« La retraite ne peut être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie » Ambroise Croizat

Cet article est le deuxième sur le même thème : https://guyvaletteparis.wordpress.com/2019/12/04/pour-assurer-nos-retraites-soyons-realistes-assurons-lexistence/

Si la première tentative, en 2019, de réformer le système des retraites avait pour objectif principal de tendre vers un régime unifié de retraite dont la pension devait être calculée sur la base de l’accumulation de points tout au long de la carrière professionnelle, en 2023 l’objectif se réduit à une réforme paramétrique avec comme mesures principales le recul progressif du départ à taux plein à 64 ans et l’accélération du calendrier de la réforme Touraine avec l’augmentation progressive de la durée de cotisation, ce qui inévitablement conduira à une nouvelle dégradation des droits individuels des nouveaux retraités. Réforme budgétaire qui aura aussi pour conséquence d’accroître l’inégalité d’accès à une retraite digne et sereine, d’accroître les maladies professionnelles et les dépenses de l’assurance maladie, et d’accroître le recours à l’assurance chômage et aux aides sociales après 60 ans. Une partie des économies faites sur le dos des retraités sera absorbée par ces nouvelles dépenses sociales inéluctables.

En 2020, selon la DRESS, « à la naissance, les femmes peuvent espérer vivre 65,9 ans sans incapacité et 77,9 ans sans incapacité sévère ; les hommes, 64,4 ans sans incapacité et 73,8 ans sans incapacité sévère. »  Ainsi, si la réforme du gouvernement est adoptée, la retraite ne sera pour la majorité que l’antichambre de la mort et renforcera encore l’inégalité de l’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres, qui est actuellement de 13 années. Déjà aujourd’hui, il y a selon l’INSEE plus d’un million de personnes de plus de 65 ans qui vivent sous le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian. Le caractère rétributif de notre système de retraite, véritable salaire différé, accentué avec le système à points du régime des retraites complémentaires, fait que de nombreuses personnes à la carrière professionnelle hachée, les femmes en particulier, perçoivent déjà une pension qui ne permet pas de vivre décemment :

La baisse en cours du niveau des pensions par rapport aux salaires, conséquence des réformes précédentes, atteint bien sûr de manière plus grave les plus faibles pensions des femmes : le taux de pauvreté des femmes retraitées est ainsi sensiblement plus élevé que celui des hommes (10,4 % contre 8,5 %), et cet écart a tendance à se creuser depuis 2012, comme le relève le rapport 2022 du Conseil d’orientation des retraites (COR). (1)

La réforme ne fera qu’accentuer la précarité de nombreux retraités, sachant que la retraite minimum de 1 200 € ne s’appliquera que pour les carrières complètes de 169 trimestres à la fin 2023 ( réforme Touraine ).

Les réformes successives des régimes de retraites révèlent une dégradation continue de la distribution de la richesse par le travail (salaires et cotisations). Pour de plus en plus de personnes, le travail ne réussit plus à assurer l’existence à toutes les étapes de la vie. L’État en dernier recours est contraint de redistribuer de manière non contributive des aides aux personnes financées par l’impôt. Ainsi pour les personnes âgées sans ressources, il existe l’Allocation de Solidarité aux Personnes Âgées (ASPA) : 961 € pour une personne seule, mais celle-ci est conjugalisée aux revenus du foyer ; une personne qui n’a pas exercé un travail rémunéré, souvent une femme, et qui vit avec un conjoint qui a des revenus supérieurs à 1 492 € n’a aucun droit.

VERS UNE RETRAITE UNIVERSELLE

À l’heure où notre modèle de société est secoué par une succession de crises, il est temps de changer de paradigme et de faire du droit à l’existence un droit universel imprescriptible de la naissance à la fin de vie. Dans cette perspective, on peut envisager de compléter la logique contributive actuelle sur les salaires des régimes de retraite par un nouveau droit universel, indépendant de la durée de cotisation. Tout être humain devrait pouvoir disposer d’une pension minimale au niveau du seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian (1 200 €) à partir d’un certain âge, par exemple à 60 ans. Ainsi, indépendamment de son parcours de vie, de sa vie professionnelle, on est assuré de disposer de quoi vivre décemment pour jouir pleinement de cette nouvelle étape de la vie.

Selon la DRESS, en 2022, la pension moyenne de droit direct (y compris l’éventuelle majoration pour trois enfants ou plus) tous régimes confondus s’établit à 1 509 euros bruts mensuels parmi les retraités résidant en France. Cela correspond à 1 400 euros nets par mois. Avec cette retraite universelle de base assurée de 1 200 €, une seule pension de retraite du régime général, calculée en fonction des trimestres travaillés et financée par les cotisations des actifs suffirait à compléter le dispositif. La diminution de la charge des retraites sur les salaires par la suppression des régimes complémentaires permettrait de réorienter une part des cotisations de ces régimes complémentaires vers l’assurance maladie, renforçant ainsi significativement son budget pour aller vers une couverture à 100 % des risques, ce qui permettrait d’en finir aussi avec les assurances maladie complémentaires.

Cette retraite universelle de base pourrait être financée d’une part, par les retraités eux-mêmes via une cotisation progressive sur leurs revenus (pension de retraite d’activité, revenus du patrimoine) qui se substituerait par exemple à la fois à la CSG et à la cotisation pour les assurances complémentaires particulièrement injuste, et d’autre part, via une taxe sur les actifs nets tout au long de la vie. En France aujourd’hui, le montant du patrimoine net privé s’élève à 13 500 milliards d’euros. Une cotisation moyenne de 2 % par an suffirait à assurer complétement cette retraite universelle de base pour les 18 millions de personnes de plus de 60 ans. Ce principe rejoindrait celui de la Sécurité sociale où chacun contribue en fonction de ses moyens à la satisfaction d’une même prestation.

La dégradation des droits sociaux ne doit pas être une fatalité. Nous avons les moyens grâce à la solidarité universelle de faire en sorte que la situation s’améliore pour l’ensemble des retraités qui, dès 60 ans, seraient libérés de toute obligation de travailler. Un million d’emplois seraient ainsi mis à la disposition des plus jeunes ; ce qui ne manquerait pas de faire diminuer le chômage, allégeant ainsi la charge de l’assurance chômage.

La mise en place de cette retraite universelle doit être une première étape pour aller vers l’instauration d’un revenu d’existence universel de la naissance à la fin de vie, pour assurer à tous les membres de la communauté ce droit imprescriptible à vivre dignement en toute circonstance, pour en finir avec la charité publique faite d’aides sociales qui coûtent un pognon de dingue et qui assujettissent et divisent la société entre le monde des assistés et ceux qui réussissent.

Après les crises successives  de 2020-2022, qui ont révélé aux yeux de tous les dégâts de quarante années d’abandon du bien commun, l’ensemble des forces sociales ne peuvent continuer à être spectatrices de leur propre anéantissement. Il faut être force de proposition pour se réapproprier ce qui doit nous être le plus cher : l’exercice d’un droit à une vie digne en toute circonstance.

Assurer des conditions de vie décentes par des droits sociaux universels, n’est-ce pas la garantie de cesser de manger du malheur, de pouvoir jouir de toutes ses capacités, de trouver sa place dans la société des humains et ainsi, de contribuer pleinement au bien commun, ceci à tous les âges de la vie.

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(1) Christiane Marty : « Présenter la réforme des retraites comme juste pour les femmes relève du boniment », Le Monde – 6 janvier 2023

L’article original est accessible ici