si c’est en format timbre-poste, ce qui met en lumière la bassesse d’une société qui est effrayée par le rouge de la gauche, mais avale tout entier le bleu foncé, presque noir, d’une ultra-droite renaissante, toujours aussi dangereuse et exclusive.

Les monarchies continuent d’agir à leur guise et de rester impunies de leurs méfaits. Oui, il existe aussi des individus non couronnés qui ne paient pas pour leurs méfaits, mais ils n’ont pas hérité d’un trône à vie qui les rend intouchables à jamais.

Cent millions de personnes déplacées de force, voilà un triste record qui ne semble pas ternir les performances financières des transnationales prospères ni le devenir politique des nations puissantes.

Les manifestations sociales pour améliorer le monde dans n’importe quelle partie de la planète, de la Colombie et ses mouvements en première ligne à l’Iran et ses femmes, qui donnent du sens à la vie et à la lutte pour la vivre dignement, comme Mahsa Amini, assassinée par la police des mœurs pour ne pas avoir porté de voile, ou Sarasadat Jademalsharieh, une joueuse d’échecs qui participe à des championnats sans porter le voile, ou Makota Valdina et sa clairvoyance en tant que descendante de personnes réduites en esclavage, ou Margo Pool, Néerlandaise de Petín [en Espagne] qui a donné vie à l’écran à cette Espagne vidée, ou tant d’héroïnes, et quelques héros, anonymes mais avec leur propre identité, continuent à lutter pour la paix, pour la justice sociale et pour la grande maison, notre maison à tous.

Un bilan affligeant qui ne fera pas bouger les choses et ne changera pas les stratégies économiques et sociales et encore moins le système qui, finalement, est la cause de ces malheurs. Malgré tout, continuons à aller de l’avant, avec le courage et la volonté de vivre, en croyant à ce que vous voulez croire, mais en protégeant toujours la vie et la poésie, l’amour et l’amitié. Merci à la vie qui nous donne tant, même si nous ne savons souvent pas comment l’apprécier.

Continuons à défendre la culture de la vie, de la santé et de l’équité. Ici, les livres nous seront d’une grande aide :

« Un livre, bien qu’il soit en concurrence dans le monde d’aujourd’hui avec l’abondance et la facilité des technologies de l’information, est plus qu’une simple source d’information.

Un livre nous apprend ce qui manque à l’information pure : un livre nous apprend à étendre simultanément la compréhension de notre propre personne, la compréhension du monde objectif qui nous est extérieur et la compréhension du monde social où la cité et l’être humain se rencontrent.

Le livre nous dit ce qu’aucune autre forme de communication ne peut, ne saura et n’arrivera à dire : la pleine intégration de nos facultés de connaissance de nous-mêmes afin de nous réaliser dans le monde, dans notre moi et dans les autres.

Le livre nous dit que notre vie est un répertoire de possibilités qui transforment le désir en expérience et l’expérience en destin.

Le livre nous dit que l’autre existe, que les autres existent, que notre personnalité ne s’épuise pas en elle-même, mais qu’elle tourne autour de l’obligation morale de prêter attention aux autres.

Le livre est l’éducation des sens par le langage.

Le livre est l’amitié tangible, olfactive, tactile, visuelle qui ouvre les portes de la maison à l’amour qui nous rend sœur avec le monde, parce que nous partageons le verbe du monde.

[…]

Aujourd’hui plus que jamais, un écrivain, un livre et une bibliothèque nous disent : si nous ne nommons pas, personne ne nous donnera un nom. Si nous ne parlons pas, le silence imposera sa sombre souveraineté.»

(Carlos Fuentes (2003). En esto creo. Barcelona : Seix Barral, p 171-172)

 

Traduit de l’espagnol par Jean-Marc Dunet

L’article original est accessible ici