VIS  C’est le titre du nouvel album de Ben Kamuntu,

« Vis », comme la vis vissée pour assure l’assemblage d’une structure,

« Vis » parce que la Vie est le propre de l’humanité, tellement plus forte que toute destruction possible.    Il se définit comme « Artiviste »,  est lauréat du prix européen de la littérature congolaise Makomi 2021 avec mention spéciale du Jury.  Il ? Ben Kamuntu, jeune slameur congolais. 

De passage à Bruxelles, il nous confie son parcours de vie, son engagement à travers l’Art et sa lutte avec le mouvement « Lucha ».

Ben Kamuntu et Tatiana De Barelli. On parle musique et Lucha!

 

Son histoire, l’origine d’un engagement.

« Je  m’appelle Ben Kamuntu ; c’est mon nom de scène.  Je suis né à Bukavu, de l’autre côté du Lac Kivu, en 1993.  Je fais partie de ces millions de jeunes nés au Congo dans les années 90, qui n’ont jamais connu la paix, de cette génération de guerre. A trois ans, je me souviens de notre fuite, sur le dos de ma mère, traversant avec mes frères les chemins jonchés de cadavres. On prenait ton visage, on te regardait… et en fonction de ta morphologie, tu étais sauvé ou tué.

J’ai grandi dans cette atmosphère de violence et de guerre.  En 1996 avec Mobutu, en 1998 avec Kabila.  Deux guerres, puis un grand espoir avec Joseph Kabila, déçu cinq ans plus tard.   Je prenais petit à petit conscience du pire dont l’être l’humain est capable pour le pouvoir, pour l’argent.

Ma lutte, ma force de résistance, je la dois à ma mère.  Elle n’avait pas un engagement politique mais, face à l’injustice, elle disait haut et fort ce qui n’allait pas, dénonçait tout en rassemblant les gens pour trouver des solutions.

Nous sommes venus vivre à Goma.  Je me rappelle des années de primaire : dès qu’il y avait une manifestation, j’y allais et j’entrainais les élèves. Le Congo était alors coupé en deux ; on ne pouvait aller à Kinshasa.  Très tôt, je sentais qu’il fallait faire quelque chose.

En 2005-2006, il y a eu les élections ; je n’avais pas l’âge de voter mais je me sentais concerné. Tout le monde y croyait, on avait signé des accords. J’en étais sûr, nous allions enfin avoir de l’eau, de l’électricité… je pourrais aller à l’école normalement.

Malheureusement, on nous a vendu du rêve et des illusions. En 2011, en tant que jeune, il était clair que rien n’avait changé, que c’était de la poudre aux yeux.

Mon engagement est né de cette frustration, de la révolte, d’un ras le bol. Nous méritons mieux que ce que nous avons !

Au Congo, nous avons de l’eau douce qui pourrait alimenter toute l’Afrique, des forêts, des richesses incroyables, tout pousse… et pourtant, nous vivons dans la misère, sans eau, sans électricité, sans emploi.  Tout cela a grandi en moi. Ma lutte est née là.

La Lucha

En 2012, nait le mouvement « Lucha » Lutte pour le Changement (1), mouvement qui est né à Goma, non partisan et apolitique ; avec Luc Nkululla entre autres, nous avons vu que les rapports, les ONG cela ne suffisait pas.

Nous avons commencé avec des actions non-violentes.  La non-violence ?  Parce que la violence a montré ses limites. Parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets.  La violence n’est pas une solution, n’est pas acceptable.

Nous devons avoir une population exigeante pour avoir des dirigeants redevables. Les élus, ce sont nos employés.  Ils doivent rendre des comptes. La Lucha, c’est cela.  C’est aussi la lutte pour un Congo nouveau, de justice sociale, de paix, de coopération dans le respect.

La Lucha, c’est une organisation informelle, sans statut et qui fonctionne en horizontalité. Un problème du Congo, c’est le culte de la personnalité.  Du coup,  il n’y a  pas de président ni de vice-président à La Lucha mais  des cellules qui s’organisent. Nous sommes une alternative citoyenne car nous considérons que tout peuple a les dirigeants qu’il mérite. Nous avons une responsabilité de résister face à cette corruption, face à un système de mauvaise gouvernance.

Je suis contre les guerres mais, que ce soit en Ukraine, au Yémen, en Lybie ou à l’Est du Congo, c’est le même système de la quête de la puissance et des capitaux, qui entraine le droit de tuer certains êtres humains … considérés comme moins humains que d’autres ! La guerre est entretenue par les intérêts financiers. La même attention qui est portée sur l’Ukraine par l’ONU, l’union Européenne et les Etats-Unis devrait aussi l’être vers les autres régions du monde en guerre depuis des années.

Nous avons une obligation morale de résister, de lutter contre la mauvaise gouvernance.  Notre lutte n’est pas contre une personne mais contre un système.  Nous avons opté pour la non-violence, plus lente mais durable.

Art & Engagement citoyen

En 2013, je faisais du théâtre ; à 19 ans, j’ai découvert le slam et les livres.

Depuis, l’art, c’est un moyen pour moi de résister, d’exister.

Aujourd’hui, nous ne devons pas perdre espoir car si on perd l’espoir, on perd la guerre.  Cette utopie, il faut l’entretenir, il faut la nourrir. L’Art est un bon moyen pour renforcer cette utopie. L’art est aussi un moyen de résister. Nous en avons eu pour preuve nos ateliers avec des femmes ayant subi des violences, violées.  Par le slam, par l’écriture, elles avaient enfin la possibilité d’exprimer leur douleur.

