L’accessibilité

La tradition orale constitue un puissant vecteur de transmission du savoir traditionnel des Mi’gmaq de la Gaspésie. Toutefois, comme l’indique Bernard Jerome, de Gesgapegiag, les écrits sont aussi fort utiles, comme il l’a expérimenté au cours des 35 dernières années, quand il a senti l’urgence d’en savoir plus sur l’histoire de sa nation.

En matière de consultations de documents, il trouve une alliée majeure en la personne de la linguiste Danielle Cyr, de New Richmond, qui travaille depuis des décennies sur la langue mi’gmaq. Il faut, dit-elle, que ces archives soient accessibles, ce qui constitue régulièrement un obstacle à la consultation des documents, bien souvent entreposés à l’extérieur de Gespeg, de Gesgapegiag et de Listuguj.

« L’accessibilité, c’est important à plusieurs niveaux. Il y a le niveau pratique : les Mi’gmaq poussent de plus en plus leurs études, et ils sont aptes à faire de la recherche, notamment celle qui les concerne. Pour les étudiants à la maîtrise ou au doctorat, qui ne sont pas des gens riches, la possibilité de consulter des documents quand ils sont chez eux leur permet d’éviter des voyages un peu partout à Sainte-Anne-des-Monts, à Québec, à Ottawa ou ailleurs, où se retrouvent souvent ces archives », aborde Danielle Cyr.

« Il y a aussi une raison sociale : les Mi’gmaq parlent beaucoup de reconstruire l’esprit de la nation. S’ils avaient les archives chez eux, ça renforcerait beaucoup cette idée. S’ils géraient eux-mêmes leurs archives, ils pourraient recevoir les non-Autochtones, qui viendraient chez les Mi’gmaq, prendre contact avec eux, ce qui est l’idéal », ajoute-t-elle.

Danielle Cyr a cosigné en 2005 un dictionnaire de référence anglais-mi’gmaq, le premier du genre écrit par un locuteur mi’gmaq et préparé avec des aînés de la communauté. Photo : Guillaume Ste-Mari

L’éparpillement, un phénomène réel

Les documents et artéfacts portant sur l’histoire plus ou moins récente des Mi’gmaq de la Gaspésie sont disséminés.

« Il y a beaucoup d’objets à l’ancien Musée de la civilisation (à Gatineau), maintenant le Musée canadien de l’histoire, dont le nom a été changé par Stephen Harper. Les documents de l’abbé Roland Provost sont conservés en bonne partie à la Société d’histoire de la Haute-Gaspésie. Ils sont très diversifiés et ils sont regroupés en une quinzaine de boîtes, pas toutes ayant rapport aux Mi’gmaq. Certains documents portent sur l’archéologie du site de La Martre, ou sur sa correspondance avec des prêtres et des évêques, mais dans ces lettres, une partie devait avoir un rapport avec sa mission de Gesgapegiag. Les Soeurs du Saint-Rosaire ont des documents, mais ça ne dit pas énormément de choses sur Gesgapegiag; c’est très rose, comme portrait. Ça parle de l’école, des résultats des élèves. Ces documents sont à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec », précise Danielle Cyr.

Elle déplore que les archives des Capucins aient été retirées du monastère de Listuguj « sans demander la permission. Dans un sens, c’est bien parce que le monastère a brûlé l’an passé, mais sur le principe, on peut dire que les archives sont sorties sans le consentement des Mi’gmaq, encore une fois. »

Danielle Cyr mentionne qu’en plus des documents, il serait bien intéressant de rapatrier des pièces d’art et de métiers d’art du patrimoine mi’gmaq. « Il y en a à Ottawa et en Angleterre. Les gouverneurs généraux en commandaient pour ramener à leur épouse. »

Assurer une bonne protection avec une voûte

L’éloignement relatif des documents et artéfacts mi’gmaq n’est pas foncièrement déplorable, dit Danielle Cyr, mais il n’est pas idéal.

« Je sais que les archives de l’abbé Provost sont bien traitées à la Société historique de la Haute-Gaspésie. Elles sont bien abritées, dans des voûtes. On me dit aussi que beaucoup de Mi’gmaq viennent les consulter.»

« Je sais que les gens de la Société historique de la Haute-Gaspésie ne seraient pas défavorables à ce que ces archives reviennent dans la Baie-des- Chaleurs. Il faudrait pour ça que les communautés mi’gmaq paient pour acheter une voûte. On n’a pas besoin d’un bunker. Il faut simplement un endroit à l’épreuve de la chaleur et de l’eau. Une voûte ne coûte pas une fortune. Ça prend le temps de faire les démarches et un archiviste. Je le recommande fortement », assure Mme Cyr.

Gilles Gagné

L’article original est accessible ici