Dans un monde trop politique, il faut du poétique.  Il faut aller vers l’autre avec le cœur, créer des ponts.

Même dans les morceaux de mon album qui parlent de sujets durs, je veux qu’il y ait toujours de la lumière, de l’espoir.

Mes modèles, mes « moteurs » 

Patrice Lubumba, une personne ordinaire qui a consacré sa vie à la justice et à la paix, pour l’autonomie et le respect du peuple congolais. Il avait une vraie vision de l’Afrique. Il ne cédait pas aux caprices capitalistes.

Luc Nkululla, jeune militant de la Lucha, très inspirant, intègre. J’ai vécu avec lui et c’est un modèle. C’est un héros qui s’est engagé dans une lutte au-delà de sa propre personne

Malcolm X pour sa détermination.

Quel espoir pour le Congo, pour l’Afrique ?  Quel futur ?

Le discours ambiant dans lequel j’ai grandi nous présente la violence comme une fatalité, notre destinée. On nous dit : « Il n’y a rien à faire, c’est comme ça.  C’est toi qui va changer le Congo ? Tu sais combien de personnes ont essayé et n’ont pas réussi ? »  Je n’adhère pas à ce discours. Dans humain, il y a tout ce qui est bon et ce qui est mauvais. Je crois en cette humanité dans l’humain.

« Vis » symbolise le monde interconnecté dans lequel nous vivons. Nous l’avons vu avec le Covid ! qu’on soit riche ou pauvre, qu’on possède l’arme nucléaire ou non, nous étions tous à la maison !!  Aujourd’hui, il faut construire un imaginaire de concorde et de confiance, critiquer, déconstruire aussi.

Beaucoup de projets avec les jeunes sont en cours : nous avons mis en place un collectif qui organise des  « Goma slam sessions », à Goma,  dans tout le pays.  Nous participerons même au championnat international. Nous animons des ateliers d’écriture dans les écoles,

Une maison d’édition MLIMANI (2) qui veut dire « à la montagne » a vu le jour.  Parce que la montagne élève tout comme l’éducation élève.

Nous sommes regroupés dans un mouvement panafricain AFRIKKI (3) avec des mouvements militants des pays anglophones et francophones, dont  Ballet Citoyen et Y en a marre. On se réunit pour fédérer les efforts.

Comme militant de la Lucha et comme artiste, les deux s’imbriquent.  On a besoin de beaucoup d’espoir, de rêves, de moyens aussi qui permettent d’interroger, de donner un sens à la vie, de créer des formes d’éducation alternatives.  Goma, c’est une belle ville.  Au-delà de toutes les difficultés il y a la vie qu’il faut vivre avec beaucoup de gratitude.

Bosembo ! : (justice en lingala)

La paix à l’Est du Congo ne passera que par un mécanisme de justice.  Il nous faut un processus de réconciliation pour que nous puissions faire notre deuil et, dans un climat de vérité, construire une paix véritable. Les bourreaux doivent être présentés devant un Tribunal Pénal International.  Pour l’instant, cela n’existe pas en RDC. C’est d’ailleurs ce que demande aussi le Dr.Mukwege, prix Nobel de la Paix. L’impunité perpétue le cycle de violence.  Nous avons besoin de justice.

L’album VIS

Mon nouvel album est un appel à découvrir mon univers de mobilisation. Chaque morceau est lié à un thème, une valeur, une personne, à ma ville. Porter les réalités locales à niveau universel car nous sommes tous interconnectés.  Nous allons tous vivre ensemble ou … couler ensemble.

Je crois en un monde ou l’humain est l’essentiel.

A tous les lecteurs Pressenza, à toutes les personnes qui croient dans la non-violence,

je voudrais dire que la Non-Violence est une arme redoutable, dont les changements ne sont pas perçus directement mais les résultats sont durables. L’avenir de l’humanité est dans la Non-Violence.

Il nous faut continuer à rêver.

Il nous faut continuer à agir, de nous fédérer.

A obtenir des petites victoires.  Leurs actions font que toutes ces personnes qui nous empêchent de rêver, nous, nous les empêchons de dormir.

Car des petits ruisseaux naissent les rivières. »

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Pour suivre Ben Kamuntu : www.benkamuntu.com

Sur Facebook, twitter, Instagram, tiktok : goma slam session

 

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  • La lucha est un mouvement citoyen congolais non-partisan & non-violentqui a été lancé le 1er mai 2012 à goma, en rd congo, suite à un ras-le-bol de jeunes choqués, indignés et révoltés par la situation de chaos général du pays. l’absence de l’etat dans les réponses pour l’accès aux biens primaires de base. les réponses biaisés des organisations non gouvernemental, qui refusent d’explorer les causes profondes de certaines situations et se contentes de se concentrer éternellement sur les interminables conséquences en concédant de dépenses financières énormes. et de la population fatiguée de porter seul le fardeau de la vie, refuse de contester, de se soulever, chacun attendant qu’un autre le fasse à sa place.  Extrait de « qui nous sommes » – http://www.luchacongo.org/
  • MLIMANI Editions : https://www.mlimani-editions.com
  • AFRIKKI : https://afrikki.org/afrikki/